Interview

Danièle Thompson : « J’avais écrit un polar pour Jean Gabin »

INTERVIEW. Présidente du jury de la 4e édition du Festival Reims Polar, la scénariste-réalisatrice passe à table entre deux projections.

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Danièle Thompson, présidente du jury du Festival du film policier Reims Polar.
Danièle Thompson, présidente du jury du Festival du film policier Reims Polar. © Mathilde Marc

Temps de lecture : 6 min

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Scénariste et réalisatrice chère au public hexagonal, de La Bûche au Code a changé sans oublier l'incroyable litanie de scripts coécrits avec son père, Gérard Oury, pour les comédies légendaires de ce dernier (La Grande Vadrouille, La Folie des grandeurs, Les Aventures de Rabbi Jacob…) ou avec d'autres cinéastes (La Boum, La Reine Margot, Les Marmottes…), Danièle Thompson affectionne tout autant les thrillers policiers.

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Elle n'en a pourtant jamais écrit – enfin… presque, comme elle le confie au Point Pop – mais elle a malgré tout répondu sans se faire prier à l'appel des organisateurs du Festival Reims Polar, pour présider le jury de la 4e édition.

Rencontre express, entre deux projections, avec une grande dame du cinéma français qui nous livre un souvenir précieux et nous rappelle aussi que, malgré l'actuel climat plutôt délétère pour les forces de l'ordre, nos imaginaires ont toujours besoin de croire en des histoires où les flics ne sont pas forcément dépeints comme des ripoux jusqu'à la moelle.

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Le Point : Vous étiez déjà présidente du jury en 2015 au Festival international du film policier de Beaune, rebelote cette année à Reims Polar : si je vous demande de me citer en vrac vos titres préférés dans le genre ?

Danièle Thompson : Mon Dieu… Je vous dis ça dans le désordre, ça va de Garde à vue de Claude Miller (que j'ai bien connu grâce à mon père, ils étaient très amis), les polars de Melville, Les Diaboliques de Clouzot, Mélodie en sous-sol de Verneuil, Claude Chabrol (à qui Reims Polar rend hommage d'ailleurs cette année !), les Scorsese, Usual Suspects, French Connection, Les Trois Jours du Condor même si ce dernier tire plus vers le film d'espionnage… Ah, et puis j'adore L'Arme fatale. Voilà un parfait exemple de grand film populaire avec des flics héros, dès qu'il passe à l'a télé, je ne peux m'empêcher de le revoir.

Je pense que le cinéma fait aussi œuvre de pédagogie, il influence à son niveau l’idée que l’on se fait des flics.

Pourquoi ne vous êtes-vous jamais aventurée dans ce type d'histoires, ni comme scénariste ni comme réalisatrice ?

Eh bien… J'avais écrit un polar dans les années 1970, mais il ne s'est jamais fait. C'était un script cosigné avec un avocat d'assises marseillais qui écrivait des polars lui-même et le sujet portait sur le personnage de Barthélemy, dit « Mémé », Guérini, un très grand chef du milieu marseillais [ex-résistant, condamné à 20 ans de prison en 1969 pour complicité d'assassinat, mort en 1982, NDLR]. Jean Gabin devait interpréter Mémé Guérini, il nous avait donné son accord au cours d'un déjeuner… Michel Berny, futur réalisateur de la série Petit Déjeuner compris, devait réaliser le film, il avait alors le vent en poupe et il avait d'ailleurs participé aussi à l'écriture. Nous étions prêts, c'était parti pour être une belle aventure.

Et puis Gabin est mort, ce qui a mis un terme instantané au projet. Mais j'ai toujours gardé le script. Par la suite, en effet, je n'ai jamais retouché au genre en tant que tel, mais le mot polar se mélange tellement à d'autres catégories, comme le thriller, le film d'aventures, le film policier, la comédie… Tout ça se mélange un peu. Prenez Les Aventures de Rabbi Jacob, okay, c'est une comédie, mais il y a un suspense, de la violence, des coups de feu, des morts… La Reine Margot, c'est aussi un film d'une grande violence avec des éléments de suspense.

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Quand même : hormis quelques exceptions notables comme La Nuit du 12 ou les films d'Olivier Marchal, le cinéma français récent néglige le polar pur et dur…

Oui, j'allais vous citer La Nuit du 12, qui est une petite merveille. Ou Anatomie d'une chute, qui est autant un thriller, une enquête, qu'un film de procès et une étude de mœurs. Il aurait très bien pu être projeté à Reims Polar. Mais c'est vrai que le polar a beaucoup été avalé par la télévision, avec beaucoup de séries et de téléfilms qui sont très bien faits depuis trente ans et sont appréciés des Français.

