« La Vengeance aux deux visages » : amour, bistouri et crocodiles en Australie

SAGA CU-CULTE. Ce soap australien diffusé sur TF1 à l’été 1989 joue la carte locale en envoyant un crocodile terroriser son héroïne… dans sa propre piscine.

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Stephanie Harper (au centre), une héroïne plus soap que jamais.
Stephanie Harper (au centre), une héroïne plus soap que jamais. © DR

Temps de lecture : 7 min

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Non, la vie n'est pas toujours un long fleuve tranquille. Pour Stephanie Harper, elle serait même plutôt du genre marécage infesté de crocodiles. Stephanie Harper, c'est l'héroïne de La Vengeance aux deux visages, une saga australienne diffusée en juillet 1989 par TF1 (trois ans après la Cinq à laquelle peu de Français avaient alors encore accès). Cette mini-série aromatisée à l'eau de rose, raconte le « terrrrrrible » destin d'une riche héritière pas bien fute-fute dont la vie bascule le jour où elle croise la route d'un tennisman mi-escroc mi-gigolo dont elle tombe follement amoureuse… et qui la jettera aux crocodiles pendant leur voyage de noces. Un feuilleton particulièrement mouvementé, donc, où les rebondissements s'enchaînent à la vitesse d'un alligator affamé pour le plaisir (coupable) des plus grands fans de soaps. Les Français, fins connaisseurs, en tête.

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En septembre 1983, le public australien découvre sur Network Ten, une des trois chaînes nationales, Return to Eden, une mini-série de trois épisodes de deux heures chacun, racontant les déboires d'une héritière malmenée par la vie. Stephanie Harper (incarnée par Rebecca Gilling) a tout pour être heureuse. Dotée d'un physique un brin disgracieux, elle parvient à prendre dans ses filets un tennisman de renom, au bronzage très Point Soleil, qui n'en veut, en réalité, qu'à sa fortune. D'ailleurs, aussitôt la cérémonie de mariage terminée, le mari mal intentionné, soutenu par sa maîtresse – et accessoirement meilleure amie de la tendre épouse –, se débarrasse de sa demi-belle en la balançant aux crocodiles qui se chargent alors de faire de son visage un gigantesque steak tartare, câpres en supplément.

Mais le vénal époux ignore que la pauvrette n'est pas morte et que, comble de chance, elle a été recueillie par un sémillant et séduisant (ça va de pair) chirurgien esthétique qui tout en tombant amoureux de la malheureuse, en profite pour lui offrir un autre visage et, dans le même élan salvateur, une toute nouvelle silhouette. Le vilain petit canard ainsi transformé en cygne à l'aveuglante beauté embrasse la carrière ô combien enivrante de top-modèle et s'affiche en couverture de Vogue sans que son veuf bien peu éploré la reconnaisse. L'occasion rêvée pour l'intrépide revancharde de servir une brûlante vengeance au malotru.

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Un Dynastie australien

Cette intrigue, digne des meilleurs romans de la prolifique Jackie Collins, battra des records d'audience dans son pays d'origine. Face à ce retentissant succès, la production décide alors de lui donner une suite en 1986 via une série hebdomadaire, cette fois, de 22 épisodes. Cette nouvelle mouture affiche une ambition toute légitime : celle d'entrer dans la cour des grands feuilletons 100 % bling-bling et breloques des années 1980, squattée alors par les bouseux de Dallas et les nouveaux riches de Dynastie, dont les aventures caracolent en tête des audiences aux États-Unis. Comme il n'est pas question de jouer la petite « cousine » australienne mal fagotée, les scénaristes nimbent les aventures de Stephanie Harper d'une couche de coups retors, d'amours scandaleuses et de laque pour conférer plus de volume aux intrigues… et aux brushings du casting.

On se cache à peine pour copier sans vergogne les héros yankees de l'époque, et d'ailleurs l'actrice Peta Toppano (ne cherchez pas, il n'y a pas de contrepèterie) choisie pour incarner la vicieuse maîtresse, cheveux courts et tempérament de feu à l'appui, singe gentiment Alexis Colby, la garce de Dynastie, condamnée cependant à ne rester qu'une Joan Collins du pauvre.

Succès et parodie

En France, la série fait un tabac sous le titre de La Vengeance aux deux visages, sans créer à aucun moment la moindre confusion avec le western du même nom de et avec Marlon Brando, sorti en 1961. En quelques semaines, Rebecca Gilling devient la meilleure amie des magazines télé hexagonaux. Mais le phénomène – car c'en était un à l'époque – ne traversera pas les ans, même s'il a marqué toute une génération de téléspectateurs, parmi lesquels Alex Lutz. En octobre 2021, le comédien et scénariste en proposait sur Canal+ une parodie aussi drôle qu'affectueuse sous le titre de La Vengeance au triple galop. « J'ai choisi volontairement d'adapter un soap qui a connu un beau succès lors de ses multiples diffusions, mais pas une référence en la matière, style Dallas ou Côte Ouest, pour ne pas avoir à souffrir d'une comparaison immédiate », nous expliquait-il enthousiaste.

