Un soap et au lit : « Falcon Crest », ni piquette ni grand cru

ÉPISODE 2. Dans la lignée de « Dallas » et « Côte ouest », cette saga, plantée dans l’univers ignoble des vignobles, ne détrônera jamais « Dynastie », sa grande rivale.

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 Jane Wyman et Lorenzo Lamas dans la série Falcon Crest
 Jane Wyman et Lorenzo Lamas dans la série Falcon Crest © CBS Photo Archive / CBS / CBS via Getty Images

Temps de lecture : 6 min

J. R. Ewing, Alexis Colby, Abby Ewing… Ces trois grands méchants de la télé américaine des années 1980, venus tout droit de Dallas, Dynastie et Côte ouest, ont marqué l’esprit du public français friand de soaps rutilants. On ne peut pas en dire autant d’Angela Channing, l’héroïne machiavélique de la série Falcon Crest, qui, pourtant, n’avait rien à envier à ses compagnons de coups bas. Il faut dire qu’en France cette saga viticole n’a pas bénéficié d’une programmation à la hauteur de son succès outre-Atlantique. D’abord diffusée en 1987 par la toute jeune M6, qui, à l’époque, ne couvre pas encore l’ensemble du territoire français, elle est rachetée, en 1989, par France 2, qui la relègue en début d’après-midi, et découpe maladroitement chaque épisode en deux parties.

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Falcon Crest avait pourtant tous les atouts pour séduire un public qui, un an auparavant, avait réservé un accueil chaleureux à Côte ouest, la série dérivée de Dallas, malgré ses huit ans d’écart avec la diffusion américaine. Dommage ! Car, pendant les années Reagan, Falcon Crest, avec ses 227 épisodes, a compté parmi les séries les plus populaires aux États-Unis, où elle a figuré dans le top 10 des meilleures audiences quatre années d’affilée. Sans pour autant atteindre la première place !

Bienvenue au pays de l’or rouge ! Falcon Crest, c’est Dallas, à la différence près que les fûts de vin remplacent les barils de pétrole. Bye bye le Texas, donc, et direction l’ensoleillée Californie. La série raconte l’histoire de la richissime Angela Channing (Jane Wyman), qui mène d’une main de fer son empire viticole dans la vallée de Tuscany, la version imaginaire de la Napa Valley (mais où sont-ils allés chercher tout ça ?). L’histoire commence lorsque cette redoutable femme d’affaires, ivre… de pouvoir, voit débarquer sur ses terres son neveu Chase Gioberti (Robert Foxworth), qui a hérité de son père d'une partie du domaine viticole de Falcon Crest. Un neveu aussi bienveillant et ennuyeux qu’elle est cynique et redoutable en affaires. Il est accompagné de son épouse Maggie (Susan Sullivan, future maman de Castle), avec qui il forme un solide couple adoré du public, et de leurs deux enfants. Soutenue par son petit-fils, le bellâtre Lance Cumson (Lorenzo Lamas, futur Rebelle de TF1), Angela va multiplier les coups bas pour faire déguerpir les nouveaux venus, sur fond de compétition viticole…

Le marché juteux de la saga familiale

Rien de très neuf dans le monde du soap, me direz-vous. C’est normal : Falcon Crest est produite par la société Lorimar, déjà à l’origine de Dallas, et elle ne fait qu’adapter à la sauce au vin les règles de son feuilleton phare, quitte à en faire un produit de seconde zone. Aux commandes de la saga viticole, Earl Hamner, un vieux de la vieille qui pendant neuf ans, de 1972 à 1981, a conduit le scénario de The Waltons, une saga familiale se déroulant dans les années 1930 mais peu connue en France. Notre homme est donc un pro de la saga… mais, jugé un peu trop emprunté et policé, son épisode pilote, tourné sous le titre de « The Vintage Years », sera privé de diffusion, avant d’être savamment musclé pour donner naissance à Falcon Crest, du nom du domaine dirigé par Angela.

Dans le sens d'une pendule, au centre : Jane Wyman, Robert Foxworth, William R. Moses, Jamie Rose, Chao Li Chi, Nick Ramus, Lorenzo Lamas, Abby Dalton ; assis sur un fauteuil : Margaret Ladd et  Susan Sullivan.
 ©  CBS Photo Archive / CBS / Getty Images
Dans le sens d'une pendule, au centre : Jane Wyman, Robert Foxworth, William R. Moses, Jamie Rose, Chao Li Chi, Nick Ramus, Lorenzo Lamas, Abby Dalton ; assis sur un fauteuil : Margaret Ladd et  Susan Sullivan. © CBS Photo Archive / CBS / Getty Images

La stratégie de la chaîne CBS et de Lorimar est très simple : avec trois soaps dans leur giron – Dallas, Côte ouest et Falcon Crest –, ils veulent truster le marché très juteux de la saga familiale sulfureuse. Pas question de se faire dévorer tout cru par ABC, la chaîne rivale, qui marche sur leurs platebandes depuis quelques mois avec les frasques des Carrington de Dynastie, produite par l’omniprésent Aaron Spelling (Drôles de dames, Pour l’amour du risque, La croisière s’amuse…). Lorimar ne lésine pas sur les moyens. Pour commencer, la société de production embauche Bill Conti, compositeur du thème principal un brin solennel et monarchique de Dynastie, qui lui concocte une musique de générique bien plus flamboyante tout en violons déchaînés.

