« Dallas » : le clan Ewing entre bétail et pétrole

14 saisons, un héros machiavélique en deux initiales JR, une épouse accro à la vodka et un épisode cultissime ! Retour sur une institution devenue le mètre étalon du genre.

Par

Le casting de Dallas.
Le casting de Dallas. © MAXPPP / LANDOV/MAXPPP

Temps de lecture : 7 min

Lecture audio réservée aux abonnés

Deux coups de feu. Il aura suffi de deux petits coups de feu pour faire de la série Dallas un phénomène de société. Nous sommes alors en avril 1980. Diffusé sur CBS, le feuilleton conclut sa troisième saison et occupe, pépère, la 6e place des séries les plus regardées outre-Atlantique. Dans la dernière scène du 54e épisode, JR. Ewing (Larry Hagman), l'infâme héros de ce soap de prime time, travaille tard dans le bureau qu'il occupe au sein de la Ewing Oil, l'entreprise pétrolière prospère de papa. Lorsqu'un mystérieux personnage filmé en caméra subjective lui tire dessus à deux reprises. L'insubmersible JR. s'effondre. Les grosses lettres jaunes du générique le laissent au sol, entre la vie et la mort. C'est un triomphe : Dallas vient de donner ses lettres de noblesse au cliffhanger, ce procédé narratif consistant à arrêter le récit à un moment crucial pour fidéliser le public.

La newsletter pop

Tous les troisièmes mercredis de chaque mois à 12h

Recevez le meilleur de la pop culture !

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

À LIRE AUSSI Le jour où « Côte ouest » a fêté son 200e épisode avec des funérailles

Qui a tiré sur JR. ? Aux États-Unis, pendant l'été 1980, la question éclipse toute autre actu au point que Jimmy Carter et Ronald Reagan, en pleine course à la présidentielle, sont contraints de s'en emparer pour attirer l'attention de la presse. Les républicains vont jusqu'à produire des pin's affirmant qu'un démocrate a tiré sur JR. En novembre de la même année, THE réponse tombe enfin : Kristin Shepard (Mary Crosby), la belle-sœur de JR., passe aux aveux devant près de 83 millions d'Américains réunis devant leurs écrans, dépassant le record jusqu'alors détenu depuis 1967 par le dernier épisode du Fugitif. 76 % de parts de marché, c'est du jamais-vu ! CBS se frotte les mains. Si cette pauvre Kristin se voit condamnée à l'oubli à perpétuité, son méfait légendaire vient de faire entrer Dallas dans le panthéon des séries dites cultes.

Le phénomène se répétera dans les 90 pays où la série est diffusée. Y compris en France où affublée d'un tonitruant générique franco-français écrit par Jean Renard, Dallas est programmée sur TF1, dès le samedi 24 janvier 1981, en deuxième partie de soirée. Avant de basculer en prime time, en 1983, à la place du Droit de réponse de Michel Polac. Une seule mission alors pour l'ignoble JR. : dégommer sur Antenne 2, le gentil Michel Drucker et son émission de variétés Champs-Élysées où le Tout-Paris se presse. Pendant les six ans où elle diffusera la série (le mardi, le dimanche après-midi puis le mercredi), TF1 n'aura jamais à se plaindre de ses Texans. Mais en 1987, elle sera victime d'un braquage à l'italienne fomenté par l'avide Silvio Berlusconi qui achètera les droits de la dixième saison pour booster les audiences de La Cinq. TF1, dépossédée mais bien inspirée, se rabattra alors sur Côte Ouest, le spin-off de Dallas (mais ça, c'est une autre histoire…), avant d'en diffuser (enfin) l'intégralité en 1995.

Argent, sexe et pouvoir

Qui aurait pu croire que Dallas, lancée le 2 avril 1978, sous la forme d'une minisérie de cinq épisodes durerait 14 ans donnant même naissance à une suite – sans grand intérêt – en 2012 ? C'est vrai : au départ, il ne s'agit plus ou moins que d'une version au parfum de pétrole de Roméo et Juliette. Dans le premier épisode, Bobby (Patrick Duffy, plus habillé que dans L'Homme de l'Atlantide), le fils cadet de l'éleveur de bétail et magnat du pétrole Jock Ewing (Jim Davis) revient au ranch familial de Southfork pour présenter son épouse, la douce Pamela (Victoria Principal), élevée dans la haine des Ewing par un père ruiné et alcoolique.

