« Jurassic World : le monde d’après » : crétacé, c’est assez !

Toujours plus nombreux, toujours plus bêtes, les dinosaures insatiables reviennent dans un sixième film dévorant tous les râteliers possibles. Coupez !

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Owen Grady (Chris Pratt) en mauvaise posture à Malte dans Jurassic World : le monde d'après.
Owen Grady (Chris Pratt) en mauvaise posture à Malte dans Jurassic World : le monde d'après. © Universal Pictures and Amblin Entertainment

Temps de lecture : 6 min

Voici presque trente ans, Steven Spielberg révolutionnait le cinéma des effets spéciaux et le 7e art tout court avec le premier Jurassic Park. En 2022, avec son associé Frank Marshall pour le compte du même studio Universal, il se contente, comme producteur de Jurassic World : le monde d'après, de presser les dernières gouttes d'une formule vieillissante. On aimerait tellement ajouter « … et en voie d'extinction définitive », mais il y a fort à parier que ce sixième volet de la saga (le troisième sous le label Jurassic World) dominera une fois de plus la chaîne alimentaire du box-office. Pour notre part, les interminables 2 h 26 de cet indigeste gloubi-boulga du crétincé nous ont définitivement coupé l'appétit.

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Les scénaristes, ces fripouilles, avaient pourtant su nous appâter avec un os aussi gros qu'un fémur de T-rex : cette satanée nostalgie du film initial, sorti en 1993. Astuce marketing très prisée depuis quelques années à Hollywood, Jurassic World : le monde d'après nous est ainsi vendu comme une legacy sequel, à l'instar des récents Halloween, SOS Fantômes : l'héritage, Scream et bien d'autres. Principe : bricoler une suite promettant de renouer avec l'esprit du moule original et qui, aux côtés des acteurs nouvelle génération, tire de la naphtaline la vieille garde préhistorique. En plus de Jeff Goldblum dans le rôle du mathématicien dragueur Ian Malcolm (qui faisait déjà une courte apparition dans le précédent volet, Fallen Kingdom), les paléontologues Ellie Sattler (Laura Dern) et Alan Grant (Sam Neil) reprennent donc du service pour la plus grande joie supposée des fans.

Sauterelles géantes dévoreuses de récoltes

Les vétérans vont unir leurs efforts à ceux de Claire Dearing (Bryce Dallas Howard) et Owen Grady (Chris Pratt), le couple star des films Jurassic World, pour défaire les plans d'un nouveau milliardaire apprenti sorcier, le Dr Lewis Dodgson (Campbell Scott). Quatre ans après les événements de Jurassic World : Fallen Kingdom, une vingtaine d'espèces de dinosaures sont éparpillées sur Terre et coexistent à grand-peine avec les humains. Face aux nombreux accidents mortels et au braconnage qui menace les mastodontes, les Nations unies ont décidé de confier au groupe biotech Biosyn, dirigé par Dodgson, le soin de rapatrier les bêtes dans un nouveau sanctuaire au cœur des Dolomites. L'étude de leur génome pourrait par ailleurs aider la recherche médicale…, mais le scientifique businessman fomente d'autres plans, bien plus sinistres. Parmi eux, la culture d'une nouvelle race de sauterelles géantes dévoreuses de récoltes, créées à partir de leur ADN du crétacé (si, si).

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Le film fait péniblement avancer deux trames parallèles. Intrigue A : le couple ressoudé Claire/Owen, reclus dans une cabane au fond des bois dans le Nevada avec leur fille adoptive, la gamine clonée Maisie Lockwood (cf. précédent épisode). Owen dresse des troupeaux de Parasaurolophus et croise parfois en forêt sa grande copine raptor Blue en liberté ; Claire dirige toujours une ONG de protection des dinos et porte des vestes en bambou durable ; Maisie enrage de ne pouvoir vivre comme n'importe quelle autre ado et fugue à vélo. Elle se fait kidnapper par des mercenaires à la solde du méchant Dodgson – à l'affût de son ADN – qui l'expédient en Europe. Intrigue B : Ellie Sattler convainc son ex-compagnon Alan Grant de l'aider à enquêter sur les agissements suspects de Biosyn et ses supersauterelles… Tout ce petit monde se croisera bientôt dans le complexe de la multinationale, qui abrite aussi un campus où Ian Malcolm enseigne en tant que consultant.

De gauche à droite : les scientifiques Ian Malcolm (Jeff Goldblum), Alan Grant (Sam Neill), Ellie Sattler (Laura Dern), Claire Dearing (Bryce Dallas Howard), Owen Grady (Chris Pratt) ainsi que Maisie Lockwood (Isabella Sermon) et Kayla Watts (DeWanda Wise) dans <em>Jurassic World : le monde d'après.</em>
 ©  John Wilson/Universal Pictures and Amblin Entertainment
De gauche à droite : les scientifiques Ian Malcolm (Jeff Goldblum), Alan Grant (Sam Neill), Ellie Sattler (Laura Dern), Claire Dearing (Bryce Dallas Howard), Owen Grady (Chris Pratt) ainsi que Maisie Lockwood (Isabella Sermon) et Kayla Watts (DeWanda Wise) dans Jurassic World : le monde d'après. © John Wilson/Universal Pictures and Amblin Entertainment

