« The Creator » : Gareth Edwards, le réalisateur qui rêve de blockbusters bon marché

L’homme derrière « The Creator », en salle depuis mercredi, a fabriqué son film avec des méthodes économes pour un résultat stupéfiant à l’écran. Enjeu : sa liberté créatrice. 

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Gareth Edwards, réalisateur de Monsters, Godzilla, Rogue One :  A Star Wars Story et The Creator, qui vient de sortir dans les salles françaises.
Gareth Edwards, réalisateur de Monsters, Godzilla, Rogue One :  A Star Wars Story et The Creator, qui vient de sortir dans les salles françaises. © © 2023 / 20th Century Studios / New Regency

Temps de lecture : 7 min

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Le film The Creator va-t-il vraiment faire bouger les lignes de la SF ? Produite pour la somme, incroyablement modeste au vu des fastes déployés à l'écran, de 80 millions de dollars, la fresque d'anticipation du réalisateur Gareth Edwards a pour mission de prouver qu'il est possible de financer à bas coût un grand spectacle à effets spéciaux. Avantage : moins de pression de la part du studio, plus de liberté artistique et un box-office a priori plus rentable. En France, The Creator a caracolé en tête des sorties de ce mercredi 27 septembre avec 32 000 entrées, tandis que son premier week-end d'exploitation aux États-Unis, où il sort ce vendredi face à Saw X, devrait chatouiller les 20 millions de dollars de recettes (sources : Comscore France, Box office Pro). Les experts s'accordent à fixer autour de 160 millions à 200 millions de dollars le pactole nécessaire à empocher en salle pour que le film soit une affaire rentable.

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Gareth Edwards, 48 ans, explique à longueur d'interviews, des deux côtés de l'Atlantique, comment il est parvenu à maintenir au ras des pâquerettes (ou presque) l'enveloppe de The Creator : en réduisant au maximum l'équipe de tournage sur le terrain, en utilisant des caméras et des lumières ultralégères permettant de se déplacer plus rapidement d'un site à l'autre (donc de gagner du temps) et en tournant essentiellement en décors et éclairages naturels, dans 80 lieux différents à travers huit pays d'Asie du Sud-Est (Thaïlande, Népal, Cambodge, Indonésie…).

Filmé avec une caméra unique Sony ultralégère

Paradoxalement, ces sauts de puce à l'étranger ont coûté moins cher que la pratique habituelle des blockbusters de ces dernières années : fabriquer des décors en plateau avec des fonds verts nappés d'images de synthèse en postproduction. Enfin, la polyvalence était encouragée sur le plateau, certains techniciens s'occupant à la fois des cadrages et des éclairages, tandis que la caméra numérique unique utilisée pour tout le film (une Sony FX3), extrêmement sensible à la lumière, permettait de « filmer de nuit avec la lune pour seul éclairage ». « Autrement dit, on pouvait se passer des gigantesques spots habituels qu'on voit souvent sur les plateaux de cinéma », résume Gareth Edwards dans le dossier de presse de The Creator.

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Parallèlement, le réalisateur nuance la mythologie d'un long-métrage tourné entièrement en décors naturels : « Si on a pu adopter cette démarche très spontanée, c'est aussi parce qu'on savait qu'on était accompagnés par une formidable société d'effets visuels. ILM a pris des risques pour assurer le plus grand réalisme possible à The Creator, ce qui nous a permis de filmer les acteurs sans combinaison de motion capture et sans avoir besoin de marqueurs disposés un peu partout dans le décor […] Cela dit, il était évident qu'on ne pouvait pas tourner l'intégralité du film en décors naturels. Pour certaines séquences, on a eu recours au StageCraft, un dispositif de murs LED révolutionnaire mis au point avec Greig Fraser [le chef opérateur, en binôme avec Oren Soffer, NDLR] sur Rogue One : A Star Wars Story. »

John David Washington et Madeleine Yuna Voyles dans<em> The Creator.</em>
 ©  © 2023 20th Century Studios. All Rights Reserved.
John David Washington et Madeleine Yuna Voyles dans The Creator. © © 2023 20th Century Studios. All Rights Reserved.

Rogue One, un souvenir mitigé

Venu lui-même du secteur des effets visuels, qu'il maîtrise en orfèvre, Gareth Edwards avait déjà réussi, en 2010, à signer comme premier long-métrage l'incroyable Monsters, singulier cocktail entre road movie, romance et invasion de mastodontes aliens, carrossé comme une superproduction malgré une tirelire à peine plus élevée que celle d'un court-métrage de luxe. En 2014, pour un peu plus de 160 millions de dollars, Edwards avait érigé avec Godzilla un film de kaiju de toute beauté, qui, encore aujourd'hui, atomise visuellement ses pathétiques suites confiées à des tâcherons (Godzilla 2, roi des monstres en 2019 et Godzilla vs Kong en 2021).

Et en 2016, Lucasfilm et Disney l'embauchèrent pour superviser Rogue One : A Star Wars story, préquel de La Guerre des étoiles acclamé par la critique et le public (plus de 1 milliard de dollars de recettes au box-office !) mais dont le tournage et la postproduction laissèrent un cuisant souvenir au jeune prodige, dépossédé de ce film dont le dernier tiers fut en partie réécrit et retourné par un autre réalisateur (Tony Gilroy) pour des raisons encore mal discernées.

