« Her » : pourquoi 10 ans après le film de Spike Jonze reflète notre présent

Le long-métrage de Spike Jonze avec Scarlett Johansson avait impressionné à sa sortie pour sa description crédible d’un futur proche méga-connecté. Y est-on arrivé ?

Par Lucas Fillon

HER de Spike Jonze, avec Joaquin Phoenix.
HER de Spike Jonze, avec Joaquin Phoenix. © Courtesy of Warner Bros. Pictures

Temps de lecture : 5 min

Le 19 mars 2014, le public français découvre un fascinant ovni : le long-métrage américain Her, écrit et réalisé par Spike Jonze. Tout juste auréolé d'un golden globe et d'un oscar pour son scénario, ce film d'anticipation, situé dans un futur proche, suit le parcours d'un homme brisé par son divorce en cours, Theodore (incarné par un Joaquin Phoenix bouleversant), qui va connaître une histoire d'amour… avec une intelligence artificielle.

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Cette IA se nomme Samantha et n'existe que par une voix, que Theodore entend via une oreillette. Plus le récit progresse et plus Samantha devient un « vrai » être humain, tout en restant une voix. L'interprétation de Samantha a été confiée à Scarlett Johansson, qui a trouvé là l'un de ses plus beaux rôles.

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À sa sortie, Her marque les esprits pour les performances de ses comédiens, pour sa splendide mise en scène, pour la sublime musique d'Arcade Fire et Owen Pallett, pour son affiche iconique et… pour les interrogations technologiques qu'il soulève. Un aspect intrigue : ce monde que décrit Spike Jonze, où un homme et une IA sont en couple, est-il le futur qui nous attend ? Alors que le film fête son dixième anniversaire, revoir Her en 2024 est plus que troublant. Et une question brûle les lèvres : est-ce encore vraiment un film d'anticipation ?

Une histoire qui a gagné en réalisme

Cédric Guiard est le fondateur et président de la société Eisko, spécialisée dans la modélisation et la simulation 3D d'êtres humains – par exemple, avec son équipe, il est capable de recréer un sportif célèbre qui sera votre avatar ou votre coéquipier dans un jeu vidéo ou de concevoir un ambassadeur virtuel pour une entreprise. Très au fait des problématiques entourant l'IA, il livre son point de vue sur la fable de Spike Jonze : « Samantha est une IA qui a pour spécificité de se nourrir d'informations concernant son utilisateur. Au début du long-métrage, elle demande à Theodore, entre autres, si elle peut lire ses e-mails, ce qui est un moyen de connaître sa façon de penser, son humour, etc. Ce type d'IA qu'est Samantha sera disponible à brève échéance. Reste à savoir si le grand public se l'appropriera. Acceptera-t-il qu'une IA accède à ses posts sur les réseaux sociaux, à ses échanges écrits ou vocaux, etc. ? »

Cédric Guiard poursuit : « En revanche, tout ce qui a trait à la prise de conscience par Samantha d'elle-même, à ma connaissance, cela n'est pas possible aujourd'hui. Je n'ai encore jamais entendu parler d'une IA qui s'émancipe de la manière dont elle a été programmée pour créer sa propre personnalité. De même, si l'on rentre dans certains détails, dans le film, les intonations de la voix de Samantha sont très justes par rapport au sens des phrases qu'elle prononce [autrement dit, si elle dit une phrase qui signifie une colère, l'intonation de sa voix traduit bien l'émotion de la colère, NDLR]. Or, à ce jour, la technologie n'est pas à ce niveau de finesse. »

L'âme esseulée Theodore Twombly, en plein divorce et en pleine dépression dans un futur proche. Magnifiquement campé par Joaquin Phoenix, il va remonter la pente grâce à Samantha, son IA personnalisée.
©  Courtesy of Warner Bros. Pictures
L'âme esseulée Theodore Twombly, en plein divorce et en pleine dépression dans un futur proche. Magnifiquement campé par Joaquin Phoenix, il va remonter la pente grâce à Samantha, son IA personnalisée. © Courtesy of Warner Bros. Pictures

Her ne se résume pas à la personnalité de Samantha. C'est tout un univers. Et qu'y a-t-il d'autre de crédible ou non dans le futur proche que le film décrivait en 2014 ? « Pour ses tâches personnelles ou son travail, Theodore a à sa disposition des fonctions offertes par Samantha qui sont d'ores et déjà accessibles ou qui vont se développer rapidement, comme le fait qu'elle gère ses rendez-vous, ses e-mails… », ajoute Cédric Guiard. Il y a aussi ces séquences où Theodore joue à un jeu vidéo et parle avec l'un de ses personnages principaux : « La possibilité d'interagir avec les protagonistes d'un jeu, portés par une IA, est en train d'être travaillée  », souligne-t-il.

Mais le fondateur d'Eisko rappelle que Spike Jonze n'a pas réuni dans Her toutes les avancées entourant l'IA et s'est concentré sur la dimension audio de cette invention. « S'il avait été exhaustif, cela aurait donné une vision d'une société où la technologie serait omniprésente. Le public y aurait vu un film de pure science-fiction et ça ne semblait pas être le but de Spike Jonze, qui invite à une réflexion sur l'impact des machines sur l'individu et la société. »

Amy Adams et Joaquin Phoenix dans HER
©  Merrick Morton
Amy Adams et Joaquin Phoenix dans HER © Merrick Morton

Une vision à contre-courant de l'IA

Universitaire, Wyatt Moss-Wellington a dirigé avec Kim Wilkins l'ouvrage collectif The Films of Spike Jonze, paru en 2019 chez Edinburgh University Press. Selon lui, Her est un film qui se démarque dans le genre de l'anticipation : « L'un de ses aspects les plus intéressants est la vision singulière qu'il apporte de l'IA. Quand vous pensez aux œuvres devenues célèbres pour leur interprétation philosophique de l'intelligence des machines, à commencer par Matrix en 1999, elles sont toutes empreintes d'une dimension destructrice et cruelle. Her prend le contre-pied : le développement de l'intelligence est corrélé à une plus grande capacité à aimer. À la fin [attention, spoiler !, NDLR], quand les IA choisissent de disparaître, c'est un geste d'amour, car elles se rendent compte qu'elles font plus de mal que de bien aux humains. »

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Et le film de Spike Jonze montre également qu'anticipation rime avec… présence du passé. « Il faut analyser la direction artistique : observez les costumes et à quel point ils sont démodés ! » note Wyatt Moss-Wellington. On pourrait évoquer d'autres éléments : le personnage principal s'appelle Theodore – un prénom pas franchement futuriste – et, surtout, il a pour métier d'écrire des lettres pour le compte d'autres personnes. Une fonction qu'une IA pourrait largement endosser, mais que Spike Jonze a étonnamment imaginé qu'elle serait encore attribuée à des êtres de chair et d'os.

Au final, sur le thème du rapport entre humains et technologies, Her, c'est l'opposé de la série Black Mirror. « Spike Jonze souhaite davantage explorer les conflits qui nous animent quant à la façon dont on pense et intègre les technologies dans notre quotidien », explique Wyatt Moss-Wellington, rejoignant ainsi le point de vue de Cédric Guiard. Rendez-vous dans dix ans pour voir comment le regard sur Her aura évolué…

Her, de Spike Jonze (2 h 01). Disponible en vidéo et sur les plateformes. Avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams, Olivia Wilde, Chris Pratt…

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