100 ans de Warner Bros : la saga familiale derrière la firme

La major hollywoodienne célèbre un siècle de cinéma avec des projections dans toute la France et des expos photo. L’occasion de revisiter une histoire familiale complexe.

Par

Temps de lecture : 6 min

Lecture audio réservée aux abonnés

Qui pense encore aux véritables frères Warner quand s'affiche sur grand écran le célèbre logo « WB » ? Nés pour certains aux États-Unis, pour d'autres au Canada, dans une famille juive polonaise qui avait fui les pogroms des Cosaques, les cinq frères Warner – et en particulier Jack et Harry, figures dominantes de la fratrie – grandissent dans la misère. Ils deviennent pourtant, dès la fin des années 1910, des figures-clés du Hollywood naissant. Un véritable conte de fées américain dont ils ont hautement conscience.

La newsletter culture

Tous les mercredis à 16h

Recevez l’actualité culturelle de la semaine à ne pas manquer ainsi que les Enquêtes, décryptages, portraits, tendances…

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

« Mes frères et moi sommes des exemples de ce que ce pays fait pour ses citoyens, déclare Jack Warner à la célèbre chroniqueuse Louella Parsons peu de temps après l'entrée en guerre des États-Unis. Nous ne sommes pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Si nous avons reçu un ustensile à notre naissance, c'étaient des pelles, et rien d'autre. Mais nous avons été libres de grimper aussi haut que la force de notre énergie et notre cervelle nous l'auront permis. »

À LIRE AUSSI Cinéma : quand Hollywood s'envoyait en l'air

De fait, Jack et Harry Warner grimpent très haut. Leur studio, Warner Brothers, révolutionne l'industrie avec le premier film parlant, Le Chanteur de jazz (1927). Les frères s'entendent mal et passent des mois sans se parler, mais ils tiennent leur domaine de Burbank (le « lot » historique du studio, toujours en activité) d'une main de fer. Le tandem contrôle toute la chaîne de fabrication d'un film, de l'écriture à la postproduction en passant par la fabrication des costumes et des décors. Avec pour devise « Réalisez de bons films et soyez de bons citoyens », Warner Bros devient le spécialiste d'une forme de réalisme social.

Sujets en prise avec l'actualité, stars de caractère comme James Cagney et Humphrey Bogart ou la diva Bette Davis, scènes tournées à la volée dans la rue : on est loin du glamour lustré de la MGM. « Les frères eux-mêmes avaient cette démarche de prendre des histoires dans les journaux, de traiter de sujets réels correspondant à des problématiques quotidiennes pour les spectateurs, ce qui était un parti pris unique », raconte Leslie Iwerks, réalisatrice d'un documentaire en plusieurs parties (pour l'instant inédit) sur l'histoire de Warner Bros projeté au dernier Festival de Cannes.

L'enjeu est double : faire des économies et parler au plus grand nombre. « Clint Eastwood m'a relayé une histoire qu'on lui avait racontée quand il est arrivé au studio, s'amuse Leslie Iwerks. Jack Warner, voyant des ouvriers repeindre un plafond sur un plateau, avait lancé : On a intérêt à voir ce plafond à l'écran ! Tout était à réutiliser : les décors, les costumes… Il n'y avait pas de petite économie. »

L'engagement politique contre les nazis

Ce réalisme thématique et esthétique donne dans les années 1930-1940 d'inoubliables films de gangsters : Au seuil de l'enfer (1930), L'Ennemi public (1931), Les Anges aux figures sales (1938)… Le réalisateur de ce dernier film, Michael Curtiz, un Hongrois passé par l'Allemagne, a déjà une belle carrière européenne derrière lui lorsqu'il est embauché par les deux frères et devient le spécialiste du style maison. « Curtiz est assurément le réalisateur Warner par excellence, note Leslie Iwerks, aussi à l'aise dans Les Aventures de Robin des Bois avec Errol Flynn que dans le romantisme de Casablanca. Un film sur lequel personne n'aurait parié et qui deviendra mythique… »

Resté dans les mémoires pour la poésie de son histoire d'amour, Casablanca (1942) illustre bien l'engagement antinazi du studio Warner. Le personnage principal, Rick (Humphrey Bogart), y passe au cours de l'histoire d'une forme de neutralité désabusée à l'action résistante, s'engageant dans la clandestinité contre les nazis et leurs alliés vichystes (l'action se passe au Maroc).