Contre toute attente, Leonard Katzman, le showrunner, s'aperçoit que ses tourtereaux se font voler la vedette par l'ignoble JR., le frère de ce benêt de Bobby, prêt à toutes les turpitudes pour mener son monde à la baguette. Un monde où argent, sexe et pouvoir sont élevés au rang de valeurs suprêmes. Pour la première fois, héros rime avec salaud et le public va adorer détester cet odieux menteur, infidèle et manipulateur ! Jamais en 357 épisodes, il ne le décevra avec ses coups tordus et ses répliques assassines à base de « Je vais vous briser » et de « Il ne vous restera plus que vos yeux pour pleurer ». Chaque semaine, des familles entières le regardent tourmenter sa pauvre épouse, Sue Ellen, une ex-Miss Texas abîmée par la vie, passant le plus clair de son temps à noyer son mal-être dans un verre de vodka (filez-lui plutôt la bouteille !). Une victime dont le public de soap est friand et qui doit beaucoup à son interprète, Linda Gray. À coups de regards hébétés et de bouche tordue, elle parvient à faire passer Sue Ellen de simple personnage récurrent relégué dans le générique de fin lors de la première saison, à un personnage principal dès la deuxième.

Dallas, c'est l'histoire de l'Amérique. Une Amérique pas forcément glorieuse, mais fière de ses racines. Au départ, la série devait s'intituler Houston, du nom de la capitale économique du Texas, symbole du monde des affaires. Mais les producteurs finissent par lui préférer Dallas, la cité du bétail et des rodéos. Car Dallas est nourrie à la testostérone. Chez les Ewing, pour se faire comprendre, les poings prennent très vite le relais des mots. Le bal des pétroliers et le barbecue de Southfork, deux événements phares de chaque saison, sont autant d'opportunités pour les mâles du clan de marquer leur territoire et de flanquer une rouste à leurs rivaux, devant leurs épouses pas peu fières de les voir sortir les muscles. Les femmes ? On aime bien les envoyer faire des emplettes à Austin, les entendre se plaindre d'avoir des « milliers de choses à faire », quand elles ne chouinent pas sur leur désir inassouvi de maternité.

Oui, Dallas, c'est avant tout un monde de machos fiers d'eux, un western des temps modernes qui séduit l'Amérique profonde des années Reagan. Certes, la série va évoluer. Les personnages féminins prendront peu à peu leur revanche. Le combat de Sue Ellen pour obtenir la garde de son fils après son divorce difficile avec JR. en sera une illustration. Les producteurs ont bien compris que la série doit avancer avec son temps mais pas trop non plus. En quatorze saisons, pas un seul personnage principal afro-américain, pas d'homos non plus…

À LIRE AUSSI « Dynastie » : et le mariage en Moldavie se transforma en massacre

La mort du soap

Mais Dallas a fait des émules. Et face à Falcon Crest, saga viticole riche en guest-stars de luxe ouDynastie, fleuron libéral et bling-bling produit par le nabab des séries Aaron Spelling, elle doit se surpasser pour ne pas donner du clan Ewing l'image d'une bande de bouseux décérébrés. La production embauche un styliste, Travilla, histoire que ses actrices ne passent pas pour de vagues cousines de campagne de Krystle Carrington. Loïs Chiles et Barbara Carrera deux ex-James Bond Girls, ainsi que Priscilla Presley, la veuve du King, sont invitées à glamouriser les rangs. Mais après avoir tenu six saisons dans le top 3 des audiences, dont quatre à la première place, Dallas finit par dégringoler. La faute à des décisions scénaristiques catastrophiques. En 1985, à la fin de la saison 8, le public assiste, horrifié, à la mort du gentil Bobby entouré de sa famille. Un an plus tard, à la fin de la saison 9, il retrouve pourtant le même Bobby dans une scène de douche devenue mythique. En coulisses, le comédien Patrick Duffy a accepté de revenir moyennant finances. Les 30 épisodes auxquels il n'a pas participé ne sont en fait qu'un cauchemar de sa bien-aimée Pamela, et comptent donc pour du beurre… Et le scénario de reprendre là où il en était douze mois auparavant !

Un casse-tête pour le public qui commence à prendre la tangente. Puis, à la saison 10, c'est au tour de la belle Victoria Principal de faire ses adieux à la série… Les scénaristes, ayant retenu la leçon, envoient Pamela s'encastrer sous un camion pour la faire ressortir sous forme de momie ! Avant de la laisser s'enfuir, ni vu ni connu, de l'hôpital où elle est soignée… Du grand n'importe quoi ! Les rois du cliffhanger tombent de leur piédestal et ne s'en relèveront jamais. La fin des années 1980 approche et avec elle, la mort du soap de prime time détrôné par les sitcoms. Dynastie agonise. Falcon Crest se noie. Dallas, la reine mère, survivra jusqu'en 1991. 33 millions d'aficionados américains se réuniront tout de même devant le dernier épisode pour assister au suicide présumé d'un JR. travaillé par sa conscience. Sonnant ainsi le glas de toute une époque, celle, d'un « univers impitoyable » qui « ne redoute que la mort ».

À LIRE AUSSI « Dallas », c'est (vraiment) terminé !

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération

Commentaire (1)

  • libéral avancé

    Belles. Et bêtifiantes poupées, salauds mâles pathétiques, suspens cousu de fil blanc. Ce n’est pas pour rien que ce fut la série préférée de ma belle mère...