Olivier Marchal travaille aussi beaucoup pour la télévision. Je ne pense pas qu'il y ait lieu d'être pessimiste pour le genre en France, il y a toujours eu une tradition de grand polar chez nous, à travers Melville, Clouzot, Claude Miller quand il faisait Garde à vue et Mortelle Randonnée. Je pense aussi à Bac Nord de Jimenez, qui est un très beau dernier exemple qui me vient en tête. Et on va voir notre premier film français en compétition ce soir. Le polar tricolore respire encore !

J’ai le sentiment que, dans les films policiers actuels, le spectateur est privé du droit d’avoir un flic héros intègre, comme le Belmondo de la grande époque.

À Reims Polar, le réalisateur Andrew Davis (Le Fugitifnous a confié cette semaine que, selon lui, la défiance persistante de l'opinion américaine envers les institutions fédérales et les forces de l'ordre, notamment depuis le 11 Septembre puis le mouvement Black Lives Matter, était aussi, peut-être, la cause de la raréfaction d'histoires hollywoodiennes avec des héros flics ou agents spéciaux. Êtes-vous d'accord avec cette analyse ?

Intéressant… Peut-être… Bon, le flic pourri existe quand même depuis toujours dans la mythologie cinématographique, avant même Les Ripoux que j'adore (tiens, une comédie aussi !). Mais c'est vrai que les histoires où les flics sont des héros ont tendance à s'effacer et c'est dommage parce que je pense que le cinéma fait aussi œuvre de pédagogie, il influence à son niveau l'idée que l'on se fait des flics. De même qu'en comédie, le spectateur n'a plus le droit à la naïveté, qui était un don d'artistes comme Chaplin ou Louis de Funès, j'ai le sentiment que dans les films policiers actuels, le spectateur est privé du droit d'avoir un flic héros intègre, comme le Belmondo de la grande époque. Un mec sans peur et sans reproche.

On fouille systématiquement dans les failles des personnages, on en fait des gens fragiles avec tout un tas de complications personnelles… et ça lézarde un peu le côté héroïque de ce métier, qui est aussi un métier de héros, il faut le dire. Évidemment que la profession connaît des abus. Évidemment que, lorsque vous voyez les images de George Floyd à terre aux États-Unis, c'est une catastrophe pour toutes les polices du monde entier. Il n'empêche : c'est un métier pour lequel j'ai beaucoup d'admiration.

Il y a aujourd’hui la violence des réseaux sociaux et une certaine vision d’eux au cinéma qui, effectivement, éteint ce côté glorieux que pouvaient avoir certains flics d’une autre époque.

Quand nous attendions le train gare de l'Est à Paris pour venir à Reims, une alerte a la bombe a été déclenchée à cause d'un bagage oublié. Des flics sont venus avec leurs chiens pour vérifier, tandis qu'on attendait tranquillement à l'écart. Si jamais un truc devait exploser, c'est quand même pour leur tronche en premier. Seulement voilà, il y a aujourd'hui la violence des réseaux sociaux et une certaine vision d'eux au cinéma qui, effectivement, éteint ce côté glorieux que pouvaient avoir certains flics d'une autre époque. Hors en fiction aussi, on a parfois besoin de héros protecteurs.

Vous êtes vraiment sûre que vous ne voulez pas en faire un vous-même, de polar ? Et si vous ressortiez votre vieux script pour Gabin ?

Ah, ah, oui, tiens, pourquoi pas ! L'idée du scénario était très bonne en tout cas.

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Un dernier mot sans rapport avec les flics : presque un an après sa diffusion, quel bilan tirez-vous de votre mini-série Bardot, dont les audiences ont connu une chute spectaculaire après de bons débuts ?

Ça m'agace un peu cette histoire parce que la presse a l'air de dire que c'était une déception, alors que ça ne s'est pas mal passé du tout. Il y a eu en effet une descente d'audience après un démarrage à 3 millions de spectateurs, mais rien de déshonorant, la chaîne était très contente. On a eu des critiques formidables, y compris dans Le Point. Il y a eu énormément de visionnages en replay, et ça s'est aussi très bien passé sur Netflix, qui la diffuse depuis août dernier.

Les ventes à l'étranger se portent bien également, je n'ai donc pas l'impression d'un échec. Mais je ne pense pas qu'il y aura une suite. À cause de la crise du Covid, ce projet a monopolisé cinq ans de ma vie, j'ai envie de passer à autre chose !

Propos recueillis au 4e Festival Reims Polar.

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