« Maestro » : que vaut le film de Bradley Cooper sur Leonard Bernstein ?

Disponible sur Netflix, ce faux « biopic » est surtout le portrait d’un couple (Bernstein et sa femme Felicia). L’un des plus beaux films de cette fin d’année.

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Bradley Cooper (Leonard Bernstein) et Carey Mulligan (Felicia Bernstein) dans le premier film que l'acteur a réalisé, Maestro, disponible sur Netflix. 
Bradley Cooper (Leonard Bernstein) et Carey Mulligan (Felicia Bernstein) dans le premier film que l'acteur a réalisé, Maestro, disponible sur Netflix.  © Netflix

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Longtemps, Bradley Cooper s'est rêvé chef d'orchestre. Enfant, il jouait à diriger des symphonies et espérait recevoir une baguette pour Noël. Devenu réalisateur, le voici qui s'offre – et nous offre – Maestro, un film d'une remarquable ambition esthétique et narrative, l'un des plus beaux de cette fin d'année. Il y raconte le chef d'orchestre, pédagogue et compositeur Leonard Bernstein (Bradley Cooper lui-même), auteur, entre autres, de la partition de la comédie musicale West Side Story.

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Le film commence par un Bernstein âgé, qui joue du piano pour une émission de télévision puis accorde une interview. Cette entrée dans le film est trompeuse : Maestro n'a rien d'un « biopic » conventionnel. Car ce qui passionne le cinéaste interprète chez « Lenny » (le surnom que lui donnent sa famille et son public), c'est la question de la tension qu'inflige le génie à la vie privée.

Felicia Montealegre (Carey Mulligan), une actrice chilienne, est la femme de sa vie. Avec elle, son épouse pendant vingt-sept ans, le directeur musical de la Philharmonie de New York a trois enfants. Leur relation est peinte ici dans toute sa profondeur : c'est un partage constant d'idées, d'émotions et d'ambitions. Felicia est la seule non seulement à le comprendre mais surtout à poser sur lui un regard exigeant, à la hauteur de sa personnalité hors du commun. Il s'agit ici de philia, une véritable compréhension des âmes, plus que d'éros. Et tout le problème, c'est que l'éros – justement – exige son tribut. Tout en aimant profondément sa femme, Leonard Bernstein est homosexuel et, vorace en amour comme il l'est dans son art, ne veut renoncer à rien.

Bernstein entre monstruosité et génie

La tension qui oppose Felicia et Lenny explose dans une scène de dispute d'une férocité digne d'un film d'Ingmar Bergman. Parce qu'ils se connaissent si bien, parce qu'ils s'aiment si profondément, ils savent se blesser mieux que quiconque. Telle une héroïne du grand cinéma hollywoodien de l'âge d'or, c'est Felicia (et Carey Mulligan, extraordinaire) qui sort gagnante de la confrontation. Car Bradley Cooper ne laisse jamais sa profonde admiration pour Bernstein affadir sa vision du personnage. Son Lenny est à la fois un monstre capable de blesser sciemment ceux qu'il aime, un charmeur irrésistible et un génie musical. La scène où Bernstein réfute les rumeurs d'homosexualité que lui rapporte sa fille est à cet égard bouleversante. On y voit à la fois et dans un même mouvement un père aimant, un homme torturé par son secret et un vrai manipulateur.

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Empruntant aussi bien aux comédies musicales On the Town et West Side Story qu'à des œuvres moins connues mais somptueuses comme Trouble in Paradise ou A Quiet Place, le cinéaste accorde ses effets visuels au lyrisme enfiévré de la musique. Une séquence d'anthologie reconstitue le célèbre concert de la cathédrale d'Ely, en Angleterre, où Bernstein dirige le London Symphony Orchestra dans la Symphonie numéro 2 (Résurrection), de Gustav Mahler. « Quand Bernstein compose ou dirige, c'est une énergie nucléaire qui se dégage », explique le cinéaste.

Pourquoi Bradley Cooper a de faux airs de Clint Eastwood

Il y a du Clint Eastwood chez Bradley Cooper. Comme son illustre aîné, qui l'a dirigé dans American Sniper (2015), la star révèle, la quarantaine venue, sa vraie nature : celle d'un metteur en scène. Clint Eastwood était passé à la réalisation à 41 ans, avec Un frisson dans la nuit (1971), un film où, déjà, la musique jouait un rôle essentiel (Souvenez-vous de « Misty », la ballade composée par le pianiste de jazz Erroll Garner).

Sur une idée de Clint Eastwood qui voulait le tourner avec Beyoncé, Bradley Cooper avait déjà signé un beau mélo musical, A Star is Born (2018), et offert ses débuts au cinéma à Lady Gaga. Il démontre avec Maestro qu'il a les moyens de ses ambitions. Dans une époque où le cinéma américain, obstinément tourné vers un public adolescent, tend à simplifier les enjeux, l'acteur réalisateur ose les rendre plus subtils, plus complexes. « Bernstein abolit les frontières entre les genres, nous disait le directeur de l'Opéra de Paris, Alexander Neef, l'an dernier, au moment de l'entrée au répertoire de A Quiet Place. Avec lui, il n'est plus question de grande musique ou de musique populaire. On est dans la beauté de la musique et de la création. » Une affirmation qui vaut tout autant pour Maestro.

Maestro de Bradley Cooper. Avec Bradley Cooper, Carey Mulligan, Michael Urie, Matt Bomer. Disponible sur Netflix.

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Commentaires (5)

  • guy bernard

    J'ai vu ce film, alors que je venais d'apprendre qu'il n'avait aucun succès ; et pour cause, Bradley nous livre un film qui ne fait aucune concession... , au public populaire de Leonard Bernstein, dont la connaissance se limite à ses films musicaux.
    D'emblée, Bernstein en dit, "ce n'est pas de la musique ! ".
    Aller vous rhabiller, vous qui en attendiez la genèse d'On the town ou de West Side Sory !
    Et le film, drame ponctué d'extraits de ses grands numéros de chef d'orchestre, se déroule jusqu'à la fin où, à un âge avancé, il dit vouloir "faire ce qu'il veut".
    Est-ce exact : pour pouvoir enregistrer quelques une de ses œuvres, Deutsche Grammophon lui avait imposé d'enregistrer "West Side Story" qu'il n'avait jamais dirigé.
    Cela a donné alors une gentille interprétation, faite de bric et de broc, et sans le moindre génie, bien loin de ses interprétations passionnées de Mahler.
    En fait, j'ai rencontré Bernstein à travers sa leçon sur la symphonie fantastique de Berlioz, qui avait comme lui une incroyable culture musicale, et dont il vantait la liberté du "hautbois fou" !

  • guy bernard

    Alors que les musiciens americains, généralement d'origine allemande, vivent entre eux à Los Angeles, ce désespérant d'un pays qui n'a pas de saisons, Leonard Bernstein va se tourner vers les autres, les jeunes en particulier, en animant des concerts télévisés (Young People's Concerts (1958–72), qui va etre à la base de la culture musicale américaine.
    Plus encore, il va intégrer les compositeurs americains à cette culture dès la deuxième émission, avec l'analyse de l'œuvre d'Aaron Copland (la musique du film "l'arnaque").
    C'est donc un personnage familier et américain.
    Ce sera donc, pour un public français, le plus difficile à traduire.

  • monsan ( Monique)

    Les deux acteurs sont fabuleux, j'ai adoré, je recommande.