« Godzilla vs Kong » : choc de titans, fiasco géant

Comme le précédent film de la saga, ce nouvel avatar affiche une paresse colossale et massacre de ses petits pieds l’utopie d’un blockbuster de qualité.

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Choc de titans, arnaque en grand :  Godzilla vs Kong d'Adam Wingard
Choc de titans, arnaque en grand :  Godzilla vs Kong d'Adam Wingard © Warner Bros.

Temps de lecture : 7 min

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C'est une autre épidémie à laquelle il faudra désormais s'habituer : l'effondrement abyssal, tel un puits sans fond, du niveau intellectuel mais aussi technique des blockbusters hollywoodiens. En nette croissance à l'orée des années 2010, la tendance est vraiment devenue lourde – dans tous les sens du terme – depuis environ cinq ans. Les lecteurs fines gueules du Point Pop ne le savent que trop, nous qui exprimons régulièrement notre abattement à chaque nouvelle purge, malgré des attentes révisées sans cesse à la baisse. Et, en 2021, c'était à peine remis de l'effroyable dinde Wonder Woman 1984que nous recevIons en pleine poire l'uppercut Godzilla vs Kong, lequel nous laissait KO debout, assommés. Terrassés. Irradiés.

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Toujours plus gros, toujours plus Kong, ce quatrième long métrage radioactif de la franchise du « monsterverse », lancée de concert en 2014 par les studios Warner Bros et Legendary, illustre à son tour l'inexorable déclin décennal des machines à divertir venues de l'Ouest. Mais cette fois, les proportions du ratage dépassent l'entendement et, dans les renoncements qu'elles révèlent, confirment l'inquiétante marche de Hollywood vers une idiocratie quasi systémique.

Conclusion de la préparation au combat des deux titans au fil des trois films précédents de la saga, Godzilla vs Kong s'ouvre sur la destruction par Godzilla, à Pensacola (Floride), d'une base ultrasecrète de l'organisation Apex Cybernetics. Cette dernière cherche à contrôler la source d'énergie du lézard géant, qu'elle soupçonne de provenir du centre du globe, dans un monde inexploré baptisé « la Terre creuse », à la gravité inversée et peuplée de créatures gigantesques. Okay. Pendant ce temps, Kong vit tranquillement sa vie de colosse sur son île du Pacifique à forme de crâne, désormais surveillé de près par les scientifiques de l'organisation Monarch, qui l'ont placé sous un dôme géant pour éviter toute confrontation avec Godzilla.

Prédateur alpha de la planète, ce dernier ne supporte pas la concurrence et peut flairer le gorille à des milliers de kilomètres à la ronde. Les cerveaux d'Apex et Monarch vont unir leurs forces pour sortir malgré tout Kong de sa retraite et le transporter en Antarctique afin qu'il leur serve de guide vers la porte d'entrée de la Terre creuse. On oubliait : dans l'équipage, au côté de l'anthropologue Ilene Andrews (Rebecca Hall) et du géologue Nathan Lind (Alexander Skarsgard), figure la petite Jia (Kaylee Hottle), native de l'île du Crâne adoptée par Ilene, et qui communique avec Kong par un mélange de télépathie et de langage des signes. Voilà. On a résumé au mieux le gloubi-boulga qui sert de scénario à ce machin rempli de monstres pas gentils (non, ce n'est pas le paradis !). Mais vous verrez, en vrai, c'est encore plus capharnaümesque.

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La déchéance d'une franchise

Tout avait pourtant commencé sans trop de casse pour les démolisseurs de gratte-ciel : en 2014, donc, Godzilla premier du nom, signé Gareth Edwards, décevait certes un brin en raison de héros un peu creux et d'un certain manque de rythme. Mais il se faisait pardonner par une mise en scène à couper le souffle et des effets en image de synthèse au croisement du réalisme et de la sublimation mythologique. Malgré ses imperfections, le film avait une âme et nous en mettait plein la vue, sur fond d'hommage respectueux au Godzilla nippon créé en 1954 dans le classique d'Ishiro Honda.

