Interview

Pascal Engman, la nouvelle voix du polar scandinave

ENTRETIEN. Alors qu’il vient de publier son dixième livre en Suède, Pascal Engman présente au festival Quai du polar son premier roman traduit en français.

Propos recueillis par

Déjà publié dans une vingtaine de pays, Pascal Engman publie aujourd'hui en France Féminicide.  Il est invité au festival Quai du polar.  
Déjà publié dans une vingtaine de pays, Pascal Engman publie aujourd'hui en France Féminicide.  Il est invité au festival Quai du polar.   © Alexander Donka

Temps de lecture : 7 min

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Le royaume de Suède occupe une place singulière dans le domaine de la littérature policière. Le duo Wahlöö et Sjöwall avait ouvert la voie dans les années 1960, bientôt suivi par Henning Mankell, Stieg Larsson ou encore Camilla Läckberg. Voici venu un nouvel auteur de polar « made in Stockholm » : Pascal Engman. À 37 ans, déjà auteur de dix livres, traduits dans une vingtaine de langues à travers le monde, cet ancien journaliste n'est pas un débutant. À l'heure où paraît en France son premier livre, traduit par Catherine Renaud, l'écrivain revient sur son parcours. Rencontre.

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À LIRE AUSSI Quais du polar, le plus grand rendez-vous européen du roman noirLe Point : Votre premier roman traduit en français explore, sous l'angle du thriller, la montée en puissance du mouvement « Incel », cette mouvance masculiniste qui promeut un discours ultraviolent sur les réseaux sociaux. Comment vous est venue l'idée de consacrer un livre à ce phénomène, dès 2018 ?

Pascal Engman, 37 ans, est l'auteur d'une dizaine de thrillers. Ancien journaliste, c'est aujourd'hui l'un des écrivains de thrillers les plus en vue en Suède.
 ©  Alexander Donka
Pascal Engman, 37 ans, est l'auteur d'une dizaine de thrillers. Ancien journaliste, c'est aujourd'hui l'un des écrivains de thrillers les plus en vue en Suède. © Alexander Donka

Pascal Engman : J'ai appris l'existence du mouvement « Incel » [qui tire son nom de groupes d'hommes misogynes se présentant comme « célibataires involontaires », NDLR] lors d'une tuerie de masse survenue à Toronto au printemps 2018. L'enquête a montré que l'auteur de ce massacre était membre de ce groupuscule masculiniste qui transforme sa frustration sexuelle en violence et qui déborde largement le simple monde des réseaux sociaux puisqu'il s'exprime aussi, malheureusement, dans le monde réel. Notamment en Suède.

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On imaginait votre pays comme une terre progressiste. C'est là que s'est épanoui l'un des premiers mouvements féministes européens… On se trompait ?

La Suède est aussi un pays très féministe, mais le mouvement « Incel » a trouvé à s'épanouir chez nous de manière paradoxale. Parce que les droits des femmes y ont connu de grandes avancées ! C'est un aspect tragique du féminisme : plus les droits des femmes progressent, plus émergent, en réaction, des mouvements hostiles qui militent pour un retour au schéma de société patriarcal. Quand on regarde les statistiques, il y a quelque chose d'un peu désespérant. Les femmes qui obtiennent de fortes revalorisations de leur salaire sont plus sujettes à des violences domestiques que les autres. Plus les femmes sont autonomes, plus certains hommes craignent de perdre le contrôle et réagissent de manière brutale…

La Suède est aussi un pays très féministe mais le mouvement des « Incels » a trouvé à s’épanouir chez nous de manière paradoxale.

Vos livres ont une caractéristique commune : ils traitent tous de phénomènes de société. Pourquoi vouloir systématiquement mêler intrigues policières et ressorts sociologiques ?

Parce que c'est un moyen divertissant d'apprendre du monde dans lequel on vit. J'ai longtemps été journaliste et j'ai vu apparaître, au début des années 2000, ce concept d'infotainment, un vilain mot pour désigner, cette envie des lecteurs de s'informer en se divertissant. Mes livres s'inscrivent dans cette tendance.

