Le livre que doit lire tout candidat à un poste d’agent à la DGSE

Un ouvrage lève le voile sur le processus de recrutement et les carrières (230 métiers différents) offertes par les services secrets français.

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Vous rêviez de prendre un café avec Anne, officier contre-prolifération à la cafét' de la caserne Mortier, le siège des services français ? Ou bien d'avoir une longue discussion avec Nicolas, chef de poste de la DGSE dans un pays ennemi ? De l'entendre raconter comment il échappe à la surveillance des espions rivaux ? Ou comment on lui a appris à recruter une source ? C'est un drôle d'ouvrage que vient de publier Jean-Christophe Notin chez Tallandier. Sa Fabrique des agents secrets est un recueil d'interviews — autorisées — avec quelques-uns des titulaires de l'un des 230 métiers que compte la DGSE.

Dans son ouvrage, aucune révélation. Aucun fait d'armes. Pas de coups tordus. Mais simplement le récit en détail des fiches de poste ou des lettres de mission de ceux qui ont choisi de travailler dans l'ombre pour le drapeau tricolore. Notin tente d'en savoir plus sur l'art de devenir un espion à la française. On y apprend que pour recruter une bonne source, il faut de l'empathie, ou bien que les espions français ne recrutent pas à l'aide de krompromats comme leurs collègues russes, mais offrent plutôt des visas ou des soins médicaux à ceux qui acceptent de se livrer, ce qui crée des relations plus saines avec celui qui trahit son pays ou l'organisation terroriste qui intéresse la France. On découvre aussi qu'une vaste base de données permet de détecter les liens de tel ou tel avec telle organisation plus ou moins amicale. Mais que la nouvelle recrue n'y a pas accès avant plusieurs années de service.

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Même si Notin a rencontré des espions de terrain, des clandestins ou des membres des forces spéciales, on est loin du Bureau des légendes ou, dans un autre registre, d'OSS 117. Et on se rapproche davantage de la vie de bureau. Mais c'est le grand mérite de ce livre : raconter en détail et sans fantasmes le quotidien des agents de la DGSE, dont certains sont entrés par un concours très sélectif (1 000 candidats pour 20 places d'attachés). D'autres par recrutement direct dans les armées (20 % des effectifs) ou par simple contrat pour certaines missions spécifiques (après un long processus). Parmi les interviews, celle de Lionel, le directeur administratif (DA) de « la Boîte », un ancien préfet, et à ce titre un peu le DRH de la DGSE qui, cela semble sa seule originalité, vénère Arthur Rimbaud dont il a affiché un poster dans son bureau. Certes, la DGSE n'est pas tout à fait devenue une maison de verre. Mais désormais, pour recruter ses agents (800 recrutements par an), elle tient des stands dans les écoles d'ingénieurs et multiplie les posts sur les réseaux sociaux du type LinkedIn, histoire de séduire les meilleurs profils.

Recrutement et fonds secrets

Le processus de recrutement est long, six à neuf mois. « Parce qu'entre le moment où quelqu'un a manifesté un intérêt et le moment où il va véritablement travailler chez nous, explique Lionel, il subit une évaluation psychologique, une enquête de sécurité et il doit obtenir une habilitation spéciale de sécurité. Nous menons une enquête de sécurité extrêmement rigoureuse qui conduit à écarter des agents dont le profil nous intéressait initialement. Par exemple, on a besoin de gens qui parlent farsi, mais si vous avez de la famille en Iran, cette famille peut être utilisée contre vous. Donc, avoir de la famille dans un pays sensible – ce n'est pas le fait d'être binational, on a beaucoup de binationaux à la DGSE –, ça peut être rédhibitoire. Vous ne devez pas avoir de casier judiciaire, vous devez avoir un comportement de vie exemplaire. Vous ne devez pas consommer de drogue. Si vous avez une addiction aux jeux, c'est une vulnérabilité. »

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Le DA, qui gère aussi la formation permanente des agents (pas question de la confier à un prestataire extérieur) et la gestion de leur carrière, vérifie aussi les notes de frais des agents… Et notamment l'utilisation des fameux fonds secrets. Le montant global de ceux-ci, tous services secrets confondus, la DGSI, la DRM, etc., a représenté en 2023 la somme de 76 millions d'euros chaque année (mais la DGSE n'en est la destinataire que d'une partie). Avec cette précision : « Ces fonds sont contrôlés par une institution parlementaire, la Commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS), qui a le monopole du contrôle. Elle contrôle tout, et dans le détail. Il peut y avoir, je le dis très clairement, des pertes – un agent peut très bien perdre des sommes, en général des toutes petites sommes – auquel cas, tout de suite, il y a une vérification. Chacun doit rendre compte des fonds qui auraient pu disparaître pour une raison X ou Y. C'est très rare, mais nous sommes capables de justifier à l'euro près la totalité des fonds qui nous sont octroyés. Il y va de la crédibilité et du professionnalisme de nos agents. » 

Et cela confine parfois à une méticulosité étonnante : « Quand un agent prend un café, explique Lionel, il doit fournir la pièce justificative expliquant pourquoi il a utilisé les fonds spéciaux pour inviter quelqu'un. C'est normal. Ce sont des fonds de nature particulière et il est absolument essentiel que l'on soit capable d'avoir une traçabilité impeccable, parfaite, exhaustive. On n'a pas eu d'écart qu'on n'ait été capables de justifier. » Non les fonds secrets, même lorsqu'ils sortent de la Banque de France sous forme de billets, n'ont pas vocation à s'envoler dans la nature… C'est ainsi que les mythes volent en éclat.

DGSE. La Fabrique des agents secrets, de Jean-Christophe Notin, Tallandier, 366 pages, 20,90 euros.

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