L'incroyable succès du « true crime » au rayon polar

Le mystère Dupont de Ligonnès, l’affaire Sambre, l’intrigue du Grêlé… C’est le phénomène éditorial du moment : l’incroyable succès des récits tirés de faits divers réels. Pourquoi ce succès ?

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L’écrivain Jean Giono a suivi et chroniqué toutes les audiences du procès de Gaston Dominici, accusé d’un triple meurtre en août 1952. Un précurseur en matière de « true crime ».
L’écrivain Jean Giono a suivi et chroniqué toutes les audiences du procès de Gaston Dominici, accusé d’un triple meurtre en août 1952. Un précurseur en matière de « true crime ».
© Collection Gregoire / Bridgeman Images

Temps de lecture : 5 min

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Été 2020. L'enquête fleuve de Society consacrée au mystère Dupont de Ligonnès offre des ventes record au magazine. Les deux parties de l'investigation, publiées à quinze jours d'intervalle, sont réimprimées à plusieurs reprises au cours du mois d'août pour satisfaire l'excitation des vacanciers. Sur Twitter et Instagram, on s'échange les bons filons pour trouver les précieux numéros, lesquels s'écoulent en quelques semaines à plus de 280 000 exemplaires.

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Novembre 2023. C'est à France 2 de faire des records d'audience en diffusant la série Sambre, six épisodes d'une efficacité redoutable, libre adaptation de l'enquête d'Alix Géraud (Sambre. Radioscopie d'un fait divers, JC Lattès) sur l'affaire judiciaire hors norme du « violeur de la Sambre ». La série réunit plus de quatre millions de téléspectateurs.

Toujours populaire

Le point commun entre ces deux succès ? Le true crime, (littéralement, les « histoires criminelles vraies »), ce genre documentaire originaire des États-Unis, initialement littéraire et aujourd'hui largement étendu au cinéma, au documentaire, au podcast… « Les récits de true crime ont toujours été extrêmement populaires auprès des lecteurs, racontait la reine des romancières Joyce Carol Oates en juin 1999, dans la New York Review of Books.Apparemment, le genre a de quoi séduire aussi bien le public cultivé que le public à faible niveau d'instruction, aussi bien les femmes que les hommes. Le chroniqueur le plus célèbre dans ce domaine est le criminologue amateur William Roughead, un avocat écossais qui, de 1889 à 1949, a assisté à tous les grands procès criminels de la haute cour de justice d'Édimbourg et leur a consacré des essais. […] Depuis, le true crime est devenu un secteur florissant, surpeuplé, encore qu'il n'ait pas attiré beaucoup d'écrivains de talent. »

À LIRE AUSSI Jean-Xavier de Lestrade : « J'ai l'obsession de mettre du documentaire dans la fiction »

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        <STRONG>Investigation. </STRONG>La reine Élisabeth II et le prince Philippe à Aberfan, le 29 octobre 1966, après le glissement de terrain qui a provoqué la mort de 144 personnes. Ce fait divers a fait l’objet d’une enquête du journaliste du <I>New Yorker</I> Sam Knight.</FIGCAPTION> ©  Bridgeman Images
Investigation. La reine Élisabeth II et le prince Philippe à Aberfan, le 29 octobre 1966, après le glissement de terrain qui a provoqué la mort de 144 personnes. Ce fait divers a fait l’objet d’une enquête du journaliste du New Yorker Sam Knight.
© Bridgeman Images

Clé du succès

Le maître incontesté du genre reste tout de même Truman Capote, qui publie en 1966 De sang-froid, récit du quadruple meurtre d'Holcomb (Kansas), de sa préparation à l'exécution des deux meurtriers. Captivé par l'affaire, Capote quitte New York, et passe quelques mois avec son amie Harper Lee à recueillir des témoignages et à mener l'enquête. Pour la première fois, un romancier permet de comprendre la trajectoire de véritables assassins. D'abord publié dans le New Yorker avant de faire l'objet d'un livre, De sang-froid s'écoulera à plus de 8 millions d'exemplaires à travers le monde.