Warner a du reste été la première des majors hollywoodiennes à traiter la question nazie. Dès 1939, le studio produit Confessions d'un espion nazi (réalisé par Anatole Litvak), l'histoire vraie d'une enquête du FBI menée par l'agent Leon G. Turrou sur les activités nazies sur le sol américain. Le producteur Hal Wallis insiste pour donner au film une apparence de réalisme extrême, allant jusqu'à supprimer le générique pour qu'on ait l'impression de voir une bande d'actualités.

Le film est très critiqué et, en 1941, avant l'entrée en guerre, une commission d'enquête sénatoriale est lancée, à l'initiative de deux élus proches du mouvement de Charles Lindbergh « America First  » pour enquêter sur « la propagande au cinéma ». Posé et implacable, Harry Warner prend la parole devant le Sénat et affirme : « Le seul péché dont Warner Bros est coupable consiste à avoir enregistré à l'écran le monde comme il est ou comme il a été. »

Brouille familiale

Cette épreuve de force n'est pas la seule que le studio traverse. « Jack Warner était particulièrement dur avec ses stars, et beaucoup, comme Bette Davis et Olivia de Havilland ont été en conflit avec lui », rappelle Leslie Iwerks. Olivia de Havilland pousse l'audace jusqu'à assigner son patron en justice, le comparant à un « gardien de prison » et ses acteurs – enchaînés par des contrats de sept ans rallongés à l'envi et qui ne leur laissent aucune liberté dans le choix des rôles – à des « détenus ».

À LIRE AUSSI Olivia de Havilland : pourquoi nous l'avons tant aimée

En 1944, l'actrice obtient gain de cause, un séisme pour le microcosme hollywoodien. Warner Bros subit dans les années qui suivent la lente érosion du système des studios, provoquée en partie par l'arrivée de la télévision qui bouleverse profondément le modèle économique du secteur, dominant depuis les années 1920.

L'ambiance est délétère, d'autant que la relation entre les frères se détériore. « Il y avait des manœuvres des uns contre les autres en permanence, note Leslie Iwerks. C'était Succession avant l'heure. » Dans Le Royaume de leurs rêves (Calmann-Lévy, 1988), son livre de référence sur les « Juifs qui ont fondé Hollywood », l'historien Neal Gabler synthétise la rivalité entre Harry et Jack Warner (le premier incarnant la tradition, le second la modernité) en ces termes : « Les Warner, déchirés qu'ils étaient entre Jack et Harry, entre leurs obligations et leurs aspirations, entre l'ancien et le nouveau, entre le judaïsme et l'Amérique, formaient en réalité une sorte de paradigme des tensions générées par le mouvement d'assimilation pris au sens large. »

Ce qui est le sujet, étonnamment, du fameux Chanteur de jazz – l'histoire d'un fils de cantor du Lower East Side à New York qui au lieu de prendre sa place à la synagogue devient chanteur de jazz et court le risque de perdre l'amour de sa famille. La première brouille sévère entre les frères survient au début des années 1930 lorsque Jack quitte sa première femme Irma pour Ann Alvarado, qui n'est ni juive ni célibataire.

Et puis au milieu des années cinquante, les frères se brouillent définitivement à cause d'un projet de vente du studio à un syndicat bancaire organisé par la First National City Bank of Boston, projet qu'ils ont pourtant conçu conjointement. Ils ne s'adressent plus jamais la parole. Harry meurt d'une crise cardiaque en 1958, tandis que Jack manque de succomber à un grave accident de voiture (il meurt en 1978). Ces frères si désunis dans la vie restent à jamais unis par leur logo : des initiales dorées sur fond de ciel bleu, tout juste parsemé de quelques nuages.

Partout en France dans plus de 200 villes et tout l'été, 11 films en version remasterisée sur grand écran (« Le Chanteur de jazz », « 42e rue », « Casablanca », « Rio Bravo », « 2001 l'odyssée de l'espace », « L'Exorciste »…). À Paris, programmation spéciale aux Christine Cinéma Club et Écoles Cinéma Club ainsi qu'à la Filmothèque et dans certaines salles UGC et Pathé. Le 6 juillet, projection des « Affranchis » (1990) à 22 h 45 dans la Cour Carrée du Louvre dans le cadre du Festival Cinéma Paradiso de MK2. « Hollywood Story : les studios Warner dans l'œil de Paris Match » à la Galerie Paris Cinéma Club. Programme complet sur https://newsroom.warnerbros.fr/celebration-du-centieme-anniversaire-du-studio-emblematique-warner-bros/

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération