Interview

« Mon nom est Personne » : le western (presque) réalisé par Sergio Leone

ENTRETIEN. Norbert Saada, coproducteur de « Mon nom est Personne » (1973), raconte les coulisses de ce western produit et réalisé en partie par le cinéaste italien, rediffusé ce soir par C8.

Propos recueillis par Frédéric Albert Lévy

Henry Fonda dans Mon nom est Personne, initialement sorti au cinéma en 1973.
Henry Fonda dans Mon nom est Personne, initialement sorti au cinéma en 1973. © Lost Films

Temps de lecture : 7 min

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« J'ai été interviewé hier pour un autre film, et quand j'ai demandé pourquoi on avait fait appel à moi, on m'a répondu que c'était parce que j'étais le seul qui n'était pas mort. » Un peu de tristesse dans la voix, mais aussi un sourire : l'étincelle dans l'œil du producteur Norbert Saada prouve qu'il garde toujours une belle énergie. À l'image du film Mon nom est Personne, sorti il y a exactement cinquante ans, mais de nouveau à l'affiche dans les salles en décembre dernier, après avoir bénéficié d'une cure de jouvence grâce aux miracles de la 4K*. ce soir c'est C8 qui diffuse le mythique western.
Le film, qu'il a coproduit avec Sergio Leone, c'est un peu l'adieu de ce dernier au western italien, et au western en général, avant qu'il ne s'attache aux gangsters d'Il était une fois en Amérique. Mon nom est Personne est construit autour de la rencontre entre un vieux cow-boy (Henry Fonda) et un jeune aventurier (Terence Hill). Le premier n'a plus rien à prouver, et il est encore capable de descendre trois malfrats avant que ceux-ci n'aient eu le temps de dégainer. C'est un héros. Mais, justement, le second voudrait offrir audit héros l'apothéose qu'il mérite : un final d'opéra, où on le verrait se débarrasser définitivement, non pas de trois adversaires, mais des cent cinquante brigands de la Horde sauvage qui ont pour mission de l'éliminer. Le tout sur une musique d'Ennio Morricone qui, parodiant Wagner, réussit à mêler constamment comique et mélancolie.

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Certains ne sont pas loin de penser que Mon nom est Personne est le meilleur film de Leone, à ceci près qu'il ne l'a pas réalisé lui-même – officiellement tout au moins – et s'est contenté de le produire. Explications du producteur Norbert Saada.

Le Point : Quel sens faut-il donner à la formule « Sergio Leone présente », qu'on peut lire en haut des affiches de Mon nom est Personne ?

Norbert Saada, coproducteur avec Sergio Leono de <em>Mon nom est Personne.</em>
 ©  Linda Tahir
Norbert Saada, coproducteur avec Sergio Leono de Mon nom est Personne. © Linda Tahir

Norbert Saada : Leone, après Il était une fois la révolution, voulait produire un film. Comme nous étions très amis, il me fait lire le scénario, l'histoire d'un jeune homme qui va aider son idole à « disparaître », pour qu'on ne l'ennuie plus. Il me demande ce que j'en pense, ajoutant qu'il a l'intention de proposer le rôle de « l'idole » à Henry Fonda, avec qui il s'était bien entendu sur Il était une fois dans l'Ouest, et celui du jeune homme à Terence Hill, qui, avant de devenir Terence Hill, s'appelait Mario Girotti. C'était lui qui, dans Le Guépard,était l'ami intime de Delon. Je lui réponds que c'est une excellente idée, mais je lui demande si l'on peut faire confiance au metteur en scène, Tonino Valerii, qui avait été son assistant sur Pour une poignée de dollars et sur Et pour quelques dollars de plus. « Ne t'en fais pas, me dit Sergio. Je serai là, je ne le lâcherai pas d'une semelle. »