Quelques années avant Capote, l'écrivain Jean Giono avait publié Notes sur l'affaire Dominici, un fait divers qui défraya la chronique en 1952 dans un petit village des Alpes, et dont Giono suivra l'intégralité des audiences. Associer le vertige du réel aux atouts du roman que l'on dévore, voilà la clé du succès. En quelques décennies, le genre va faire des émules.

Faits de société

Mais tout fait divers est-il bon à être raconté ? « Loin de là, confiait le réalisateur de Sambre, Jean-Xavier de Lestrade, lors de la sortie de la série. Ce qui le justifie, c'est quand le fait divers devient un fait de société. Quand on sent que cette histoire peut dire quelque chose qui va au-delà de l'histoire elle-même. » « Il n'y a pas 36 000 faits divers qui ont l'étoffe suffisante pour faire un bon livre ou une bonne série », renchérit la journaliste Patricia Tourancheau, devenue papesse du true crime avec ses enquêtes – pour la plupart adaptées en documentaires ou en séries – sur Guy Georges, le 36, Grégory, le Grêlé…

Dernière en date, l'incroyable histoire vraie du braquage de Kim Kardashian, la star de la téléréalité américaine détroussée par des papys voyous âgés de 60 à 72 ans. Dans Kim et les papys braqueurs, paru aux Éditions du Seuil début mars, Tourancheau se sert de l'argot de chacun de ses personnages pour que le récit paraisse plus vrai que nature. « J'écris des livres pour combler ma frustration journalistique, analyse-t-elle. Il n'y a rien de pire que de rapporter des tas d'éléments et de témoignages qui ne vont finalement pas servir. C'est de l'enquête à vide ! Dans un bouquin, j'ai recours au moindre détail et j'en profite pour montrer l'évolution du grand banditisme. Il y a le fait divers, mais il y a surtout tout ce qu'il nous raconte de la société dans laquelle on vit. »

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        <STRONG>Papys braqueurs. </STRONG>Dans son dernier livre, Patricia Tourancheau, la papesse du <I>true crime</I>, narre l’incroyable braquage vécu à Paris, en 2016, par la star de téléréalité Kim Kardashian. </FIGCAPTION> ©  AKM-GSI/ABACA
Papys braqueurs. Dans son dernier livre, Patricia Tourancheau, la papesse du true crime, narre l’incroyable braquage vécu à Paris, en 2016, par la star de téléréalité Kim Kardashian.
© AKM-GSI/ABACA

Des réalités très diverses

Ainsi, l'attrait pour l'affaire criminelle ne relève peut-être pas uniquement du voyeurisme sordide. « Il y a une dimension cathartique. Mais aussi un grand intérêt pour le tableau social ou psychologique du monde. C'est d'ailleurs flagrant : le lecteur français montre généralement un plus vif intérêt pour les affaires françaises que pour les affaires étrangères », confirme Camille Racine, directrice de la collection « La Bête noire » chez Robert Laffont, qui a lancé en 2022 un nouveau label, Les Ondes, pour satisfaire cette soif de textes inédits inspirés par l'univers du crime. Nouveau label également chez Hachette, qui lance « Dark Side », avec pas moins d'une vingtaine de titres prévus entre 2024 et 2025.

