« Franklin » sur Apple TV+  : une fresque historique aussi impressionnante que décevante

CRITIQUE. En dépit d’un Michael Douglas majestueux dans le rôle de Benjamin Franklin et de belles qualités formelles, le nouveau biopic d’Apple TV+ peine à captiver.

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Michael Douglas est Benjamin Franklin dans Franklin sur Apple TV+.
Michael Douglas est Benjamin Franklin dans Franklin sur Apple TV+. © Apple TV+

Temps de lecture : 5 min

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Franklin, c'est avant tout la rencontre de deux monstres sacrés. À ma droite, l'acteur Michael Douglas, cinquante ans de carrière et auréolé de sa Palme d'honneur au dernier Festival de Cannes. À ma gauche, Benjamin Franklin, inventeur, écrivain, homme politique, l'un des pères fondateurs de la démocratie états-unienne, dont on n'a pas vraiment idée, de ce côté-ci de l'Atlantique, de l'importance qu'il revêt dans l'imaginaire de son pays.

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Et leur rencontre au sommet est donc programmée sur Apple TV++, une plateforme qui, bien que plutôt discrète, nous a habitués à un niveau moyen de qualité assez remarquable au milieu de l'offre pléthorique, mais souvent bien moins convaincante, de ses concurrentes. Malheureusement, là où on attendait, sur le papier et au vu des premières images, une sorte de montagne sérielle, on découvre, au fil des épisodes, tout au plus une petite colline au sommet dégarni, plus jolie à regarder de loin qu'à observer de près.

Ce qu'annonçait Franklin, présentée cette semaine au festival Canneséries, avait de quoi intriguer l'amateur de séries historiques : alors que la guerre d'Indépendance opposant les colonies rebelles à l'Empire britannique semble tourner à l'avantage de ce dernier, le très populaire Benjamin Franklin, connu du peuple pour avoir notamment maîtrisé la foudre en inventant le paratonnerre, autant que de l'élite politique pour son esprit aiguisé et son absence de scrupules en matière de négociation, est envoyé à Paris avec pour mission plus ou moins officieuse de rallier la France aux colonies rebelles face à un ennemi commun, la perfide Albion.

Les amateurs de coups fourrés en boudoir, de traîtrises et de jeux de pouvoir sur fond de grands enjeux internationaux avaient donc, a priori, de quoi se réjouir. Mais le problème apparaît vite : au-delà de la carte postale des jardins, salons et ors du Grand Siècle reconstitués avec un plaisir gourmand, la série n'a presque rien à raconter, et échoue avec régularité dans ses tentatives de nous raccrocher d'une manière ou d'une autre à ses personnages.

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Une jolie série, mais qui ne raconte rien, ou presque

S'il est bien quelque chose qu'on ne pourra pas retirer à Franklin, c'est l'excellence de sa production et de ses acteurs. Tournée en France avec un casting très largement francophone, la série est non seulement un véritable bonbon pour les yeux, mais témoigne également de la grande attention accordée par ses auteurs et réalisateurs aux dialogues, tant dans leur écriture que dans leur interprétation.

Visuellement, et malgré le nombre somme toute réduit de lieux distincts dans lesquels se joue l'action, Franklin tient du parc d'attractions pour amateur de Grand Siècle. Un Grand Siècle de carte postale, certes, puisqu'on tourne autour de Versailles et des demeures de la noblesse, le peuple étant presque entièrement absent de la série, mais quand même : le travail de reconstitution et de mise en valeur est remarquable. Tout comme le sont également les dialogues ciselés, en anglais comme en français, et interprétés avec un naturel parfois surprenant mais toujours plaisant par des acteurs visiblement bien dirigés.

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Du côté anglophone, Michael Douglas lui-même ne force certes pas son talent, et doit attendre pour gagner en intensité de jeu qu'un excellent Eddie Marsan vienne, à mi-série, lui mettre des bâtons dans les roues dans le rôle de John Adams (futur deuxième président des États-Unis). Du côté francophone, si Thibault de Montalembert occupe avec justesse le devant de la scène en ministre roué, la galerie de seconds rôles défile avec une gourmandise palpable.

De Ludivine Sagnier (hélas coincée dans une intrigue secondaire sentimentale pas folichonne) à Jeanne Balibar, en passant par Robin Renucci ou par le mémorable jeune Canadien Théodore Pellerin, parfait en jeune Lafayette très loin des clichés, toutes et tous apparaissent sous leur meilleur jour, chaque réplique semblant taillée pour eux. S'il fallait une preuve qu'une coproduction mélangeant acteurs anglophones et francophones peut être parfaitement réussie, Franklin la fournirait haut la main. Et pourtant, le bât blesse.

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Un récit incapable de faire vivre ses personnages

En effet, si l'écrin est luxueux et amoureusement forgé, son contenu n'est hélas pas du tout à la hauteur. La mission de Benjamin Franklin pour rallier les bonnes volontés françaises à ce qui ressemble encore alors à une coûteuse utopie se joue en effet de manière diplomatique, à demi-mot et dans les ombres. Il en faut beaucoup, mais alors beaucoup plus, pour peupler les huit épisodes de Franklin. Et voici donc qu'on lui adjoint un petit-fils impétueux et gentiment maladroit, interprété par le Britannique Noah Jupe (Sans un bruit, The Night Manager), chargé de provoquer un peu de désordre, d'accomplir son propre arc d'apprentissage de la vie et de promener le spectateur dans des milieux que Benjamin Franklin n'aurait, lui, pas fréquentés, à commencer par celui des catins et demi-mondaines parisiennes.

Certes, Franklin lui-même a une réputation de libertin : voilà qu'on délaye alors une bonne moitié de la série avec des marivaudages sentimentalo-sexuels dont on a beaucoup de mal à comprendre l'intérêt pour l'intrigue. Les Anglais conspirent dans leur coin : quelques coups de couteau sont même donnés, mais toujours en arrière-cour et sans vraiment d'impact sur le déroulement des événements. Les Français tergiversent sans fin : peu importe puisque Franklin a de toute façon tout prévu… Tous ces efforts pour créer du romanesque dans la fiction là où il n'y en eut vraisemblablement pas beaucoup dans la réalité n'ont qu'un effet : allonger artificiellement un récit qui ne semble tenir que sur ses dialogues tirés au cordeau.

Ni vraiment portrait fidèle d'un personnage historique ni vraiment non plus réécriture romanesque à la Dumas, Franklin est un objet sériel étonnant, jamais franchement désagréable à regarder, car brillamment réalisé, dialogué et interprété, mais malheureusement incapable de faire vivre ses personnages, perdus tous autant qu'ils sont dans une sorte de purgatoire indistinct entre souci de réalisme et aspirations à la grande aventure. Comme quoi une série peut être à la fois brillante et parfaitement ennuyeuse. Mais était-il vraiment besoin de le prouver ?

À partir du vendredi 12 avril sur Apple TV+.

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Commentaires (2)

  • justinien10

    Le Grand Siècle, c’est le... XVIIeme siècle.
    Le XVIIIeme siècle est le "Siècle des Lumières "... Dont Benjamin Franklin fut un éminent représentant.

  • straight...

    Aucun personnage de ce pays n'a eu autant de facettes positives...