C'est précisément pour éviter d'être de nouveau écrasé par la logistique d'un mégabudget, et l'interventionnisme du studio qui l'accompagne, que Gareth Edwards a imposé les conditions de production frugales de The Creator. Filet d'une voix douce et posée, accent gallois distingué, visage et allure juvéniles, en jean et baskets… Difficile d'imaginer que notre interlocuteur s'est frotté à des machines de guerre aussi impitoyables que Godzilla et Rogue One : a Star Wars Story. Artiste doué d'une authentique vista pop (l'esthétique de son Rogue One hante pratiquement toutes les séries Star Wars de Disney+), Gareth Edwards revient donc en force en 2023 avec The Creator, engendré avec son complice producteur Jim Spencer, déjà à l'œuvre sur Monsters.

Équipe réduite et tournage en mode « guérilla » pour <em>The Creator.</em>
 ©  Glen Milner / Glen Milner © 2023 20th Century Studios. All Rights Reserved.
Équipe réduite et tournage en mode « guérilla » pour The Creator. © Glen Milner / Glen Milner © 2023 20th Century Studios. All Rights Reserved.

Regardez “Joker” : grâce à son budget de 55 millions de dollars, une vision d’auteur a pu être défendue et en plus le film a dépassé le milliard de dollars de recettes. Tout le monde s’y retrouve.Gareth Edwards

The Creator est certes hélas, bancal, un brin trop programmatique et incohérent pour nous passionner autant qu'attendu, mais il ose au moins proposer un spectacle ébouriffant, une histoire 100 % neuve (cosignée par Edwards et son coscénariste Chris Weitz) ainsi qu'un modèle de production assaini. Un paradigme applicable aux blockbusters du genre à venir – à condition que The Creator attire les foules. Mais pour Edwards, l'objectif de produire mieux et moins cher est la condition sine qua non du retour à une certaine liberté pour les cinéastes dans le système complètement congestionné des blockbusters hollywoodiens : « Je suis souvent découragé quand j'entends parler d'un jeune et talentueux réalisateur qui a été choisi par un studio pour diriger le film d'une grosse franchise, quand à l'arrivée, je ne reconnais rien de sa patte à l'écran. Le film pourrait être aussi bien réalisé par n'importe qui », nous confie le cinéaste lors de notre rencontre à Paris.

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Gareth Edwards poursuit : « Lors des entretiens d'embauche, les studios vous promettent qu'ils adorent ce que vous faites et que c'est pour votre univers et votre style qu'ils vous engagent. Mais ils vous imposent ensuite des process dont vous ne voulez pas et contre lesquels il vous est impossible d'imposer votre voix. Je rêve de nouveaux moyens de faire des blockbusters, mais quand un film coûte autant d'argent que 200 millions de dollars, les studios jugent impensable l'idée du moindre risque et ils privent systématiquement le réalisateur du contrôle de la production. »

“Rogue One” fut une expérience très douloureuse, un film aux enjeux et à la pression démentiels.Gareth Edwards

L'équipe en plein tournage de <em>The Creator</em> quelque part en Asie...
 ©  Oren Soffer  / Oren Soffer © 2023 20th Century Studios. All Rights Reserved.
L'équipe en plein tournage de The Creator quelque part en Asie... © Oren Soffer / Oren Soffer © 2023 20th Century Studios. All Rights Reserved.

Pour Edwards, un budget resserré à 30 ou 50 millions de dollars permettrait une renaissance de la tolérance au pari à Hollywood et pourrait se révéler payant pour tout le monde : « Regardez Joker de Todd Phillips en 2019 », ajoute Edwards : « Saviez-vous que son chef opérateur est le même que celui qui a fait Godzilla 2 [Lawrence Sher, NDLR] ? On serait pourtant bien incapable de le deviner tant les deux films ne se ressemblent guère. Dans le cas de Joker, grâce à son budget de 55 millions de dollars, une vision d'auteur a pu être défendue et, en plus, il a dépassé le milliard de dollars de recettes. Tout le monde s'y retrouve. »

Même s'il botte en touche concernant ses déconvenues sur le mégabudget Rogue One (après une question sur le sujet, il répond au bout d'un long silence : « Une grande part de ce qui a été publié sur le sujet est de la désinformation »), Gareth Edwards concède avoir vécu ce spin-off de la saga Star Wars comme une véritable guerre contre l'Empire : « Ce fut une expérience très douloureuse, un film difficile à faire, avec lequel je suis longtemps resté coincé sous une pression et des enjeux démentiels. Je suis soulagé de savoir que certains fans classent Rogue One parmi les meilleurs Star Wars mais je ne suis, hélas, pas d'accord avec toutes ces louanges parce que, à chaque fois que je le revois, tous ses défauts me sautent aux yeux. Cela dit, je préfère en avoir bavé sur un long-métrage qui semble aujourd'hui apprécié par tous, plutôt que d'avoir vécu un tournage harmonieux sur un film détesté du public. Je choisirai toujours la première option. »

Il ne reste plus donc à The Creator que de prouver, avec un box-office suffisamment solide, que la méthode Edwards est une voie viable pour la fabrication de blockbusters coûteux en effets spéciaux. Que la Force soit avec lui.

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