Arthur Penn : nous avons classé les sept chefs-d'œuvre du cinéaste

La Cinémathèque française rend hommage jusqu’au 29 février à ce grand réalisateur américain avec une rétrospective complète de son œuvre. Incontournable.

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Bonnie et Clyde, d'Arthur Penn en 1967.
Bonnie et Clyde, d'Arthur Penn en 1967. © Prod

Temps de lecture : 9 min

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Jusqu'au 29 février, la Cinémathèque française honore Arthur Penn, l'un des cinéastes américains les plus audacieux de sa génération, avec une rétrospective qui propose l'intégrale de ses films sur grand écran, dont certains présentés en version restaurée. Avec seulement quatorze longs-métrages en trente-huit ans, Penn n'est pas un réalisateur très prolifique. Mais la cohérence de son œuvre et son importance dans le cinéma américain restent incontestables.

Jugez plutôt : La Poursuite impitoyable (1966),magnifique plaidoyer antiraciste et anti-maccarthyste avec Marlon Brando et Robert Redford ; Bonnie et Clyde (1967), avec lequel Penn réinvente le film de gangsters ; Little Big Man (1970), avec lequel il réinvente cette fois le western et offre à Dustin Hoffman l'un de ses plus grands rôles ; La Fugue (1975), perle méconnue du polar noir avec Gene Hackman en privé moustachu… De singulières propositions qui ont, chacune à leur niveau, constitué autant d'électrochocs, mêlant regard politique sans concession sur l'Amérique et récits puissants illuminés par une magnifique direction d'acteurs.

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Né en 1922 dans une famille juive venue de Russie, Arthur Penn, intellectuel new-yorkais pur jus, a d'abord fait ses classes dans les années 1950 à la télévision, alors en plein essor dans les foyers américains. Puis il s'initia aux méthodes de l'Actors Studio et devint un metteur en scène de théâtre très réputé, montant plusieurs pièces à succès.

Le Gaucher (The Left Handed Gun) le révèle en 1958. Une relecture psychanalytique et œdipienne du mythe de Billy the Kid, joué par un Paul Newman débutant. Un western freudien mutilé par la Warner, qui chassa le réalisateur de la salle de montage.

Très influencé par le cinéma européen, ce pionnier du Nouvel Hollywood va ensuite construire une œuvre riche, complexe et adulte. Ses personnages sont toujours des exclus qui cherchent leur place dans la société. Des hors-la-loi – Billy le Kid, Bonnie et Clyde, les bandits de Missouri Breaks (1976) , des marginaux – il porte un regard désenchanté sur la communauté hippie et le mouvement Flower Power dans Alice's Restaurant (1969) –, voire des infirmes la jeune héroïne de Miracle en Alabama (1962) qui affrontent un monde répressif et violent. Il dresse toujours le portrait d'une nation américaine peu reluisante et aime s'attaquer aux tares et aux travers de son pays.

S'il connaît un déclin créatif au milieu des années 1980 – Target (1985), avec Gene Hackman et Matt Dillon en est un exécrable exemple –, cet homme de gauche, disparu en 2010 à l'âge de 88 ans, a laissé derrière lui un héritage important. En faisant le tri dans sa filmographie, Le Point a réalisé une sélection des longs-métrages qui symbolisent le mieux son style. Alors, si vous ne devez découvrir que sept de ses films à la Cinémathèque, assurez-vous que ce soit ceux de ce classement. Et si vous les avez ratés, ils sont tous disponibles en DVD.

7. Georgia (Four Friends, 1981)

Arrivé en Amérique avec de grands rêves au début des années 1960, un immigré yougoslave, le jeune Danilo (Craig Wasson, qui interprétera plus tard le rôle principal dans Body Double de Brian De Palma) se retrouve devant un avenir aux possibilités infinies… Jusqu'à ce qu'il tombe éperdument amoureux de la ravissante Georgia (Jodi Thelen). Une jeune femme exubérante qui aime aussi les deux meilleurs amis de Danilo ! Les choses se gâtent lorsqu'elle tombe enceinte de l'un et en épouse un autre…

Après cinq longues années d'absence, Arthur Penn rompit le silence avec cet ultime grand film. Une vaste et ambitieuse fresque sur l'Amérique des sixties, écrite par le talentueux scénariste d'origine serbe Steve Tesich dont le récit est en partie autobiographique. Situé dans la province industrielle de Chicago, ce mélodrame sur la fin des utopies traite du désenchantement d'une génération qui a cru au rêve américain et a perdu ses illusions.

Penn traite aussi des conflits de générations avec les rapports conflictuels entre Danilo et son père métallo et des courants idéologiques qui ont secoué les États-Unis à cette période. Sur fond de guerre du Vietnam, d'assassinat de Kennedy, de premiers pas sur la Lune, ce film porté par la chanson nostalgique de Ray Charles, « Georgia on my Mind », est une chronique douce-amère sur le temps qui passe en balayant l'innocence et les idéaux. Une œuvre romanesque où la violence surgit sans prévenir lors d'une terrible cérémonie de mariage.

