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Rien ne va plus dans la paisible bourgade de Bozouls en Aveyron. Six religieuses du couvent local sont assassinées, le peu recommandable Philippe Saint-André (Jonathan Zaccaï) est de retour dans la région, et le respectable Sam Spade (Clive Owen) se retrouve aspiré par un monde qu'il croyait avoir laissé de l'autre côté de l'Atlantique, celui des enquêtes criminelles. C'est sur cette trame ciselée qu'est bâtie la nouvelle série de Canal+ Mister Spade. Avec une vraie science du film noir, Scott Frank, à qui l'on doit Le Jeu de la dame, et Tom Fontana (Oz) ont concocté une variation sur un univers familier et ajouté ce qu'il faut de contexte historique (la guerre d'Algérie tout juste terminée) et local pour faire de ce Mister Spade une gourmandise de premier choix.
Longtemps, Clive Owen a été annoncé comme le nouveau James Bond… C'est que, en plus de l'accent britannique, l'homme a l'élégance nonchalante, les yeux revolver, le magnétisme de l'agent 007. « On m'a parlé de ce rôle pendant des années, reconnaît la star de 59 ans, sans fausse coquetterie. Mais, à mes yeux, Bond, c'est celui que j'aimais enfant, Sean Connery. Et je ne m'intéresse pas tellement aux personnages récurrents, il y a un côté prison dorée. J'ai déjà du mal à jouer plusieurs mois de suite au théâtre ! Ce n'était pas pour moi. Spade, en revanche… »
Pour les fans de série noire, Sam Spade est largement aussi mythique que l'espion favori de Sa Majesté. Le personnage, créé par Dashiell Hammett dans les années 1930, est un détective privé de San Francisco d'un abord rude, volontiers sardonique. Son sang-froid face aux dangers de toute sorte est sans égal. Au cinéma, Humphrey Bogart – cigarette aux lèvres, imperméable et feutre mou – l'a incarné mieux que personne, dans un chef-d'œuvre signé John Huston, Le Faucon maltais (1941).
Alors quand Scott Frank – célèbre scénariste hollywoodien auréolé du succès de la série Netflix Le Jeu de la dame – propose à Clive Owen de revisiter Spade en lui inventant une vie de (faux) retraité en France, au lendemain des accords d'Évian, il n'hésite pas une seconde. « J'ai quitté le lycée sans le bac, je me suis fait une éducation tout seul et mes premiers vrais enthousiasmes de lecteur, je les dois à Hammett et à Raymond Chandler, à cause du format d'enquête et de l'atmosphère mystérieuse, captivante, raconte-t-il. D'ailleurs, j'ai longtemps eu pour projet de jouer Philip Marlowe », cet autre rôle fameux de Bogart.
Dans Mister Spade (sur Canal + à partir du 26 février), nous sommes en 1963. Sam Spade s'est rangé des voitures. Portant beau malgré l'abus de cigarettes et de whisky, il a raccroché le Stetson et l'imperméable par amour pour une Française et s'est établi à Bozouls, du côté de Montpellier… Devenu veuf, il se partage entre baignades nu dans la piscine (clin d'œil à La Piscine, de Jacques Deray) et courses au marché local, pittoresque à souhait. Jusqu'à ce qu'une vieille affaire resurgie de nulle part le fasse replonger.
Aux sources de la mythologie
« Dans l'une des premières scènes, Spade est chez le médecin. Il se fait réprimander parce qu'il fume trop et il subit un très inconfortable examen de la prostate, détaille le comédien dans un sourire. On joue avec tous les clichés du détective macho, c'est formidable. Même si j'avoue que ce que j'ai préféré tourner, c'est la partie qui se passe dans les années 1940 où c'est le Spade pur et dur, pas la version adoucie. » Il y a chez Clive Owen, issu d'une fratrie de cinq garçons, supporteur assidu de l'équipe de Liverpool et héros décomplexé de films d'action (La Mémoire dans la peau, 2002 ; Shoot'Em Up, 2007 ; Killer Elite, 2011), une vraie aspiration à incarner cette virilité d'une autre époque. Jusqu'ici, ses meilleurs rôles – un bandit charmeur dans Inside Man (Spike Lee, 2006) et un sauveur de l'humanité dans Children of Men (Alfonso Cuaron, 2006) – avaient d'ailleurs été des variations modernes sur les héros classiques du cinéma de l'âge d'or hollywoodien.
Avec Spade, le voici qui remonte aux sources de la mythologie… jusqu'au grand Bogart en personne : « Je suis fan. J'ai les affiches de tous ses grands films : Casablanca, Le Faucon maltais et même Le Grand Sommeil – une affiche française, d'ailleurs, avec les visages de Bacall et de Bogart…Lauren Bacall avait été charmante quand j'avais eu la chance de la rencontrer, et le lendemain je lui avais fait porter mon poster pour qu'elle le dédicace. Ça fait partie des objets que je sauverais en cas d'incendie ou que j'emmènerais sur une île déserte, je vous laisse le choix de la métaphore ! »
Passion monomaniaque
Pourquoi cette passion monomaniaque chez un homme d'ordinaire très éclectique dans ses goûts ? « Je trouve son style de jeu très moderne, s'enflamme Clive Owen. Bogart va vite, il est à l'aise avec les mots. En fait, il est beaucoup moins laconique qu'on n'imagine. J'ai travaillé tous ses grands monologues pour avoir une voix, un accent convaincants en Spade et je me suis rendu compte qu'il avait plus de texte qu'on ne croit dans ses films… Mais sa sobriété crée l'illusion qu'il est taiseux. Fondamentalement, c'est justement cette sobriété que j'aime. Il en fait très peu et il habite l'écran. Tout est contenu, il n'exprime pas d'émotions exagérées. »
Un homme à l'ancienne, un vrai dur qui ne s'en laisse pas conter. Du genre qui s'attache peu, mais à jamais (la relation de Spade avec sa femme défunte, jouée par une excellente Chiara Mastroianni, est particulièrement réussie) et qui donnerait sa vie pour protéger une adolescente livrée à elle-même, Teresa (Cara Bossom). « C'est le cœur de l'histoire et, comme toujours quand on montre peu ses sentiments, la plus petite inflexion de voix réussit à vous toucher, s'émerveille l'interprète de Spade. Ça nous renvoie toujours à cet âge d'or du cinéma où les choses avaient tant de puissance. » Un pays lointain où Clive Owen nous entraîne avec délectation §
Mister Spade, à partir du 26 février sur Canal +.
Le Faucon Maltais est la quête du Graal chez les Malfrats, imaginée par Dashiell Hammett, adaptée par Raymond Chandler, pour qui un bon roman est celui "dont on peut supprimer les dernières pages", et filmé par John Huston, jeune réalisateur novateur, esthète et dynamique.
Dans cette histoire, Dashiell Hammett crée un personnage, Sam Spade, qui est son opposé : il est fort alors qu'il était poitrinaire, libre alors qu'il était agent de Pinkerton, l'agence de détectives, et il est séduit par des femmes fatales, alors qu'il était en ménage avec Lillian Hellman, lesbienne notoire, mais écrivain et dramaturge à succès.
A travers des histoires sordides, les romans de Dashiell Hammett ont une dimension hors du commun, et le personnage est idéalisé, les autres étant stéréotypés et sortis, si ce n'est d'une saga, d'un jeu de cartes.
Comment alors l'imaginer retraité ?