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Vingt films à l'affiche cette semaine ! Autant dire que le tri s'impose pour ne pas se tromper. Dans Civil War, Alex Garland suit deux reporteurs de guerre, Kirsten Dunst et Wagner Moura, confrontés à une nouvelle guerre de Sécession qui oppose deux blocs, les fidèles du président des États-Unis contre le Texas et la Californie qui font alliance.
À côté de cette claque majeure appelée à marquer l'histoire du cinéma, deux thrillers bien plus modestes mais fort honorables tenteront de tirer leur épingle du jeu : le français Borgo et l'américain Laroy, tous deux récemment programmés au festival Reims Polar.
Dans la foulée des films sur l'enseignement, Amal, un esprit libre raconte le quotidien d'une professeure de littérature confrontée à l'islamisme. Côté documentaires, dans La Machine à écrire et autres sources de tracas, Nicolas Philibert poursuit son travail sur la psychiatrie, tandis que dans L'Homme aux mille visages de Sonia Kronlund, productrice et journaliste à France Culture, part sur les traces d'un imposteur mythomane et recueille les témoignages de femmes mystifiées.
Civil War ✭✭✭✭✭
Un cri d'alerte sur l'Amérique d'aujourd'hui
L'histoire, celle d'exactions innommables qui se commettent au nom de grands idéaux ou de haines fratricides, serait banale si elle n'avait pour cadre des États-Unis devenus désunis. Dans la nouvelle guerre de Sécession imaginée par Alex Garland, deux blocs se font face : des forces fidèles au président, et le Texas et la Californie qui ont fait alliance.
Joel (Wagner Moura) et Lee (Kirsten Dunst), deux reporteurs de guerre qui en ont vu d'autres, tentent de rejoindre Washington pour interviewer le président. En chemin, ils enregistrent la déliquescence d'un pays. C'est osé, puissant, terrifiant. Un grand film politique qui est aussi un cri d'alerte.
Borgo ✭✭✭✭
La déroute d'une matonne en Corse
Prix du jury au dernier festival du film policier Reims Polar, Borgo fait beaucoup jaser depuis quelques jours, et pour cause : inspiré d'une histoire vraie, celle du double assassinat de deux gangsters corses en 2017 à l'aéroport de Bastia-Poretta, ce thriller tendu sort en salle alors même que le procès de sa protagoniste n'a pas encore commencé. Dans le réel, l'accusée se nomme Cathy Sénéchal, ex-surveillante de la prison de Borgo (Haute-Corse), soupçonnée par la justice de complicité avec ce double meurtre et qui sera renvoyée devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône entre le 6 mai et le 6 juillet prochain, aux côtés d'une vingtaine de personnes. Le timing de la sortie du film fait ainsi polémique.
À l'écran, le réalisateur Stéphane Demoustier, également auteur du scénario, adapte librement cette affaire encore brûlante avec l'incroyable Hafsia Herzi dans le rôle principal. La comédienne campe Mélissa, une matonne du continent récemment installée en Corse avec mari et enfants et qui va rapidement sympathiser avec certains détenus du centre pénitentiaire de Borgo. Son amitié naissante avec l'un d'eux l'amènera peu à peu à franchir la ligne rouge séparant les menus services de la participation à un crime…
Le film fait progresser en parallèle deux lignes temporelles avant que ces dernières ne se rejoignent et que l'étau ne se resserre sur cette énigmatique jeune femme, dont le récit ne perce jamais totalement, hélas, les raisons de sa fascination pour le milieu. Hormis ce péché véniel, on reste captivé par le réalisme immersif de la description du quotidien carcéral (pourtant archi-vu et revu au cinéma), l'excellence de l'interprétation et le tempo soutenu de ce thriller sobre et prenant.
LaRoy ✭✭✭
Un petit Fargo sympa au Texas
Déjà projeté au Festival du Cinéma Américain de Deauville (d'où il est reparti avec le prix de la critique, du public et le Grand Prix), ce film noir qui ne se prend jamais vraiment au sérieux plonge le pauvre Ray, un pleutre quincaillier du Texas, dans un inextricable sac de nœuds après qu'il a été confondu avec un tueur à gages par un commanditaire lui confiant un contrat en pleine nuit sur un parking. Cocufié par sa femme (avec son frangin, copropriétaire de son business) et au bout du rouleau, Ray cède au vertige du crime et empoche l'argent, espérant financer avec la somme le salon de beauté dont rêve son épouse – et ainsi la reconquérir. Hélas pour lui, tuer un quidam est une affaire de professionnel.