Disponible en DVD chez Rimini Éditions.

6. La Fugue (Night Moves, 1975)

Bide magistral en salle mais super polar , La Fugue est la perle noire du réalisateur. Un film au tempo lent mais fascinant. On y suit un détective privé de Los Angeles, Harry Moseby (un Gene Hackman moustachu), qui fut autrefois joueur de football professionnel. Il est engagé par une vieille actrice de Hollywood afin de retrouver sa fille de 16 ans qui aurait apparemment fugué (Melanie Griffith dans son tout premier rôle à l'écran). Moseby retrouve la gosse de riche en Floride et découvre parallèlement que sa femme a une liaison son amant intello l'emmène voir Ma nuit chez Maud, d'Éric Rohmer au cinéma et Harry rétorque : « J'ai vu un Rohmer une fois. C'était comme regarder de la peinture sécher. »

Volontairement embrouillée, l'intrigue nous perd dans un dédale où l'on croise une galerie de personnages dépravés et malsains (parmi eux, un mécanicien interprété par James Woods). Moseby est aussi un homme sans repères, en proie au doute, incapable de voir clair en lui-même. Un antihéros qui se trompe sur toute la ligne dans son enquête. Le plan final du hors-bord au milieu de l'océan est l'un des plus énigmatiques de l'histoire du cinéma. Méconnu, ce film assez opaque et déroutant mérite d'être redécouvert et apprécié à sa juste valeur. Il dégage un charme très spécial.

Disponible en Blu-ray et DVD chez Warner (imports américains).

5. La Poursuite impitoyable (The Chase, 1966)

Quand Bobby (Robert Redford) s'évade de prison, plusieurs notables craignent qu'il revienne dans sa ville natale pour retrouver la femme de sa vie (Jane Fonda). En effet, son retour pourrait mettre à jour les secrets inavouables de cette petite ville du Texas. Le shérif (Marlon Brando) va tenter de protéger le jeune homme de la fureur de ses habitants et contenir la foule déchaînée, prête à le lyncher… Dans ce drame sudiste, le cinéaste dénonce le racisme et l'intolérance de l'Amérique profonde.

Nihiliste et sans concessions, ce film tendu et étouffant réserve quelques séquences inoubliables, comme le passage à tabac non simulé de Brando par une horde de brutes ! Une scène qui en dit long sur le masochisme de l'acteur, capable de tout pour le Dieu cinéma. Parabole anti-maccarthyste, critique sociale, La Poursuite impitoyable dresse un réquisitoire contre la justice aveugle, baigne constamment dans un climat de cauchemar et provoque le malaise – ce qui explique son terrible échec en salle. Angie Dickinson et Robert Duvall complètent le casting de cette œuvre visuellement soignée et dotée d'un très beau générique créé par Maurice Binder, l'auteur de ceux de la saga James Bond.

Disponible en Blu-ray et DVD chez Sidonis Calysta.

4. Missouri Breaks (The Missouri Breaks, 1976)

En 1880 dans le Montana. Afin de lutter contre les méfaits d'une bande de voleurs de chevaux menée par le fermier Tom Logan (Jack Nicholson), un riche propriétaire terrien engage un régulateur, le tueur à gages Robert Lee Clayton (Marlon Brando), pour mettre hors d'état de nuire les voleurs de bétails. Celui-ci ne tarde pas à découvrir que Logan et la fille rebelle du propriétaire (Kathleen Lloyd) ont une liaison… Dans cet anti-western iconoclaste, Brando livre l'une de ses plus fascinantes compositions dans la peau de ce chasseur de primes corpulent, sadique et efféminé, qui aime se travestir en squaw.

Un personnage pervers, psychotique, étrange, inquiétant, qui donne au film un ton très inhabituel. Son délirant numéro de cabotinage laisse KO son partenaire Jack Nicholson, qui paraît sobre en comparaison – un comble ! Le reste du casting, constitué de gueules comme Randy Quaid, Frederic Forrest et Harry Dean Stanton, est tout aussi superbe.

Il y a aussi les magnifiques accords de guitare, la ligne de basse et l'harmonica de John Williams qui accompagnent ce western iconoclaste. Malgré un scénario brillant, une mise en scène inspirée et la confrontation entre deux monstres sacrés réunis pour la première fois à l'écran, Missouri Breaks sera un échec retentissant en salle. Un de plus pour le réalisateur.

Disponible en Blu-ray et DVD chez Rimini Éditions.

