Oscars 2021 : le studio Warner a-t-il puni « Tenet » et Chris Nolan ?

Les deux maigres nominations du blockbuster pour la cérémonie du 26 avril ont relancé les rumeurs sur une guerre déclarée entre la firme et le cinéaste.

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Christopher Nolan et son directeur de la photographie Hoyte Van Hoytema sur le tournage de « Tenet ».
Christopher Nolan et son directeur de la photographie Hoyte Van Hoytema sur le tournage de « Tenet ». © MELINDA SUE GORDON / Collection ChristopheL via AFP

Temps de lecture : 9 min

Tenet n'a pas tenu. Ni la distance en termes d'entrées, ni ses promesses de sauveur des salles en 2020, ni la corde critique au vu de sa dérisoire moisson de nominations à la prochaine cérémonie des Oscars. Vaincu aux points par la pandémie et un bouche-à-oreille mitigé, malgré un vaillant combat au box-office (où son compteur mondial s'est arrêté à 363 millions de dollars de recettes, pire score du réalisateur depuis Insomnia en 2002), le puzzle palindromique de Chris Nolan ne va concourir, le 26 avril prochain au Dolby Theatre de Los Angeles, que dans deux catégories techniques : meilleurs effets visuels et meilleurs décors. C'est une production plus conforme à l'air du temps woke et au budget 8 fois inférieur à Tenet que Warner Bros. a préféré soutenir activement : Judas and The Black Messiah, de Shaka King, drame/thriller sur la mort du leader des Black Panther de Chicago, Fred Hampton, tué en 1969, à l'âge de 21 ans, lors d'une intervention du FBI et de la police. Sorti aux États-Unis le 12 février dernier (in extremis pour la compétition), simultanément en salle et sur la plateforme de streaming HBO Max, Judas… est en lice pour six oscars, dont celui du meilleur film et du meilleur scénario. Entre Warner et son ex-champion, clairement affaibli par la contre-performance de Tenet, la guerre est-elle déclarée ? Oui et non mais, au final, le divorce officiel entre les deux parties ne serait qu'une question de temps.

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D'abord, pour les Oscars, rien de très nouveau concernant Nolan : ses films récoltent souvent des nominations aux postes dits non artistiques (son, décors, effets visuels…), mais beaucoup plus rarement pour les statuettes reines. Les fans du cinéaste ont toujours en travers de la gorge le dédain cosmique dont fut victime Interstellar en 2015, chouchou des critiques et immense succès populaire, mais totalement absent des nominations pour son interprétation, sa mise en scène, son scénario (pourtant le plus personnel de toute la carrière de Nolan) ou même en tant que meilleur film. Le space opera quantique, nommé dans cinq catégories techniques, repartit avec l'oscar des meilleurs effets visuels et c'est tout ! En 2018, Dunkerque sembla briser la malédiction Nolan avec, pour la première fois dans le CV du grand blond à la veste noire, une nomination pour le meilleur film et une autre comme meilleur réalisateur. Bataille perdue puisque le thriller militaire sur l'évacuation des troupes alliées du port nordiste en 1940 ne remporta, là encore, que trois prix techniques.

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Soutenir Tenet en salle plutôt qu'aux Oscars

Rien d'anormal, donc, à la piteuse représentation de Tenet aux Oscars si ce n'est… qu'au vu de la disette de films sortis en salle en 2020 et des grandes ambitions portées par le blockbuster, certains critiques américains s'attendaient à ce que ce dernier décroche au moins une sélection pour son audacieuse bande originale et une autre pour sa spectaculaire photographie. N'être en lice que pour ses effets visuels et ses décors, pour un film qui devait sauver les salles en 2020, cela ressemble un tout petit peu à un camouflet. Selon le site Indiewire, cette morne plaine résulte autant d'une stratégie délibérée – mais manquée – du réalisateur, que d'un refroidissement très net des relations entre Warner et son poids lourd. Christopher Nolan, qui avait totalement assumé la carte du chevalier blanc des cinémas, avait pesé de toute son écrasante influence sur Warner pour sortir Tenet le 3 septembre dans les multiplexes américains (le 26 août en France). Des foules en manque de spectacle XXL, aucune concurrence en face : le film avait un boulevard, même avec des jauges de spectateurs réduites et des salles ouvertes dans seulement 68 % du pays.