Rocambolesque à souhait, l'intrigue de LaRoy est surtout le prétexte d'une savoureuse galerie de portraits qui réalise un tir groupé sans pitié sur ses personnages tous plus losers ou crétins les uns que les autres. Le ton évoque un peu trop l'inoubliable Fargo des frères Coen et confine parfois au procédé, mais le spectacle, cadré dans un splendide cinémascope épousant les étendues texanes et les codes du western, dépasse heureusement le simple statut de farce anecdotique. Distrayant, hilarant et stylé, LaRoy mérite un détour en salle, ne serait-ce que pour les brillantes pitreries de Steve Zahn en détective privé ringardissime et de Dylan Baker en tueur froid comme la mort complètement décalé dans cette balade absurde teintée d'un infime zeste mélancolique.
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La Machine à écrire et autres sources de tracas ✭✭✭✭
Visites à domicile
Ce film est le dernier volet d'une trilogie que le documentariste Nicolas Philibert consacre à l'univers psychiatrique. Il sort un mois après Averroès et Rosa Parks où l'on suit quelques patients notamment lors de leurs entretiens avec les médecins et l'on y retrouve quelques personnes déjà vues dans Sur l'Adamant, Ours d'or à Berlin l'an dernier, qui décrivait le fonctionnement d'un centre d'accueil de jour établi sur une péniche parisienne.
Dans La Machine à écrire…, deux soignants bricoleurs, Walid et Jérôme, se rendent chez des patients démunis face à de petits problèmes pratiques. Une machine à écrire ou un lecteur CD qui ne fonctionnent plus, un studio trop encombré et où il faut faire de la place… Ces situations triviales sont prétexte à un échange, une discussion où chacun laisse entrevoir ce qui le panique, ce qui lui paraît insurmontable dans le quotidien. « Les patients en psychiatrie sont souvent très poreux, ils n'ont pas toujours les stratégies pour se protéger contre les violences du monde », explique Nicolas Philibert. Un film souvent drôle, léger et profond, qui interroge nos préjugés sur la folie.
Amal, un esprit libre ✭✭✭
Une prof face à l'islamisme
Décidément, on ne quitte plus les salles de classe ! Alors que l'on vient de voir François Civil en jeune prof accusé de harcèlement dans Pas de vague et Louise Bourgoin enseignant le latin dans Bis Repetita (sans parler de La Salle des profs ou de L'Affaire Abel Trem), nous voici dans un lycée belge où Amal (Lubna Azabal) tente de communiquer sa passion de la littérature à ses élèves. Son amour de la liberté d'expression se heurte bientôt à l'incompréhension d'élèves radicalisés.
Le réalisateur Jawad Rhalib vient du documentaire, et ça se voit. Dans un style très naturaliste, avec des dialogues en partie improvisés par les jeunes interprètes, il montre comment la tension monte autour d'Amal et comment sa liberté d'enseigner se trouve peu à peu menacée. Un peu trop lesté d'intentions, le film réussit cependant quelques moments de vraie force, notamment grâce à l'interprétation subtile de Lubna Azabal. On pense à Samuel Paty, à Dominique Bernard et à ces mots de l'actrice : « L'école doit rester un temple qu'il faut protéger. »
L'Homme aux mille visages ✭✭✭
Gare à l'imposteur !
Dans son documentaire qui succède à un livre, L'Homme aux mille visages, Sonia Kronlund, productrice et journaliste à France Culture, tente de dresser le portrait d'un imposteur aux multiples identités, de Paris à Cracovie en passant par São Paulo. Il a mystifié de nombreuses femmes dont l'une d'elles, une Brésilienne, a porté plainte après le vol de ses bijoux.
Tout part du témoignage de Marianne, séduite par ce Ricardo qui se dit chirurgien thoracique argentin dont elle devient la compagne. Enceinte de lui, elle s'aperçoit vite qu'il a menti sur toute la ligne après avoir visionné l'historique de son ordinateur qui révèle ses multiples couvertures. Il est tour à tour argentin, portugais, espagnol, militaire, ingénieur chez Peugeot, médecin urgentiste, photographe ou encore pilote de ligne. C'est un mythomane dont la réalisatrice finit par montrer le visage et prend le risque de contrevenir au droit à l'image. Ce Ricardo adore s'inventer de belles histoires et faire de sa vie un roman plein de surprises et de voyages d'affaires. Un détective retrouve sa trace dans un appartement en Pologne…
Dans ce documentaire insolite, Sonia Kronlund ne fait pas de morale et reconstitue peu à peu le puzzle de l'existence ordinaire de ce manipulateur plutôt sympathique mais qui a fait des dégâts dans le cœur de nombreuses femmes, victimes d'une farce qu'elles tentent d'oublier.
LES ÉTOILES DU POINT
✩✩✩✩✩ : courage, fuyons
✭ : on ronfle
✭✭ : on bâille
✭✭✭ : on apprécie
✭✭✭✭ : on applaudit
✭✭✭✭✭ : on porte aux nues