Temps de lecture : 7 min
-
Ajouter à mes favoris
L'article a été ajouté à vos favoris
- Google News
Lecture audio réservée aux abonnés
Une feuille vierge est frappée à plusieurs reprises par les barres à caractères d'une machine à écrire. Une date s'inscrit progressivement sur la page blanche, dans un vacarme assourdissant : « JUIN 1972 ». Tourné en prise de vue macro, le tout premier plan des Hommes du président (disponible Prime Video via le Pass Warner) annonce la couleur. Dans ce thriller d'encre et de papier, où chaque touche du clavier résonne comme un coup de feu, les mots ont parfois plus d'impact que les balles d'un fusil. La longue et minutieuse enquête menée par deux journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, a d'ailleurs fait une victime : le 37e président des États-Unis, Richard Nixon. C'est ce que raconte pendant près de 2 h 20 le film d'Alan J. Pakula. Une œuvre qui partage de nombreux points communs, mais aussi des différences, avec Pentagon Papers, diffusé ce soir par France 3.
Le film de Steven Spielberg se déroule, lui, un an plus tôt, en 1971. Meryl Streep et Tom Hanks incarnent la directrice de publication et le rédacteur en chef du même Washington Post – à savoir la riche héritière Katharine Graham et le journaliste américain Benjamin Bradlee. Deux personnalités qui ont contribué à la publication des pages d'un rapport classé « secret-défense » au sujet de la guerre du Vietnam qui révélait que quatre présidents successifs (Truman, Eisenhower, Kennedy et Johnson) savaient, depuis trente ans, que l'armée américaine ne s'imposerait pas en Asie du Sud-Est. Ce qui n'a pas empêché les États-Unis d'envoyer pendant des décennies sa jeunesse au casse-pipe, par fierté nationale.
Même époque, même journal, autre scandale d'État impliquant l'administration américaine et un bras de fer avec le président Nixon : Pentagon Papers serait-il, quarante ans plus tard, l'héritier direct des Hommes du président ? Quand on pose la question à Steven Spielberg, lors de sa conférence de presse à Paris au moment de la sortie du film, il admet que le thriller de Pakula a été un modèle pour lui : « Je pense que Les Hommes du président est le plus grand film jamais tourné sur la presse. Je peux m'estimer heureux que Pentagon Papers se situe dans le même sillage, comme un cousin éloigné… Je n'ai jamais eu la chance de rencontrer Alan J. Pakula. Mais je lui rends clairement hommage en terminant mon film là où commence le sien, avec l'effraction au QG du Comité national démocrate, dans l'immeuble du Watergate. J'ai d'ailleurs filmé la scène de la même façon que lui, en reproduisant certains de ses cadrages », nous confiait le cinéaste.
Avant de tempérer : « En même temps, notre film est complètement différent. Pentagon Papers est bien plus qu'une simple prequel des Hommes du président. Si “Kay” Graham et Ben Bradlee n'avaient pas agi aussi courageusement, alors qu'ils étaient sous le coup d'une décision de justice, je pense vraiment que leurs journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein n'auraient pas pu suivre la piste des financements qui a mené à la chute de Nixon. C'est grâce à l'enquête sur les papiers du Pentagone que le Washington Post est devenu une publication majeure non seulement sur le plan régional, mais aussi national. »
Aujourd’hui encore, ”Les Hommes du président” se révèlent être un captivant témoignage sur les méthodes de travail de la presse de l’époque
Effectivement, le film de Pakula commence exactement là où celui de Spielberg se termine. Mais, comme le précise ce dernier, le parallèle peut être trompeur. Les Hommes du président ne sont pas une reconstitution des années 1970 puisque le film a été tourné… en 1975 ! Quand il sort dans les salles américaines, le 9 avril 1976, il est toujours d'actualité : Nixon a démissionné il y a seulement vingt mois.
La bonne idée de Robert Redford
Si le long-métrage arrive au bon moment, c'est grâce à Robert Redford qui en a immédiatement pris l'initiative. Avant même que le livre retraçant l'enquête sur le Watergate soit écrit et devienne un best-seller, l'acteur en avait négocié les droits d'adaptation avec ses auteurs Woodward et Bernstein. Au départ, le beau blond se contente d'une casquette de producteur et n'a pas prévu de jouer dans le film. Mais Warner n'accepte de le produire qu'à cette condition. Redford incarnera donc Bob Woodward et proposera le rôle de son collègue Carl Bernstein à Dustin Hoffman.
Pour adapter le pavé de 400 pages écrit par Woodward et Bernstein, la star fait appel au scénariste de Butch Cassidy et le Kid et engage à la réalisation Alan J. Pakula, qui avait déjà tourné un film politico-paranoïaque, À cause d'un assassinat dans lequel Warren Beatty interprétait un reporter enquêtant sur le meurtre d'un sénateur. Pour ne pas perturber la rédaction du Washington Post, les décorateurs recréent avec fidélité la salle de presse du quotidien sur deux plateaux des studios Warner de Burbank. De longs travellings latéraux suivront les déplacements de Woodward et Bernstein dans les couloirs de cette newsroom, filmée comme une ruche où s'activent les salariés du journal.