Du côté du casting aussi, Falcon Crest tape fort. Face à Dynastie qui s’enorgueillit de pouvoir séduire à coups de dollars des stars comme Joan Collins, Diahann Carroll ou, temporairement, Rock Hudson et Ali McGraw, la saga de CBS pioche généreusement dans le bottin mondain de l’âge d’or d’Hollywood. Ainsi, pour incarner son J.R. en jupon, la production a engagé Jane Wyman. Moins connue de ce côté-ci de l’Atlantique, elle a marqué des générations de cinéphiles américains. Un oscar et deux nominations au compteur, cette égérie de Douglas Sirk a prêté son regard triste à nombre de jeunes héroïnes malmenées par la vie. Qui plus est, en 1981, ce recrutement représente un énorme coup médiatique – et politique – puisque miss Wyman n’est autre que la première épouse de Ronald Reagan qui vient d’accéder au pouvoir suprême !

Casting 5 étoiles

Autour d’elle, dès les premières saisons, la production redonne du Technicolor à Lana Turner, Mel Ferrer, Cliff Robertson et Gina Lollobrigida, et alimente savamment pour la presse people les rumeurs sur des fâcheries de stars en coulisse. Kim Novak, Robert Stack ou encore Ursula Andress viendront également inscrire leurs noms prestigieux au générique de la série. La production fait aussi son marché auprès des « fils et filles de », donnant leur première chance à Tahnee Welch (la fifille de Raquel) ou encore à Mariska Hargitay (future star de New York Unité spéciale), la fille de feu Jayne Mansfield. Sans oublier quelques stars de séries bien connues du grand public telles que Simon MacCorkindale, le fameux ( !) Manimal, Jane Badler, ex-lézard en chef de la série V. Ce casting 5 étoiles à faire pâlir d’envie n’importe quel producteur de l’époque constitue finalement le seul véritable fait d’armes notable de Falcon Crest. Qui ne suffira pas à lui faire prendre la première place des sondages.

Gina Lollobrigida et Jane Wyman dans « Falcon Crest ».
 ©  CBS Photo Archive / CBS / Getty Images
Gina Lollobrigida et Jane Wyman dans « Falcon Crest ». © CBS Photo Archive / CBS / Getty Images

Car ce Dallas tout en grappes n’aura jamais le succès de Dynastie, mère de tous les excès. Pire, elle se fera dépasser en audience par sa concurrente dès la deuxième saison. Certes, elle maîtrise à merveille le concept de suspense (cliffhanger) pour pimenter les fins de saison et fidéliser le public. Et jamais les questions « Qui va mourir ? Qui va survivre ? » n’auront été aussi légitimes. Crash d’avion, explosion, tremblement de terre, accident de voiture se terminant dans la baie de San Francisco… À chaque fin de saison de Falcon Crest, les morts se ramassent à la pelle et mettent les nerfs des téléspectateurs (et des acteurs !) à rude d’épreuve. Pourtant, ces rebondissements volontiers dramatiques n’atteindront jamais l’extravagance et la médiatisation de la référence en la matière, à savoir le « Qui a tiré sur J.R. ? » de Dallas ou même le « Qui va survivre au massacre du mariage moldave ? » de Dynastie, où tous les personnages finissaient dans un bain de sang après un coup d’État. Seule (maigre) consolation : le clan d’Angela Channing survivra quelques mois de plus aux Carrington. Mais, en comparaison avec les bulles de champagne de Dynastie, Falcon Crest sera condamnée à rester à jamais un honnête vin de table. Sans plus.

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Commentaires (2)

  • el sasr

    Je n’ai jamais regardé la moindre seconde de Dallas ou Dynasty. Par contre, je n’ai pas manqué un seul épisode de la saga Falcon Crest !

  • Mike Lebas

    Chez M6 nous avons « hérité » de cette série achetée par la CLT et destinée au réseau de la 5 qu’elle espérait et pas au réseau anémique et au jeune public de la 6. Les échecs répétitifs de sa diffusion m’ont valu un séjour à L. A. , invité par le producteur pour essayer de comprendre comment la relancer en France. Quelques jours passionnants dans ce milieu hollywoodien qui avait tant d’avance sur nous !
    Ma conclusion en rentrant : elle ne marchera jamais sur M6 (public trop âgé) il faut la revendre. France 2 l’a massacré. Dommage elle méritait sans doute mieux. Plus de 200 épisodes c’est énorme en terme de programmation pour une chaîne. Une martingale... Quand cela marche.