En 2017, Kong : Skull Island, centré cette fois sur le grand singe atrabilaire et posant les bases du futur duel avec Godzilla, voyait déjà le Q.I général baisser d'un cran et des effets visuels en voie de standardisation. Mais grâce à ses clins d'œil ludiques aux seventies, une réinterprétation intéressante de la légende King Kong et de gros morceaux d'action taille XXL bien ficelés, la pilule passait – sans compter la présence au générique de Samuel L. Jackson, Brie Larson et Tom Hiddleston, pas vraiment des bras cassés dans leur spécialité.

En 2019, Godzilla II : roi des monstres de Michael Dougherty sonnait le tocsin de la défaite. Adieu les ambitions formelles de Gareth Edwards, aux orties les humains un tant soit peu crédibles, balayée l'esthétique léchée du premier film au profit d'une ignoble bouillie visuelle fluorescente. La multiplication des monstres à l'écran (Mothra la mite géante, Rodan le ptérosaure, King Ghidora le dragon à trois têtes, créatures classiques du genre Kaiju inauguré au Japon) n'empêchait guère le spectateur de piquer du nez, consterné voire agacé par l'impression d'une escroquerie généralisée.

Quant au Godzilla vs Kong qui nous « intéresse », il poursuit son œuvre de destruction massive du plaisir régressif. Réalisé par Adam Wingard, transfuge du cinéma d'horreur paumé ici dans le gigantisme d'une entreprise qui le dépasse totalement, ce film sorti le 31 mars dans les salles américaines (et simultanément sur la plateforme HBO Max) symbolise tous les maux qui rongent actuellement le cinéma de divertissement hollywoodien, géant aux pieds d'argile tourmenté par l'ouragan streaming. Et dans le cas de Godzilla vs Kong, tous les voyants sont au rouge.

Godzilla s'éclate en boîte de nuit à Hongkong.
 ©  Warner Bros.
Godzilla s'éclate en boîte de nuit à Hongkong. © Warner Bros.

Personnages débiles aux frontières du supportable

Pandémie et spectateurs en manque de grand spectacle obligent, ce premier mammouth à sortir aux États-Unis depuis la réouverture des cinémas à New York et Los Angeles fait salle comble – à jauges réduites – depuis sa sortie américaine. Tant mieux pour les exploitants et le 7e art comme industrie, on ne peut sincèrement que s'en réjouir. Mais tant pis pour une certaine idée, devenue utopie, de blockbusters alliant les explosions au savoir-faire, le gigantisme à la dimension humaine. Rien de tout cela au fil des 113 minutes éprouvantes du crottin fumant d'Adam Wingard. Comme si ses auteurs s'étaient lancés dans un concours d'indigence avec leurs confrères de Wonder Woman 1984, le film aligne les invraisemblances, illogismes, concepts sans explication… Le tout dans une proposition de mise en scène parfaitement inodore et incolore malgré le chrome écœurant d'images de synthèse de moins en moins photoréalistes et de plus en plus voisines de cinématiques de jeu vidéo.

On n'est pas mieux servi par le traitement des monstres ou de personnages débiles aux frontières du supportable. Le prologue du film nous montre Kong au réveil sur son île, puis qui s'étire et… se gratte les fesses, avant de se doucher sous des chutes d'eau géantes. Le mythe s'effrite. La première apparition de Godzilla, lors de l'attaque de Pensacola, ne procure pas la moindre espèce de frisson, en raison d'une absence totale de montée en puissance et d'une caméra se contentant des éternels mouvements circulaires rasant la bête, déjà vus mille fois depuis le règne des images de synthèse.

