Temps de lecture : 4 min
-
Ajouter à mes favoris
L'article a été ajouté à vos favoris
- Google News
Lecture audio réservée aux abonnés
Que faut-il manipuler avec le plus de précaution : un tube de nitroglycérine prêt à exploser ou l'héritage cinématographique du Salaire de la peur ? Le chef-d'œuvre d'Henri-Georges Clouzot, Palme d'or en 1953, succès critique et public, avait déjà engendré un illégitime mais sublime rejeton : Sorcerer, de William Friedkin, en 1977, petit miracle passé lui aussi à la postérité de l'autre côté de l'Atlantique. Et voilà qu'en 2024, Netflix s'est risqué à lui donner une nouvelle progéniture, française de surcroît, confiant cette nouvelle adaptation à Julien Leclercq (L'Assaut, la série Braqueurs sur Netflix).
Celui-ci assume aussi bien sa paternité avec le film d'Henri-Georges Clouzot qu'avec Georges Arnaud, auteur du roman original. De quoi faire se lever un sourcil, voire deux, de circonspection, face à un projet qui suintait le film d'action moderne, tares comprises, par tous les pores.
Quatre protagonistes, deux camions remplis de tubes d'un explosif instable, plusieurs centaines de kilomètres de routes tortueuses, un incendie de puits de pétrole à éteindre en moins de 24 heures : le spectateur averti retrouvera bien vite ses marques. Exit, évidemment, Yves Montand et Charles Vanel ; ici, Franck Gastambide et Alban Lenoir sont deux frères, deux intrépides têtes brûlées, appâtés pour diverses raisons par cette aventure périlleuse.
Des acteurs investis
Ils sont secondés dans leur périple par l'activiste d'une ONG (Ana Girardot) et l'homme de main de la compagnie pétrolière (Sofiane Zermani, plus connu sous son nom de scène et de rappeur, Fianso), dans un paysage désertique, un ersatz de Moyen-Orient en proie au chaos et au terrorisme. Allez, soyons un brin fair-play : qu'y a-t-il à sauver dans ce Salaire de la peur, nouvelle génération ? Sans doute l'investissement des interprètes, qui ne lésinent pas sur les démonstrations viriles.
On ne leur retirera pas un certain plaisir à faire don de leur corps et de leur physicalité. Mais… c'est à peu près tout ce que le film aura à offrir d'agréable. Dès les premières minutes, on comprend que le film n'aura même pas pour lui d'être détestable, non ; il semblera simplement déjà has been, et donc, déjà oubliable.
Comparaison n'a jamais été raison, mais si l'on parle, 71 ans après, du Salaire de Clouzot comme d'un indépassable, c'est pour une raison majeure : sa gestion du temps. Le temps qui se dilate, qui distille dans chaque geste le plus infime l'angoisse matricielle du film : un camion perpétuellement à deux doigts d'exploser. Sitôt qu'ils avaient fermé la porte du camion, les malfrats de Clouzot avaient scellé un destin qui n'était déjà plus entre leurs mains, tant la menace était constante et protéiforme.
Où est la menace ?
Chez Julien Leclerq, pas question de prendre autant son temps. L'histoire avance sans s'arrêter, croisant et décroisant intrigues et sous-intrigues, sans ligne directrice assumée et donc, sans impact majeur. Les membres de l'équipe d'Alban Lenoir et de Franck Gastambide semblent dirigés comme des marionnettes par une main invisible, celle du scénario, qui obéit à deux règles simplistes pour les protagonistes : survivre pour faire avancer l'histoire et se retrouver en danger pour secouer le spectateur.
Au mépris, évidemment, d'une certaine vraisemblance et d'un sens du tragique. Et le film se tire une balle dans le pied quand il extériorise, pour de bon, sa menace principale. Attaqués par des combattants du désert, menacés par des mines antichars, les personnages, et la caméra elle-même, semblent oublier leur enjeu majeur à quelques mètres : des tubes d'explosif au bord de l'explosion, qui pourraient, à ces instants, tout aussi bien être des bananes, tant ils semblent inoffensifs.
Il est bien loin le temps où le spectateur, cramponné à son siège, voyait les camions des films de Clouzot et Friedkin s'aventurer sur des ponts instables, où chaque planche semblait sur le point de craquer et d'emporter les protagonistes dans l'abîme. Là où ses aînés se singularisaient par une maestria visuelle ou thématique (le Clouzot est aussi cynique et subtil que la version de William Friedkin est poisseuse et torturée), Le Salaire de la peur made in Julien Leclercq ressemble à n'importe quel autre film d'action moderne.
Clouzot en majesté
Le film d'action n'est certes pas très répandu dans le paysage cinématographique français. Une nouvelle incursion dans ce genre méritait sûrement mieux que ce découpage frénétique et vain, qui ne donne jamais aux scènes la chance d'exister en elles-mêmes et d'exploiter leur potentiel. Fallait-il vraiment aller déterrer Henri-Georges Clouzot pour ça. On ne retirera pas à Julien Leclerq une envie de bien faire, et son expertise le sauve, dans les scènes de fusillades ou de courses-poursuites, du ratage intégral.
Mais à l'inverse du film d'Henri-Georges Clouzot, il ne véhicule rien, ni message, ni vision, ni enjeu social, ni discours moral. Et parce que les choses sont bien faites, Netflix propose dans son catalogue la sublime version de 1953. Histoire de se prouver encore une fois encore que Clouzot peut dormir tranquille.
Sur Netflix, depuis le 29 mars.
Un peu d'invraisemblance, pour renforcer l'action, c'est à la mode, mais à ce niveau ! Et s'il n'y avait que ça...
Là, faut oser quand même...
Je n'ai pas vu. Un remake était possible à condition de rester dans l'époque.
Aujourd'hui, "le salaire de la peur" dans le pétrole, c'est fini depuis très longtemps.