Je m'en vais donc trouver Alain Poiré chez Gaumont et lui dis : « Voilà, on fait un film avec Leone. Il nous faut cinq millions. » À l'époque, on ne pouvait pas compter sur les chaînes de télévision, et encore moins sur les plates-formes, pour produire un film. « Leone ?, me dit Poiré. Je signe tout de suite. » Je lui précise toutefois que le film ne sera pas un film mis en scène, mais présenté par Leone. « Ah ! Si c'est simplement “Sergio Leone présente”, ça ne m'intéresse pas. » J'insiste. J'essaie de le convaincre. Il doit me croire : je lui propose une bonne idée. Peine perdue. Non, il ne veut pas. Je m'adresse à une autre société de production. Même incompréhension, même refus. Je me retrouve donc avec mon film dans les mains et je ne sais pas quoi en faire.

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Le projet tombe à l'eau ?

Non. Je tombe par hasard dans la rue sur Jacques Leitienne, producteur-distributeur dont le catalogue se composait en majorité de films érotiques. Je lui demande s'il ne voudrait pas distribuer un film qui contribuerait à changer son image de marque. « Quel film ? » Je lui parle de Mon nom est Personne, produit par Sergio Leone ; je lui assure que mon flair ne me trompe pas, que l'affaire que je lui propose est une bonne affaire. « Banco ! me répond-il. Combien voulez-vous ? » Et c'est ainsi que nous avons eu les 5 millions nécessaires pour monter le film. Leitienne n'a pas eu à regretter cet investissement.

On dit que Leone ne se serait pas contenté de « présenter » Mon nom est Personne. Terence Hill a même déclaré qu'il aurait réalisé 70 % des scènes. Tonino Valerii, à l'inverse, a expliqué que, au départ, Leone ne portait guère d'attention à ce film, mais qu'il s'est mis à en revendiquer la paternité à partir du moment où il a remporté du succès.

C'est faux. Leone tenait beaucoup à ce film. La preuve en est qu'il a lui-même mis en scène deux séquences. C'est en Espagne qu'a été tournée la fameuse scène où Beauregard (Henry Fonda) décime les cavaliers de la Horde sauvage en tirant sur leurs sacoches qui contiennent de la dynamite. Valerii ne s'en sortait pas. Leone lui a donc dit : « Laisse-moi faire, je m'en occupe. Va donc plutôt préparer le tournage à Monument Valley. » C'est aussi Leone qui a réalisé la séquence finale du duel à La Nouvelle-Orléans. 70 % de Mon nom est Personne  ? Non, certainement pas. Mais il n'en reste pas moins qu'il en a mis en scène une partie.

De toute façon, il suffisait de le voir à côté d'un plateau pour comprendre que l'envie de tourner le démangeait. Il levait les mains et ne cessait d'agiter fébrilement ses doigts. « Calme-toi, Sergio, lui disais-je, calme-toi. » Et si, outre Rome et l'Espagne, le film a été tourné à Monument Valley, c'est parce qu'il vouait un culte à John Ford et parce que John Ford avait été le premier réalisateur à tourner à Monument Valley.

Leone avait choisi Terence Hill parce qu’il voulait prouver qu’on pouvait faire bien mieux avec lui que le cinéma italien de l’époque.

N'y avait-il pas une certaine condescendance de sa part lorsqu'il déclarait que Tonino Valerii, son ancien assistant donc, était devenu un réalisateur « correct » ?

Mais il avait raison ! Les choses se sont bien mieux passées avec Damiano Damiani, réalisateur d'Un génie, deux associés, une cloche, l'autre western « présenté par Sergio Leone » avec toujours à l'affiche Terence Hill. Damiani était un gentil garçon, avec qui tout le monde s'est bien entendu pendant le tournage – mais Sergio avait quand même jugé prudent de lui adjoindre comme réalisateur de seconde équipe, Giuliano Montaldo, le réalisateur de Sacco et Vanzetti

Et c'est Sergio lui-même qui a filmé – à Monument Valley encore – le prégénérique de ce second film. Il m'a demandé de rester là pour que je lui serve de script-girl et d'assistant, et j'ai eu le cœur déchiré quand j'ai découvert que cette séquence serait absente d'un certain nombre de copies… pour vendre plus de chocolats glacés dans les cinémas ! Il n'était peut-être pas nécessaire, ce prégénérique, c'est vrai, mais il portait la patte de Leone.