On repense à la première apparition du T-Rex dans Jurassic Park, voici déjà presque 28 ans, ou même à celle dudit Godzilla dans le film de 2014 et l'on réprime un râle de dépit. Le lézard hurleur ravage les buildings, c'est spectaculaire, oui, mais on s'en fiche. Au moins lui ne nous hérisse pas autant le poil que l'imbuvable lanceur d'alerte supposément comique Bernie Hayes (joué par Brian Tyree Henry) ou l'atroce tandem d'ados aventuriers formé par le joufflu à lunettes Josh et son amie Madison Russell, fille du scientifique de Monarch Mark Russell (Kyle Chandler), déja vue dans Godzilla 2 : roi des monstres. Probablement la pire interprète de Hollywood en activité, son interprète Millie Bobby Brown (Stranger Things, Enola Holmes…) déroule son habituel registre de cheftaine crâneuse plus maligne que tout le monde – et qui pourtant, dans le film, écoute religieusement le podcast complotiste de Bernie le zinzin qui croit aux Illuminati.

Godzilla n'apprécie guère la concurrence de Kong et ne se prive pas de le montrer.
 ©  Warner Bros.
Godzilla n'apprécie guère la concurrence de Kong et ne se prive pas de le montrer. © Warner Bros.

Une certaine honte de cinéma

On ne compte plus dans Godzilla vs Kong les comportements absurdes ou idées sans explication : les gamins et Bernie entrent comme dans un moulin dans le complexe souterrain ultrasensible d'Apex pour révéler les magouilles du groupe ; Jia s'approche seule et sans aucune surveillance d'un Kong enchaîné sur le supertanker en route pour l'Antarctique ; le concept de la Terre creuse n'a ni queue ni tête – on est au centre de la Terre mais le soleil perce à travers un ciel nuageux ; Kong, en Terre creuse, se saisit d'une hache gorgée d'une énergie qui se recharge dans la pierre, en mode smartphone… Impossible de citer toutes les incongruités du film, on y passerait la journée. Sans caractérisation ni motivations identifiables, les personnages réduits à leur fonction se résument à des ectoplasmes ânonnant des dialogues sidérants de fainéantise : « Mais pourquoi on l'aiderait ? », demande fort justement Josh à Madison au sujet de Bernie. Réponse : « Parce que si on ne l'aide pas, personne ne le fera ! » La peine et la compassion nous saisissent pour des interprètes pourtant doués comme Rebecca Hall ou Kyle Chandler, égarés dans ce pathétique spectacle. Lequel pourrait à la limite nous divertir au quinzième degré si la mise en scène tentait de sortir des sentiers battus. Peine perdue !

Passons sur le rebondissement final faisant intervenir un troisième monstre majeur contre lequel Kong et Godzilla finiront par s'unir – il comporte aussi son lot d'inepties et une résolution à hurler de bêtise, mais qu'importe, le RubiKong a été franchi depuis belle lurette. Godzilla vs Kong ne sort pour l'instant qu'en achat digital sur les plateformes habituelles de VOD. Warner n'exclut pas une sortie en salle, si ces dernières ouvrent bel et bien à la mi-mai et le film drainera probablement les foules. Ce sera sans nous : l'expérience sur petit écran fut un supplice qu'on ne souhaite vivre qu'une fois dans sa vie – comme Wonder Woman 1984. Renoncement à un niveau élémentaire d'écriture, à toute audace, à toute volonté de voir grand sans pour autant sacrifier la qualité ni insulter notre intelligence, Godzilla vs Kong incarne une certaine honte de cinéma. Une régression à pas de géants.

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Commentaires (5)

  • neyam

    A force de surenchère d'effets spéciaux et le manque de dialogue on arrive à ce genre de navets. Il y a saturation. C'est un peu comme les marvels. Depuis Ironman 1 rien de bien convainquant et surtout un manque d'originalité.

  • kdb1

    Budget du film : 200 millions de $
    Recettes au box office : 470 millions de $
    Gros avantage : les navets hollywoodiens ne coûtent rien au contribuable américain. Je n'en dirais pas autant des navets intello-politico-sociologiques français dont on nous abreuve.

    Après tout, si des spectateurs sont prêts à payer pour regarder ce truc et qu'ils le rentabilisent, cela ne me pose aucun problème.

  • Callaghan

    Hollywood comme le cinéma français largement subventionné, ne fait que répondre à la demande ! Bon, nous en France avons les Tuches, Camping, les Chtis et une ribambelle de films pseudos intello-socios qui nécessitent beaucoup moins de moyens...