« Le Problème à trois corps » : que vaut la nouvelle série des producteurs de « Game of Thrones »

CRITIQUE. Les producteurs de « Game of Thrones » transforment pour Netflix un chef-d’œuvre de la SF exigeant en blockbuster aussi captivant que frustrant.

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John Bradley (Jack Roone) et Jess Hong (Jin Cheng).
John Bradley (Jack Roone) et Jess Hong (Jin Cheng). © ED MILLER/NETFLIX

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Sans doute la série la plus attendue de ce début d'année, Le Problème à trois corps, que propose Netflix depuis le 21 mars prochain,est, comme souvent, précédée par sa réputation : celle de l'adaptation impossible d'une trilogie de romans de science-fiction mondialement reconnue, signant le retour aux affaires des anciens producteurs et coscénaristes de Game of Thrones et dotée d'un budget pharaonique. Soit l'addition de plusieurs présages certains de réussite. Mais aussi la crainte de tomber d'encore plus haut que le commun des séries.

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Présenté en avant-première ce vendredi soir en ouverture du festival Séries Mania à Lille, Le Problème à trois corps, que nous avons pu voir,se révèle aussi plaisant que monstrueux : un exceptionnel récit de science-fiction compressé au format « blockbuster pour tous », provoquant un mélange d'enthousiasme sincère et de frustration amère.

Un récit de science-fiction virtuose et choral

Publié en Chine en 2008 par Liu Cixin, auteur déjà très populaire dans son pays, Le Problème à trois corps doit attendre 2014 pour être traduit en anglais, mais son succès est alors immédiat. L'année suivante, il reçoit le Prix Hugo, l'un des prix les prestigieux en matière de science-fiction, et découvre en Barack Obama son plus ardent défenseur… Avec ses deux suites, La Forêt sombre (2008) et La Mort immortelle (2010), il s'agit sans doute d'un des premiers chefs-d'œuvre de la science-fiction de ce siècle. Restait à en faire une bonne série télé…

Tâche colossale qui revint finalement à David Benioff et D.B. Weiss, encore auréolés du succès historique de Game of Thrones, déjà adapté d'un chef-d'œuvre de l'imaginaire signé G.R.R. Martin. Avec l'aide d'un troisième comparse, Alexander Woo, ils parviennent ici à réaliser un petit tour de force : ne pas trahir l'esprit ni les qualités d'une œuvre originale… Tout en la simplifiant à l'extrême et en la faisant rentrer de gré ou de force dans le moule d'une série télévisée des années 2020.

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Car, en tant que téléspectateur, on ne peut que s'incliner : la série qu'on nous propose ici est captivante, et d'une grande qualité. Imaginez qu'un beau matin, tous les fondamentaux de la science moderne se révèlent tout simplement faux. Que des chercheurs commencent à se suicider les uns après les autres. Qu'un mystérieux compte à rebours apparaisse aux yeux de certains, tandis que d'autres se perdent dans un jeu en réalité virtuelle d'origine inconnu, dont le but semble être de sauver une civilisation en résolvant le fameux « problème à trois corps ». Et qu'au final, bien entendu, la survie de l'humanité tout entière se retrouve entre les mains d'une poignée de personnes préparées à tout sauf à cela…

Sur le canevas somme toute assez classique d'une invasion extraterrestre annoncée, Le Problème à trois corps version Netflix tisse un récit virtuose, impossible à abandonner en route : les scènes chocs se succèdent avec une précision d'horloge suisse, les fins d'épisodes sont toutes d'un impact parfaitement ravageur et il est strictement impossible de ne pas désirer connaître la suite de cette histoire… Mieux encore, les meilleurs scènes et éléments du livre sont respectueusement conservés, et parfois même magnifiés par la mise en scène. L'intelligence d'un The Expanse ou d'un Battlestar Galactica alliée à l'efficacité narrative et ludique d'un Lost ou d'un 24 heures chrono : la série parfaite ? Hélas, non, loin de là.

Une adaptation formatée et simplifiée, souvent frustrante

Il ne faut jamais perdre de vue que la trilogie du Problème à trois corps telle que l'a écrite Liu Cixin est proprement inadaptable à l'écran. Elle étale son récit sur plusieurs siècles, et n'épargne à son lecteur aucune explication scientifique, même les plus abstraites et les plus conjecturales. Benioff, Weiss et Woo ont donc été contraints de faire des choix d'adaptation assez radicaux, mais sans doute inévitables. Passons sur l'internationalisation du casting : tous les personnages des romans, ou presque, étaient chinois. Ceux de la série sont majoritairement occidentaux.

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Petit problème : si on retrouve avec plaisir certains visages connus depuis Game Of Thrones (comme John Bradley-West, ex-Samwell Tarly, ou Liam Cunningham, ex-Davos Mervault), et si l'excellent Benedict Wong (vu dans Doctor Strange) survole avec classe la série en interprétant, il est vrai, un personnage déjà particulièrement réussi dans les romans, plusieurs autres jeunes comédiens sont nettement plus en retrait, peu aidés par une écriture assez fade lorsqu'elle essaye de développer les personnages et leurs relations. Au point que la série se paye le luxe de faire elle-même une blague lourde sur la beauté assez conventionnelle d'une de ses actrices principales. Élégant ? Pas trop, non. Mais révélateur d'une difficulté réelle rencontrée par les scénaristes lorsqu'il s'agissait d'écrire des personnages au-delà du texte de Liu Cixin : ces héros-là ressemblent à n'importe quels héros de série Netflix des années 2020, et c'est dommage.

Liam Cunningham, ex-Game of Thrones, dans le rôle de Wade.
 ©  SHOOTER_EM_104_032522_00002 / ED MILLER/NETFLIX
Liam Cunningham, ex-Game of Thrones, dans le rôle de Wade. © SHOOTER_EM_104_032522_00002 / ED MILLER/NETFLIX

Plus important, peut-être : la série choisit d'aller à toute allure, à tout prix. Au point que cette première saison n'adapte pas seulement « l'intégralité » du Problème à trois corps, mais pioche aussi largement dans La Forêt sombre. On perd en route énormément de chair, particulièrement dans les aspects les plus pointus des éléments scientifiques du scénario, au point que pas mal de scènes, que Liu Cixin parvenait à rendre presque « réalistes » à l'écrit, semblent ici tenir de la magie pure et simple, plutôt que d'une quelconque science, fût-elle avancée. Autre effet de bord regrettable : les trois derniers épisodes de la saison sont étonnamment anticlimatiques, surtout après un milieu de saison magistral. Et pour cause : ils adaptent en fait un début de roman…

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En fait, tout dépendra de ce qu'on attend du Problème à trois corps version Netflix. Si l'on tient avant tout à la profondeur et à la richesse intellectuelle des romans de Liu Cixin, au grand frisson de la hard SF, on ne pourra qu'être un peu déçu. Mais ce sera alors l'occasion de lire ou de relire cette extraordinaire trilogie, dont la traduction française vient justement d'être rééditée en éditions collector et poche aux éditions Actes Sud.

Mais si vous recherchez une série de science-fiction de qualité, intelligente, bien rythmée, aux rebondissements captivants, ne bougez surtout pas, et direction Netflix dès le jeudi 21 mars, car Le Problème à trois corps, malgré les choix difficiles de son adaptation, est sans aucun doute l'une des meilleures que vous pourrez regarder cette année sur le petit écran.

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