De son côté, Pakula fait appel à son directeur de la photo habituel, Gordon Willis. Surnommé « Le prince des ténèbres » depuis qu'il a éclairé Le Parrain de Francis Ford Coppola, ce champion du clair-obscur travaille généralement en basse lumière. Pour Les Hommes du président, le chef op décide de créer deux ambiances : la lumière blanche et aveuglante de la salle de rédaction, illuminée par des tubes fluorescents, qui contraste avec l'atmosphère sombre et lugubre du parking désert où Woodward retrouve son mystérieux informateur Deep Throat (« Gorge profonde »).
Une astuce visuelle pour opposer la presse et le pouvoir, le bien et le mal, la vérité et le mensonge. Dans le film, le « couple Woodstein » – comme on les surnomme à la rédaction du Post – semble n'avoir ni famille ni attache sentimentale, c'est une entité bicéphale qui consacre entièrement sa vie à son activité professionnelle. Du coup, sur le tournage, Redford et Hoffman apprennent par cœur les répliques de l'autre, n'hésitant pas à se chevaucher (quand l'un commence une phrase, l'autre la termine).
Aujourd'hui encore, Les Hommes du président se révèlent être un captivant témoignage sur les méthodes de travail et d'investigation de la presse de l'époque. Bien documenté, ce thriller retrace avec un grand souci d'authenticité l'affaire du Watergate, en n'omettant aucun détail, même le plus infime. D'une densité exceptionnelle, il réussit surtout l'exploit de nous tenir en haleine avec une intrigue, dont l'issue est connue. David Fincher l'a placé dans la liste de ses films favoris, George Clooney ne jure que par lui, tandis qu'en France, Michel Hazanavicius et Dominique Mazerette l'ont parodié dans le très culte Le Grand Détournement. Et quand Laurent Delahousse reçoit Robert Redford un dimanche soir au JT de France 2 en avril 2013, il confie : « Vous savez, c'est grâce à vous que je suis ici. Il y a quelques années, quand j'étais adolescent, j'ai regardé un film qui s'appelait Les Hommes du président. C'est ce film qui m'a donné envie de faire ce métier. » Sans rire ?
Jeu de miroirs
En préparant Pentagon Papers, Spielberg a certainement dû se demander comment rivaliser avec son illustre modèle. Sur la forme, sa reconstitution des seventies est impeccable : le crépitement des machines à écrire et des téléscripteurs, la tabagie en salle de rédaction, l'angoisse du bouclage et du départ à l'impression, les rotatives qui se mettent à tourner, les cabines téléphoniques vintage… tout y est ! Le ton, en revanche, est totalement différent. Baignant dans un climat de suspicion, Les Hommes du président dégageaient une atmosphère lourde, pesante et anxiogène. Pentagon Papers est au contraire un film joyeux, alerte, porté par l'optimisme coutumier de Spielberg. Lequel met en lumière le rôle déterminant de Katharine Graham, qui n'apparaît jamais dans le film Pakula (son nom est juste prononcé une fois au téléphone).
Au jeu des différences, on notera aussi que, dans Les Hommes du président, Woodward et Bernstein passent leurs temps à rechercher des indices et à interroger des témoins récalcitrants pour obtenir des renseignements, alors que dans Pentagon Papers, on livre les infos toutes cuites à Ben Bradlee et à son équipe de journalistes : une jeune hippie (jouée par Sasha Spielberg, fille de…) dépose à la rédaction du Post un paquet contenant les fameux documents confidentiels appartenant au Pentagone et fournis par l'analyste Daniel Ellsberg. L'intrigue du film tourne donc davantage autour de questions juridiques (faut-il divulguer ces informations pour le bien public au risque de transgresser la loi qui protège les secrets d'État ?) et féministes (comment faire entendre sa voix dans un monde dominé par les hommes ?) que de journalisme d'enquête.
Si Pakula a réagi à chaud sur le Watergate – à la façon d'Oliver Stone, qui a signé un biopic sur Snowden, seulement trois ans après les faits révélés par The Guardian et… The Washington Post – Spielberg préfère quant à lui éviter de traiter directement de l'actualité. Pour prendre davantage de recul historique ? Ne froisser personne ? En fait, le réalisateur de La Liste de Schindler attaque de biais. Là où Les Hommes du président nous parlent surtout des années 1970, Pentagon Papers nous parle d'aujourd'hui. À l'heure des fake news et de la désinformation, son film en écho avec le présent agit sur notre époque comme un miroir déformant. En définitive, il y a entre les deux films mieux qu'une influence, un passage de flambeau. On y voit des journalistes qui doutent, s'interrogent, tâtonnent dans le noir. Jusqu'à ce que la lumière se fasse. Car, comme le soulignent les héros de Spielberg, « la presse est le premier brouillon de l'histoire ».
Ils ne nous ont plus jamais mentis ?!
Oh bien sûr les journalistes ont mouillé la chemise. Mais bon, à cette période là, la contestation généralisée aux USA était un assez solide paratonnerre aux foudres présidentielles (Nixon n'aurait pas œuvré en sous main, s'il était si puissant que ça).
Ce film est sans doute bien, mais "facile", et surtout il efface la vraie importance de cette affaire : celle de l'individu qui, de l'intérieur, a osé réagir et pris des risques autrement plus importants.
Celui là, littéralement, n'existe pas. Et donc les journalistes (sourds et aveugles sans les sources) en retirent encore une fois tout le bénéfice.
Bien trop manichéen pour être considéré très crédible... Mais comme le petit peupe a besoin d'histoires simples, on va faire avec !
Reste le talent de Spielberg, des acteurs et de toute l'équipe qui les appuie : ils font (très bien) le job !