John David Washington dans <em>Tenet</em>.
 ©  WARNER BROS. PICTURES - SYNCOPY / Collection ChristopheL via AFP
John David Washington dans Tenet. © WARNER BROS. PICTURES - SYNCOPY / Collection ChristopheL via AFP

Deux semaines plus tard, stagnant sous la barre des 30 millions de dollars de recettes aux États-Unis, Tenet tenait du pari en partie perdu. La bonne santé relative de ses courbes à l'étranger (et notamment dans l'Hexagone avec 2,3 millions d'entrées) ne changea guère l'ambiance de défaite. Une sous-performance mal vécue par Nolan qui, en novembre, insista auprès de Warner Bros. pour que la firme oriente ses investissements vers un soutien du film en salle, puis lors de sa sortie en DVD/Blu-ray, plutôt que dans la traditionnelle et coûteuse campagne de lobbying pour les Oscars. Le studio, toujours reconnaissant envers Chris Nolan pour la vertigineuse pluie de dollars que lui rapporte chacun de ses blockbusters depuis Batman Begins, consentit à obtempérer. Si, lors des révélations des nominations aux Oscars, le 15 mars dernier, Tenet a aussi peu brillé, c'est donc d'abord le fait d'une volonté de son chef d'orchestre.

« Chris n'avait jamais commis de faux pas dans sa carrière » (Warner)

Mais toujours selon Indiewire, le torchon brûle par ailleurs bel et bien entre Warner et son poulain. Cité par le site, un cadre du studio commente : « Chris n'avait jamais commis de faux pas dans sa carrière. Les réalisateurs sont comme des chirurgiens du cerveau. Ils ne doivent jamais se tromper. » Le 3 décembre, le climat s'est brutalement dégradé avec l'annonce officielle, par le nouveau PDG de WarnerMedia Jason Kilar, du choix de sortir simultanément en salle et sur HBO Max (le service de streaming du groupe) les 17 films Warner prévus en 2021. La fin d'un monde. Dans la tempête de réactions outrées qui balaiera Hollywood, celle de Christopher Nolan, dans les colonnes du Hollywood Reporter, sera la plus assassine : « Certains des plus gros réalisateurs et des stars les plus importantes de cette industrie se sont couchés la veille en pensant qu'ils travaillaient pour le plus grand des studios, et se sont réveillés en apprenant qu'ils travaillaient pour le pire des services de streaming. »

Remarque acide visant le médiocre lancement de HBO Max aux États-Unis, le 27 mai dernier, toujours à la traîne derrière son concurrent direct Disney+ en nombre d'abonnés. D'autres piques désobligeantes de Nolan envers le portail entérineront le clash, et au sein de Warner, certains décideurs auront d'autant moins de scrupules à catapulter Judas and The Black Messiah en tête de gondole du groupe aux Oscars. On peut imaginer qu'en interne, la toute-puissance du réalisateur de la trilogie Batman, auquel Warner laissait carte blanche depuis 2005, a également fini par en agacer certains, qui n'attendaient qu'une occasion pour déboulonner la statue du commandeur.

Un panneau d'affichage de <em>Tenet</em>, sur le Sunset Strip de West Hollywood, Los Angeles, le 19 août dernier. 
 ©  VALERIE MACON / AFP
Un panneau d'affichage de Tenet, sur le Sunset Strip de West Hollywood, Los Angeles, le 19 août dernier.  © VALERIE MACON / AFP

La fin des jours heureux

Les jours heureux semblent en tout cas bien loin. Depuis Insomnia en 2002, sa première collaboration avec Warner Bros, le succès n'avait pour ainsi dire jamais quitté Christopher Nolan et toujours comblé la major de Burbank. Et dire qu'à l'époque, le responsable en charge des productions du studio ne voulait même pas auditionner l'impétrant, jugé trop novice pour lui confier ce thriller avec Al Pacino et Robin Williams ! Ébloui par Memento (second long-métrage de Nolan, qui avait reçu une standing ovation au festival de Venise en 2000) et lui-même en pleine préparation de son Ocean's Eleven, Steven Soderbergh en personne avait dû passer une tête dans le bureau du décideur récalcitrant pour lui expliquer qu'il faudrait être fou pour refuser de rencontrer cette jeune pousse si prometteuse. L'histoire lui a donné raison et, après le succès d'Insomnia, le triomphe mondial des Batman a permis à Nolan d'instaurer un studio dans le studio et imposer ses règles.

Hébergés dans l'enceinte de Warner – comme ceux de Malpaso, la boîte de Clint Eastwood –, les bureaux de Syncopy, la société de production de Nolan, sont entièrement pris en charge par le groupe qui, selon le Wall Street Journal, règle aussi les salaires de ses assistants et toutes autres dépenses. Malgré l'inflation régulière de ses budgets depuis Batman Begins – hormis le plus modeste Dunkerque –, Nolan, comme Spielberg, termine systématiquement ses films en temps et en heure, voire en avance. Une stratégie consciente pour ne rien lâcher de son autonomie créative en échange de cette fiabilité.

