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Fallait pas le sortir si tôt ! Visible dans nos salles obscures dès ce 17 avril, Borgo, quatrième long métrage de Stéphane Demoustier, déclenche depuis plusieurs mois certaines colères corses. La raison ? Inspiré librement d'une histoire vraie, ce thriller situé en grande partie entre les quatre murs d'une prison sur l'île de Beauté, décrit la lente dérive d'une surveillante (Hafsia Herzi) vers la criminalité, dans le sillage de son amitié avec l'un des détenus.
Dans le réel, les faits se sont déroulés en décembre 2017 : la matonne Cathy Sénéchal aurait alors, selon les enquêteurs, participé comme complice à l'exécution à bout portant de deux gangsters devant l'aéroport de Bastia-Poretta. Un règlement de comptes entre gangs pour lequel une vingtaine de personnes, dont Sénéchal, sont renvoyées devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône à partir du 6 mai prochain.
À LIRE AUSSI « Borgo », le film qui tient la Corse en haleineLes avocats de certains des accusés hurlent au scandale quant au timing de la sortie de Borgo – nom de la ville où se situe le pénitencier du récit –, qui nuira forcément, selon eux, à la présomption d'innocence de leurs clients. Un mauvais procès, estime dans les colonnes du Point Me Pascal-Pierre Garbarini, consultant technique du film et interprète, le temps de quelques plans furtifs, de l'avocat de Mélissa, la version fictionnelle de Cathy Sénéchal – incarnée donc par une Hafsia Herzi impressionnante de charisme.
Laissons de côté la polémique. Le film, lui, mérite amplement l'attention pour au moins une raison : parvenir à proposer une nouvelle variation sur l'univers carcéral – corse, qui plus est – après tant de représentations au cinéma. Fermement arrimé au point de vue de son héroïne, qui débarque au début de la trame depuis le continent pour occuper son nouveau poste et dont le mari, noir, Djibril, doit supporter le racisme des voisins, Borgo nous emprisonne sans merci dans un univers ultra-crédible, peuplé d'une foule de talentueux comédiens à la ronde, confondants de naturel.
Hafsia Herzi, digne d'une nomination aux César 2025
Comme il l'avait fait dans La Fille au bracelet, Stéphane Demoustier scrute la tentation d'une jeune femme pour le crime alors que rien, a priori, ne l'y prédispose. Différence majeure avec Borgo : ici, la culpabilité de Mélissa ne fait guère de doute. Mais l'intérêt de l'intrigue réside ailleurs. Sans effet de manche ni misérabilisme formel, Demoustier nous plonge, caméra à l'épaule, dans la routine d'une unité de son pénitencier réservée aux truands corses et où, en réalité, comme le dit un personnage, « ce sont davantage les prisonniers qui surveillent les matons que l'inverse ».
Épaulé par l'avocat Garbarini, Demoustier – également auteur du scénario – explore avec moult détails les petites combines, tensions, relations hiérarchiques et sphères d'influence des petits et gros caïds incarcérés à quatre par cellule mais disposant de leur propre salle de réunion. Zone de non-droit ou plutôt de droits à part, le micro-royaume aspire à un calme relatif tant que les petits privilèges de ses barons sont respectés par l'autorité pénitentiaire. Tiraillée entre sa vie de famille et sa bienveillance naturelle pour les malandrins du milieu, avec lesquels elle partage une fascination commune pour les armes (un trait de caractère dont le script n'explicite jamais les raisons, hélas), Mélissa se laisse glisser sans vraiment s'en rendre compte sur la pente du mal, à partir d'un simple service rendu.
Énigmatique, sobre et intimidante, la surveillante jouée par Hafsia Herzi, comme un bloc de granit, ne se laisse guère déstabiliser par les menaces même lorsqu'elle doit faire le dos rond pour protéger sa famille. Face aux flingueurs, à son mari fragile ou aux flics qui bientôt la soupçonneront d'avoir fricoté avec la pègre, la matonne ne perd jamais la face, ne s'effondre pas et conserve un « poker face » aussi déstabilisant que fascinant, tout en manifestant une capacité à l'empathie.
Un rôle tout en force assurément marquant dans la carrière de la comédienne et qui pourrait bien lui valoir une nomination aux César en 2025. Suspense humble et carré, Borgo aurait peut-être gagné à scier davantage de barreaux concernant l'épais mystère qui entoure le passé de sa matonne marron. Auréolé du prix du jury au dernier festival Reims Polar, il marche en tout cas tête haute sur les traces d'autres films tricolores sur le grand banditisme, toujours tenus en joue par l'indétrônable Un prophète.
Borgo, de Stéphane Demoustier (1 h 57). En salle mercredi.