3. Miracle en Alabama (The Miracle Worker, 1962)

Âgée de 12 ans, Helen, une enfant aveugle, sourde et muette, présente tous les symptômes d'une déficience mentale. Coupée du monde, ses handicaps la rendent agressive avec son entourage. Ses parents font alors appel à une éducatrice aux méthodes peu conventionnelles pour la prendre en charge. Elle-même presque aveugle, cette gouvernante aux lunettes noires va mettre tout en œuvre pour établir le contact avec cette enfant sauvage et l'aider à communiquer…

Arthur Penn adapte au cinéma une pièce de Broadway qu'il a mise en scène en 1959. Il avait déjà dirigé Anne Bancroft (dans le rôle de la préceptrice) et la jeune Patty Duke (dans celui d'Helen) sur les planches pendant plus de trois cents représentations. Et les comédiennes furent récompensées par les oscars de la meilleure actrice et du meilleur second rôle féminin pour ce film inspiré de l'histoire vraie d'Helen Keller, qui retrouva l'usage de la parole à force de travail et d'acharnement !

Admirablement interprété, ce film rageur montre des affrontements d'une violence et d'un réalisme inouïs. Constamment sous tension, ce drame en noir et blanc sur l'apprentissage du langage est dur, bouleversant. Et surtout plein de compassion. François Truffaut avait tenté d'en acquérir les droits. Il se consolera en tournant à la place L'Enfant sauvage en 1970.

Disponible en Blu-ray et DVD chez Rimini Éditions.

2. Bonnie et Clyde (Bonnie and Clyde, 1967)

En filmant la cavale sanglante du célèbre couple de braqueurs de banques qui s'était illustré dans le Sud-Central des États-Unis au début des années 1930, Arthur Penn a ouvert la voie du Nouvel Hollywood, ce mouvement cinématographique qui a modernisé le cinéma américain et lui a insufflé une nouvelle énergie pendant environ treize ans (de 1967 à 1980). Pour le rôle de Clyde, il retrouve Warren Beatty qu'il avait déjà dirigé en 1965 dans le très expérimental Mickey One. Et pour celui de Bonnie, il choisit la sensuelle Faye Dunaway, qui relança la mode du béret.

Célébrés comme des héros populaires durant la Grande Dépression, les amants criminels sont représentés ici comme des figures (trop ?) romantiques – dans la réalité, c'étaient des tueurs impitoyables, qui furent abattus à 23 et 25 ans par la police. A priori, en 1967, les membres du gang Barrow incarnaient avec force toutes les frustrations de la jeunesse (« Ils sont jeunes, ils sont amoureux et ils tuent ! » disait le slogan de l'affiche).

D'abord proposé à François Truffaut, ce film de gangsters, qui brouille les repères moraux, fut couronné de succès partout dans le monde. La fusillade finale au ralenti servira de modèle deux ans plus tard à celle de La Horde sauvage (1969) de Sam Peckinpah. Et le film inspirera aussi la chanson du tandem Gainsbourg-Bardot.

Disponible en Blu-ray et DVD chez Warner.

1. Little Big Man (1970)

Dernier survivant de la bataille de Little Bighorn en 1876, un vieillard âgé de 121 ans (Dustin Hoffman, phénoménal) est interviewé, dans un hospice, par un journaliste. Il lui fait le récit de sa vie : le massacre de ses parents lorsqu'il était encore enfant, sa vie chez les Cheyennes, qui l'ont recueilli et élevé, sa rencontre avec le général Custer, Wild Bill Hickok, Calamity Jane et Sitting Bull… Tiré du livre Mémoires d'un visage pâle, ce western unique en son genre alterne l'humour et le tragique – le génocide des Indiens d'Amérique par les tuniques bleues – avec des ruptures brutales de ton.

Il dénonce surtout les mensonges de l'histoire et démystifie les légendes de l'Ouest – tout comme l'autre western progressiste sorti la même année, Soldat bleu, de Ralph Nelson. Une épopée grandiose, picaresque, presque philosophique, qui prend pour héros un candide ballotté entre deux cultures – celle des Blancs et des Amérindiens. Un naïf qui traverse trente ans d'histoire américaine en devenant le témoin d'une nation en pleine mutation. Les Indiens y sont traités avec respect. Faye Dunaway y est divine. Et le film est un authentique chef-d'œuvre, au final très émouvant.

Disponible en Blu-ray et DVD chez Carlotta.

*Rétrospective Arthur Penn à la Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris 12e, jusqu'au 29 février.

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Commentaires (2)

  • Aileas

    Aucun avec Godreche ?

  • guy bernard

    C'était l'époque des réalisateurs de génie dont on attendait les films, qui, comme le disait un critique américain, "étaient chacun une perle formant un collier parfait".
    Mon souvenir d'adolescent va à "Miracle en Alabama", dont nous avions déjà reçu le cahier, abonnés à "l'avant scène", et que je n'ai pas revu depuis.