15 mars 2021 : Christopher Nolan, dans l'une des salles du AMC Burbank theatre de Los Angeles, assiste à une projection de <em>Judas and the black Messiah</em> , le jour de la réouverture partielle des cinémas en Californie du sud. 
 ©  VALERIE MACON / AFP
15 mars 2021 : Christopher Nolan, dans l'une des salles du AMC Burbank theatre de Los Angeles, assiste à une projection de Judas and the black Messiah , le jour de la réouverture partielle des cinémas en Californie du sud.  © VALERIE MACON / AFP

De fait, jusqu'à Tenet inclus, le studio s'est toujours plié en quatre pour accéder aux exigences du maître et satisfaire son obsession du contrôle. Témoin ce jour de janvier 2012 où, furieux qu'une information ait fuité dans le Hollywood Reporter au sujet de son futur The Dark Knight Rises, Nolan fit convoquer en urgence une réunion de cols blancs de la firme pour retrouver et punir la taupe. De même, lorsqu'en juillet de la même année à Aurora, Colorado, un tireur fou abat 12 personnes dans un cinéma projetant le film, Warner déploiera un dispositif sans précédent pour protéger de la presse le cinéaste dévasté, et annuler sa tournée de promotion en Europe. Une tragédie qui, dit-on, scella le lien de confiance entre le studio et lui.

Godzilla vs Kong, le vrai champion des salles

Tenet a-t-il inversé la tendance, comme ses belligérants le temps ? Trop tôt pour proclamer le roi nu, mais selon plusieurs gazettes hollywoodiennes, Nolan serait déjà en train d'examiner ses options hors Warner et son prochain film s'envolera probablement sous d'autres cieux. Mais quel autre studio acceptera de se plier au système Nolan, ses coûts et ses exigences, en particulier dans une industrie en pleine refondation sous la pression du streaming et de la pandémie ? Christopher Nolan pourra-t-il maintenir son train de vie créatif en dehors du cocon bienveillant de Warner ou devra-t-il repenser entièrement son cinéma, s'il devait choisir une autre bannière moins conciliante ? Malgré son indéfectible croisade en faveur des salles, finira-t-il par suivre l'exemple d'un David Fincher qui, sans état d'âme, a fait Mank pour Netflix et se retrouve, lui, en tête des favoris des Oscars 2021 avec 10 nominations (dont… meilleur film et meilleur réalisateur) ?

Warner et Nolan pourraient tout autant se réconcilier, mais pour beaucoup d'observateurs, la messe est dite et, pour la première fois depuis presque vingt ans, le cinéaste de Tenet marche sur un fil ténu en quête d'une nouvelle chapelle. Le 15 mars, jour même de l'annonce des nominations aux Oscars, on a pu le voir dans un cinéma de Los Angeles tout juste rouvert, assistant (masqué) à la projection de Judas and The Black Messiah. Tout un symbole. Warner, de son côté, vient enfin de trouver son champion du box-office et le public son spectacle de taille XXL : Godzilla vs Kong. Sorti ce mercredi 31 mars dans un peu plus de 3 064 cinémas d'Amérique du Nord, sur fond de reflux pandémique, le blockbuster régressif d'Adam Wyngard a réuni 48,5 millions de dollars pour son premier week-end, malgré les jauges réduites et une diffusion simultanée sur HBO Max. Une très bonne nouvelle pour les salles, pas forcément pour le sort de Christopher Nolan au sein du studio.

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Commentaires (3)

  • guy bernard

    Personnellement (j'ai fait des analyses pour le cinéma français), j'aurais eu la même analyse que la Warner.
    Le public de Chris Nolan est particulier : c'est une clientèle exigeante et fidèle à son auteur, et il l'a eue lors de la sortie de son film ; il lui a manqué le grand public dont les motivations ont été insuffisantes.
    Ces chiffres étaient prévisibles et Warner a tenté le coup.
    L'analyse de fait avec les SPS (spectateurs de la 1ere semaine) engendrant un taux de recommandation, fonction de la Haute Satisfaction, ce que l'on appelle le bouche à oreille, sans trop savoir ce que c'est.
    Le taux de haute satisfaction ne devait pas etre au niveau escompté, ou insuffisant compte tenu du frein naturellement apporté par la pandémie.

  • Oristanese

    Pour une rare fois je souscris totalement à tes commentaires cher Duagt.

  • duagt

    Normal, les oscar recompensent l'ideologie bienpensante et non la qualité des films...
    ils preferent recompenser les films antiraciste, lgbt et feministes. A lexception de quelques rares films traitant dhistoire.
    on arrive a prevoir les nomination depuis 10ans juste en regardant laffiche ou le synopsis dun film.
    tu parles dun comité dexpert...
    cest comme si demain on distribuait les prix nobels non en fonction des accomplissement mais juste de lidentité sexuelle et de la couleur de peau.
    les media devraient arreter de diffuser cette emission politique