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Que restera-t-il de ce « banana bread » un chouia indigeste ? Pas grand-chose si ce n'est des séquences devenues cultes (comme la scène du marécage), pathétiquement drôles. Ainsi, dans la deuxième salve d'épisodes, les scénaristes, prêts à tout pour renouer avec le succès de la première saison, se mettent en tête de faire à nouveau tâter du croco à cette chère Stephanie Harper. Difficile cependant d'envoyer de nouveau la brillante femme d'affaires dans un quelconque marais… Qu'à cela ne tienne, si tu ne vas pas au croco, le croco viendra à toi. Séquence choc à la clé.

Début de l'épisode 2. Stephanie coule des jours heureux dans son immense maison auprès de Dan, son chirurgien esthétique de mari. Ce matin-là, le couple se taquine gentiment au sujet d'un homme d'affaires qui, la veille, l'a invitée à danser par deux fois, le petit sacripant. Mais Stephanie aime Dan et Dan aime Stephanie et rien ne saurait ternir un tableau aussi idyllique. Leur échange, cul-cul la praline à souhait, ne nous livre donc aucune information essentielle mais permet gentiment au téléspectateur d'accompagner son héroïne vers le funeste destin qui l'attend.

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Car ce matin-là, la très overbookée patronne des Mines Harper, Stephanie, veut prendre le temps de piquer une tête dans sa superbe piscine bleue à l'eau, il faut bien le reconnaître, très opaque. Juste le temps de se débarrasser de son peignoir blanc – très certainement chipé dans un hôtel 5 étoiles où elle a l'habitude de séjourner lors de ses nombreux voyages d'affaires –, et la voici, sculpturale, testant la température de l'eau de son petit orteil, dans un superbe maillot de bain une pièce rose fané, période pré-Alerte à Malibu.

Dans le fond de la piscine avec le petit crocodile

Dan, qui s'apprête à aller jouer du scalpel dans sa clinique, revient sur ses pas ayant oublié les clés de sa voiture. Stephanie plonge élégamment dans sa piscine pour y faire quelques longueurs, proposant au passage aux téléspectateurs une nouvelle nage, quelque part entre le dos crawlé mais sans les bras et la nage indienne mais sur le dos.

La malheureuse ne peut donc voir le crocodile (encore un !) tapi à quelques mètres d'elle dans l'eau saumâtre de la piscine, placé là, en toute simplicité, sur les ordres de sa rivale Jilly. Les cuivres grondent. Le crocodile, malin, attend sa proie, sans broncher, profitant certainement de la délicieuse eau chlorée de ce somptueux bassin. Pendant ce temps, la caméra s'attarde à l'intérieur de la maison où Dan joue à Fort Boyard en quête de ses maudites clés. C'est à ce moment que Stephanie, certainement épuisée par sa demi-longueur, s'aventure au fond de sa piscine et se retrouve nez à museau avec notre ami le saurien. La jeune femme hurle… sous l'eau. La musique s'affole.

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Dans son bureau, le chirurgien vient de remettre la main sur ses clés lorsque cette paisible matinée australienne est déchirée par les cris de son épouse. Ni une ni deux, il s'empare d'un élégant révolver, prend bien le temps de vérifier qu'il est chargé et se précipite à vitesse petit V à l'extérieur. Stephanie, elle, cherche désespérément à atteindre le bord mais semble faire du surplace, tandis que la mâchoire de l'alligator s'ouvre et se referme derrière elle sans que jamais le paresseux animal, pas très finaud, ne parvienne à lui croquer, ne serait-ce qu'un petit orteil, ni même à la rattraper Ouf, plus de peur que de mal, l'héroïne s'extirpe in extremis de la piscine, pendant que son mari vide son barillet sur l'animal, teintant l'eau d'une pauvre tache rouge.

Des images de Stephanie se débattant dans les marécages viennent alors opinément rappeler au téléspectateur que, oui, elle a déjà dû affronter un semblable événement par le passé. Au cas où quelqu'un l'aurait oublié… Faut-il le regretter ou s'en réjouir, La Vengeance aux deux visages n'aura pas d'autres occasions de se la jouer « Dents de la piscine » : la série ne connaîtra pas de saison 3. Il ne faut pas prendre les téléspectateurs pour des thons, – pas avec un « c »… comme crocodile.

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Commentaires (3)

  • LR

    Très bien écrit et j'en pince pour le crocodile (libre de droits... )

  • rondelette

    Que ma vieille maman, décédée. Adorait la Vengeance aux deux visages, ne vous en déplaise !

  • Damnad

    Est d’abord un livre en deux tomes…et il vient de ressortir en format poche. L’auteure s’appelle Rosalind Miles…