Personnages creux, mise en scène générique

Las, Le monde d'après ressemble surtout à un pot-pourri du monde d'avant. Les fans de tous les précédents opus auront droit à leur petite louche de madeleine, tandis qu'une bonne partie de l'intrigue clone celle de Fallen Kingdom de Juan Antonio Bayona. La grande « nouveauté » réside ici dans l'ambition de faire voler en éclats le cadre habituel de la franchise. Foin de parc jurassique, adios l'île tropicale au large du Costa Rica : place à un récit éclaté qui nous emmène des quatre coins de l'Amérique aux Dolomites italiennes en passant par un intermède à Malte, plaque tournante du trafic des reptiles fossiles. On nous promet une ambiance au carrefour de James Bond, de Jason Bourne et d'Indiana Jones, et après tout, pourquoi pas. Souci de taille XXL : l'exécution médiocre de toutes ces belles intentions. Le réalisateur Colin Trevorrow (déjà à l'œuvre en 2015 sur Jurassic World) n'est ni Spielberg ni même Bayona et ne parvient presque jamais à injecter une once de nervosité ou de prestance à cette aventure prémâchée. Le spectacle devrait nous décrocher la mâchoire, il engourdit nos paupières.

Les Velociraptors Beta et sa maman Blue dans <em>Jurassic World : le monde d'après</em>, coécrit et réalisé par Colin Trevorrow.
 ©  Universal Pictures and Amblin Entertainment
Les Velociraptors Beta et sa maman Blue dans Jurassic World : le monde d'après, coécrit et réalisé par Colin Trevorrow. © Universal Pictures and Amblin Entertainment
Les péripéties s'enchaînent, souvent spectaculaires, mais les personnages sont si creux, la mise en scène si générique, voire parfois illisible, et le script à ce point truffé d'inepties que rien n'accroche. Encore moins durant les scènes d'attaque des titans, dévitalisés à force d'être fréquemment distancés, évités, ridiculisés par des humains miraculeusement plus rapides et agiles, échappant aux géants dans des circonstances toujours plus proches du cartoon. On pense en particulier à ce grotesque décalque d'une course-poursuite à la Jason Bourne (en effet, la référence saute aux yeux) entre Claire et un Raptor sur les toits de La Valette ou cette autre cavale dans les rues de la capitale maltaise entre Grady à moto et une bande d'Allosaurus. Le contexte et les axes de caméra empestent le déjà-vu (voire le photocopiage pur et simple de certains plans du Gemini Man d'Ang Lee) et l'on reste toujours très, très loin de l'effroi suscité par le premier assaut du T-rex dans Jurassic Park.

Tristement médiocre, le film de Colin Trevorrow n’est que le nouvel avatar d’une pop culture mémorielle sans saveur ni talent, qui tôt ou tard s’éteindra par tant de paresse mais persiste à l’ignorer.

À vrai dire, dans le fatras d'une intrigue inutilement chargée, obnubilée par son politiquement correct et un discours écolo certes en pleine résonance avec l'actualité, les dinosaures semblent relégués au second plan, malgré leur démultiplication jusqu'à la nausée. Ils sont banalisés, victimisés, humanisés à l'absurde. L'anthropomorphisme dégoulinant appliqué au raptor Blue atteint des proportions telles que même Malcolm le questionne, jusqu'à un adieu final dont l'humour involontaire déclenchera encore des rires dans trois millénaires. Le traitement scénaristique des humains mériterait aussi un gros coup de griffe. Omar Sy revient dans le rôle fantoche de Barry Sembène, pour être bazardé sans explication au bout de dix minutes. DeWanda Wise incarne une ex-pilote militaire lesbienne reconvertie convoyeuse de dinos braconnés, qui va prendre fait et cause pour Claire et Owen en un battement de cils. Et pour une scène de retrouvailles assez touchante entre Sattler et Grant, sous une tente en Utah, combien de dialogues mornes aux punchlines usées, débitées sans conviction par des comédiens en service commandé – mention spéciale à un Jeff Goldblum complètement absent et un Chris Pratt au regard de teckel battu, semblant nous implorer de le tirer de cette galère.

Boursouflé, mal rythmé, impersonnel, Jurassic World : le monde d'après n'est même pas le pire blockbuster à s'infliger au rayon king size – l'abominable Godzilla vs Kong peut dormir tranquille. Tristement médiocre, le film de Colin Trevorrow n'est que le nouvel avatar d'une pop culture mémorielle sans saveur ni talent, qui tôt ou tard s'éteindra par tant de paresse mais persiste à l'ignorer. Portée par la notoriété de la marque et du logo, l'arnaque va sans doute encore faire illusion et drainer les foules qui auront oublié la séance aussi rapidement que leur dernier Big Mac. À moins d'un cri salutaire du public, lassé d'ingurgiter les sempiternelles clowneries réchauffées du Crétacé ? On peut toujours rêver.

Jurassic World : le monde d'après, de Colin Trevorrow. Sortie en salle le 8 juin.

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Commentaires (10)

  • BARONDEDAMAS

    J'ai un principe : faire exactement le contraire de ce que préconise ce critique depuis que j'ai vu Dune qu'il a encensé. Et ca tombe pile a chaque fois

  • huguemarthe

    Ce qui fait vendre, sont les recherches sur la génétique, et une publicité pour ces établissements est la bienvenue. De vieux clous comme Malcom, ancien bluesman venu jusqu'à Paris dans les années 1990 font des recettes pour finir leurs vieux jours !

  • Mr White

    Quand on se souvient de mots employés par M. Guedj dans son article sur Top Gun : Maverick (en gros, un éblouissant lever/coucher de soleil dont on sortait - selon lui - en extase), on est en droit de se demander ce que peut signifier sa critique acerbe du nouveau Jurassic Park (mais je n’en ai pour l’instant lu que les "bons mots