Quelle idée Leone avait-il derrière la tête en allant chercher Terence Hill ? Il avait accusé les deux films Trinità, qui avaient fait la gloire de l'acteur, d'avoir engendré une série de westerns parodiques qui avaient tué le western italien. Et que dire du fait que Henry Fonda, figure du western américain par excellence, descendait lui-même d'une famille italienne ?

Vraiment ? En tout cas, ce que je peux vous dire, c'est que je n'ai jamais vu de ma vie un acteur aussi professionnel que Fonda. Quand Leone disait à un assistant : « Vai a cercare Fonda » [va chercher Fonda, NDLR], on entendait : « Ready. » Fonda était déjà là, derrière son dos, prêt à tourner. Pour ce qui est de Terence Hill, je crois que Leone l'avait choisi parce qu'il voulait prouver qu'on pouvait faire bien mieux avec lui que le cinéma italien de l'époque.

Difficile de parler de Mon nom est Personne sans la musique de Morricone

Je suis un fan. C'est pour moi le plus grand compositeur de musique de film. C'était un monstre. Un personnage très discret, refermé sur lui-même. J'ai produit beaucoup de films dont il a écrit la musique, mais il avait avec Leone un rapport particulier. Celui-ci savait toujours exactement ce qu'il voulait, et Morricone composait et enregistrait certains morceaux avant le tournage, de telle manière que les comédiens jouaient certaines scènes en évoluant au rythme de sa musique. Par exemple, on se souvient, dans Il était une fois dans l'Ouest, de l'arrivée de Claudia Cardinale, avec ce mouvement de caméra qui nous fait passer de la gare au village en activité.

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Sergio Sollima, réalisateur du Dernier Face à face et de Colorado, racontait que Morricone s'endormait quand on lui projetait les films pour lesquels il devait écrire la musique. Vrai ou faux ?

Il ne s'endormait pas vraiment, mais on avait l'impression qu'il se fichait royalement de ce qu'on pouvait lui dire. Je me souviens du jour où je suis allé le voir avec Yves Boisset pour Espion, lève-toi. Il ne nous écoutait pas. Il était dans son monde – dans son monde à lui. Mais cela correspondait, au fond, à ce que je pense être la définition de tout grand artiste, qu'il s'agisse d'un musicien ou d'un metteur en scène. Un grand artiste est quelqu'un qui porte en lui un univers.

Qu'attendez-vous de la nouvelle sortie en salle de Mon nom est Personne ?

Je vais vous faire une confidence : c'est vous qui m'avez appris que ce film ressortait aujourd'hui dans les salles. Je pense qu'il plaira au public. Pour tout vous dire, je suis très étonné : quand on me présente en disant : « Norbert, qui a produit entre autres films Monsieur Klein », les gens n'en ont visiblement rien à fiche. En revanche, quand on mentionne Mon nom est Personne, tout d'un coup, ils se réveillent ! Et je pense que même un jeune public devrait être séduit.

* La version restaurée en 4K de Mon nom est Personne (Il mio nome è Nessuno) est en salle depuis le 20 décembre 2023.

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Commentaires (6)

  • INTERSTELLAR

    My name is BOND, James BOND.

  • Le penseur contemplatif

    Peu importe qui l'a réalisé, ce film est tout simplement un chef d'œuvre !

  • CLAUDINALBI

    Lou Reed 26 12 2023 23h39
    Je confirme pour ennio morricone, ainsi que la nouvelle mouture de ce forum parfaitement régressive...