Votre premier livre (non traduit en français) s'intitule Patrioterna. De quoi parle cet ouvrage dont le titre signifie les patriotes ?

Je l'ai écrit alors que je travaillais pour un magazine de Stockholm [Expressen, NDLR]. Après une série de reportages sur l'immigration, plusieurs de nos rédacteurs ont reçu des menaces de mort. Et une bombe artisanale a même été envoyée dans nos bureaux de Göteborg. L'enquête a montré qu'un mouvement néonazi était derrière. Plusieurs de ses membres ont d'ailleurs manifesté pendant plusieurs jours devant le siège de notre journal. La police a trouvé des couteaux sur eux. J'ai commencé à enquêter sur ces gens qui se présentent comme ultranationalistes et sont prêts à commettre les actes les plus radicaux. J'ai imaginé l'itinéraire de trois jeunes membres d'un mouvement d'ultradroite qui verse dans la violence la plus extrême.

À LIRE AUSSI Emelie et Henrik Schepp, ce couple qui dynamite le thriller nordiqueLes droits d'adaptation de ce livre ont immédiatement été achetés par une société de production. Un film en sera-t-il bientôt tiré ?

Je ne sais pas. Tous mes romans ont été « optionnés » par des studios ou des plateformes mais, à ce jour, aucune production n'est véritablement lancée. J'étais au départ très excité quand j'ai appris que Hollywood s'intéressait à mon histoire avant même que le livre ne paraisse en Suède. Mais le développement d'une production prend du temps. J'ai donc appris à être patient.

Quel a été votre parcours avant d'intégrer le monde de la presse ? Quelles études avez-vous faites ?

Je suis un autodidacte. Je n'ai pas suivi de cursus universitaire. Si je devais me prévaloir d'un diplôme, ce serait « serveur de bar. » Après le lycée, j'ai en effet multiplié les petits boulots. Et travaillé notamment dans une boîte de nuit en Grèce, pendant un été, pour suivre ma petite amie de l'époque.

À LIRE AUSSI « Les Doigts coupés », le premier polar préhistoriqueÀ votre retour en Suède, vous n'avez pas tout de suite travaillé dans le journalisme. Qu'avez-vous fait ?

Mes parents géraient une sorte de foyer d'accueil à vocation sociale où nous recevions les gens qui étaient expulsés de chez eux. J'ai travaillé à leurs côtés pendant quelques années.

Est-ce cette expérience qui explique votre fascination pour les bas-fonds ?

Non. C'est mon passage par les journaux. Quand j'avais 24 ans, j'ai intégré la rédaction du Trelleborgs Allehanda [l'un des plus vieux titres du pays, publié dans le sud-ouest de la Suède, NDLR]. J'avais décroché un rendez-vous avec le directeur et emprunté une voiture pour rejoindre cette ville qui est à 600 km de chez moi. Le directeur m'a gentiment reçu, mais pour me dire qu'il ne pouvait pas m'embaucher. Quand il a appris la route que j'avais faite, il a dû avoir pitié. Il m'a, en tout cas, commandé mes premiers papiers. C'est comme ça que tout a commencé. Par des portraits de vieux pêcheurs, des interviews de commerçants, des faits divers de seconde zone. Pour remercier ce directeur qui s'appelle Rickard Frank, j'ai donné son nom à l'héroïne que j'ai imaginée. Elle se nomme Vanessa Frank.

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Cette femme vous a-t-elle été inspirée par une vraie policière ?

Oui. J'ai rencontré une enquêtrice au parcours particulier. Une ancienne ballerine devenue policière. J'ai tout de suite vu en elle un excellent personnage de fiction.

Est-elle au courant ?

Oui. Bien sûr. Je lui soumets tous mes manuscrits. Elle me dit si ce que je décris est conforme à la réalité du terrain.

Peut-on en savoir plus sur son identité ?