Traductions d'enquêtes journalistiques à l'anglo-saxonne, réappropriation de faits divers par de célèbres auteurs de polars, vraies histoires qui ont inspiré les plus célèbres thrillers du cinéma, ou encore adaptations de podcasts à succès en livres… Le true crime recouvre actuellement, dans le monde de l'édition, des réalités très diverses. « L'une de nos meilleures ventes, plus de 70 000 exemplaires à ce jour, confie Stéphane Rosa, directeur de la collection « Dark Side », ce sont les livres du youtubeur McSkyz, une sorte de Faites entrer l'accusé qui s'adresse aux jeunes générations. Peaky Blinders, l'histoire vraie, sur les origines de la célèbre série, a aussi très bien marché. »

À LIRE AUSSI Violeurs, kidnappeurs, serial killers… Pourquoi les femmes adorent le « true crime »

Si les livres de true crime inspirent documentaires et fictions et que les séries et les podcasts sont adaptés en livres, le serpent ne finit-il pas par se mordre la queue ? « Bien au contraire, analyse Aurélien Masson, ex-directeur de la « Série noire » chez Gallimard, puis de la collection « EquinoX » aux Arènes, qui a récemment publié l'excellente série Six Versions, de Matt Wesolowski. Alors que le polar connaît un certain essoufflement, le true crime apporte un vent d'air frais. Il invente, notamment, une nouvelle façon de raconter des histoires, de manier le vrai et le faux, de jouer de l'illusion. J'aime son côté gonzo, quand le point de vue du journaliste s'impose. »

On pense évidemment à la formidable enquête du journaliste du New Yorker Sam Knight, Le Bureau des prémonitions (Sonatine), sur le glissement de terrain d'Aberfan en 1966, ou encore à celle du journaliste du New York Times Elon Green (Last Call, Sonatine), sur la série de meurtres perpétrés au début des années 1990 dans la communauté LGBT… Et aussi à la collection des éditions 10/18 lancée en mars 2023 en collaboration avec Society, dont l'objet est de raconter les États-Unis État par État à travers les grandes affaires criminelles qui ont marqué leur histoire. À ce jour, déjà près de 75 000 exemplaires écoulés. Le true crime a de belles heures devant lui.

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Commentaires (3)

  • Fléreur

    Le premier true crime que j’ai lu, puisque true crime il y a, est le fameux De Sang-froid de Truman Capote et Harper Lee, mentionné dans l’article. Le second est La Serpe de Philippe Jaenada, qui n’est pas cité ici. Et pourtant j’ai découvert avec stupéfaction ce célèbre fait divers des années de guerre dont, malgré mon âge respectable, je n’avais jamais entendu parler. Fait divers traité très astucieusement par l’auteur. Première partie : un fils de famille déjanté a forcément massacré à coups de serpe son père, sa tante et leur vieille domestique dans un austère château du Périgord. Deuxième partie équivalente : il ne l’a pas fait. En effet l’auteur, après avoir méticuleusement repris toutes les archives de l’époque, à commencer par celles de maître Maurice Garçon, la vedette du barreau qui a évité à la tête du désigné coupable de tomber sous le couperet des bois de justice, innocente à son tour le mauvais sujet et propose une solution. On y croit, ou non, mais une chose est sûre : l’accusé a changé de nom et a connu la célébrité, non pour ce crime familial, mais comme auteur du célébrissime Salaire de la peur. Le destin a de ces pirouettes… Dommage que le style ne soit pas tout à fait à la hauteur des recherches menées, mais bon, ça se lit comme un vrai roman, mieux qu’un mystère de la chambre close de fiction. Et largement aussi noir que ces polars dont Le Point est friand. Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, je suis donc devenue lectrice de true crime sans le savoir.

  • jjsb

    Emile Gaboriau, consid?r? comme le pére du roman policier, a publi?, en 1866 le roman l affaire Lerouge tir? de l affaire criminelle du même nom qu il avait couverte en tant que journaliste. Cet article enfonce donc une porte ouverte. Mais c est tellement plus chic en anglais...

  • jjsb

    En 1866 paraissait l affaire Lerouge bas?e sur un fait divers que l auteur E Gaboriau avait suivie en qualit? de journaliste. Cette nouveaut? baptis?e "true crime" est donc âg?e de plus de 150 ans ! L art d enfoncer les portes ouvertes... Mais c est tellement plus chic en anglais...