Non. Appelons-la T. Elle a 47 ans. Je ne peux pas en dire plus, car elle est toujours en activité.

Tous mes romans ont été « optionnés » par des studios ou des plateformes mais, à ce jour, aucune production n’est véritablement lancée

Vous passez avec une aisance déconcertante d'un milieu à un autre : le monde des néonazis comme celui de la pègre. D'où vous vient cette facilité ?

Probablement de mon éducation. J'ai grandi dans un milieu modeste. Mon père est immigré. Il est né à Tocopilla, au Chili. Mais mes parents ont veillé à m'inscrire dans l'un des meilleurs lycées de Stockholm où j'ai fréquenté la haute société du pays. Je me rappelle ainsi qu'un de mes amis avait un hélicoptère et voulait venir nous rejoindre avec quand nous étions en vacances. Ayant fréquenté des gens de tous les horizons, je me sens à l'aise dans tous les milieux. Aussi bien avec les migrants des banlieues qu'avec les classes supérieures suédoises. C'est peut-être ce parcours qui explique que mes travaux portent souvent sur la mixité sociale de mon pays. Ou que j'ai voulu faire de Vanessa Frank, mon héroïne, une fille des beaux quartiers devenue policière.

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La variété des sujets que vous traitez est étonnante. Dans Änkorna [le troisième épisode de la série Vanessa Frank], vous abordiez le sujet des veuves de djihadistes qui veulent revenir en Europe…

La Suède est le deuxième pays après la Belgique à avoir eu le taux de départ en Syrie et en Irak le plus élevé de l'Union européenne. C'est cette donnée qui m'a poussé à écrire sur ce thème. Mais avant, j'avais creusé un autre sujet où mon pays s'illustre de manière un peu triste : le nombre d'enfants qui disparaissent. En Suède, ce sont 150 enfants, souvent migrants, qui s'évaporent chaque année. Ces kidnappings m'ont donné la matière pour un livre sur les trafics d'organe. A suivi un roman sur les réseaux importateurs de cocaïne, un autre sur la traite d'êtres humains et la fabrication d'armes à feu avec des imprimantes 3D. Mais aussi un polar sur les matchs de foot truqués, un autre fléau en Suède.

Sur quel sujet travaillez-vous actuellement ?

Les guerres de gangs qui ensanglantent certains quartiers de Stockholm. 60 personnes perdent la vie chaque année dans ces affrontements en Suède. Six fois plus qu'au Danemark, en Finlande et en Norvège réunis. J'ai commencé à travailler le sujet quand j'ai été approché par le chef d'un réseau mafieux qui voulait que j'écrive son histoire. Grâce à lui, j'ai réuni une importante documentation. Je vais écrire ce livre lors de mon prochain séjour au Chili où je m'isole dans une maison familiale, aux environs de la petite ville de Vallenar, aux portes du désert d'Atacama. J'aimerais ensuite raconter l'histoire de Suédois ayant immigré aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. On en retrouve beaucoup à Chicago où un clan d'origine suédoise a longtemps été en guerre avec la mafia italienne.

Le corps d'une jeune femme est découvert dans la banlieue de Stockholm. Apparemment une victime de son ex-petit ami jaloux, qui l'a tuée dans un accès de colère. La commissaire Vanessa Frank se lance dans l'enquête, car les crimes contre les femmes ne laissent pas indifférente cette commissaire habituellement dure. Mais elle a bientôt l'impression qu'il lui manque une pièce essentielle du puzzle...
 ©  DR
Le corps d'une jeune femme est découvert dans la banlieue de Stockholm. Apparemment une victime de son ex-petit ami jaloux, qui l'a tuée dans un accès de colère. La commissaire Vanessa Frank se lance dans l'enquête, car les crimes contre les femmes ne laissent pas indifférente cette commissaire habituellement dure. Mais elle a bientôt l'impression qu'il lui manque une pièce essentielle du puzzle... © DR
*Féminicide, de Pascal Engman (traduction Catherine Renaud), Nouveau Monde édition, 448 pages, 22 €.

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