« Holly » : comment Stephen King s’est réinventé dans le polar

Dix ans après ses débuts dans le genre avec « Mr. Mercedes », le romancier continue de briller avec cette nouvelle histoire de la détective privée Holly Gibney.

Par Nathanaël Bentura

Stephen King a publié 70 romans.
Stephen King a publié 70 romans. © Jeff Malet/NEWSCOM/SIPA / SIPA / Jeff Malet/NEWSCOM/SIPA

Temps de lecture : 5 min

Stephen King peut tout écrire, et cela fait précisément 50 ans qu'il le prouve. De l'horreur (Carrie, Shining, Ça) au drame intime (Dolores Claiborne, Sac d'os, Joyland), en passant par la fresque historique (22/11/63), la féerie (Les Yeux du Dragon, Conte de fées) ou le western fantastique (la saga La Tour sombre), l'écrivain originaire du Maine, aux États-Unis, a trempé sa plume dans moult univers. Les étiquettes ayant la vie dure, celle du King reste encore aujourd'hui associée à l'épouvante alors que parmi ses 70 romans publiés (et plus une douzaine de recueils de nouvelles), moins d'une vingtaine relèvent de l'horreur pure.

La newsletter pop

Tous les troisièmes mercredis de chaque mois à 12h

Recevez le meilleur de la pop culture !

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

En 2014, l'auteur du Fléau s'est encore efforcé d'arracher ce label en signant son tout premier polar : Mr. Mercedes, volet initial d'une trilogie consacrée au détective Bill Hodges, dans laquelle un personnage secondaire a conquis le cœur des fans, et celui de King lui-même : Holly Gibney. À travers cette nouvelle création, Stephen King s'est donc lancé dans un défi inédit pour lui : devenir un véritable auteur de polars.

À LIRE AUSSI Il était une fois le (Stephen) KingÀ la suite du succès de Mr. Mercedes, l'écrivain a persisté dans le genre et en a publié cinq autres : Carnets noirs, Fin de ronde, L'Outsider, Si ça saigne et, enfin, Holly, sorti mercredi 28 février en France (chez Albin Michel). Le point commun entre ces six romans, au-delà du genre, est la présence de Holly Gibney, un personnage dont l'importance est croissante au fil des récits, jusqu'à enfin devenir, dans le dernier en date, le véritable protagoniste. Grâce à elle, King s'est réinventé aux yeux d'une nouvelle génération de lecteurs.

Holly Gibney, héroïne coup de cœur

Dans Holly, les fans retrouveront donc la détective Holly Gibney, encore marquée par les événements de Si ça saigne. Nous sommes en plein confinement aux États-Unis, et la quinquagénaire vient de perdre sa mère – férocement antivax – du Covid. Pour éviter de s'enfoncer dans son deuil, elle accepte d'enquêter sur la disparition de la jeune Bonnie Dahl. Au cours de son investigation, Holly découvre que cette disparition pourrait être l'œuvre d'un serial killer aux motivations obscures. Peut-être le plus dangereux jamais rencontré par Holly…

« C'est rare qu'il s'attache à un personnage à ce point », constate l'éditrice Anne Michel, en charge des romans de Stephen King depuis douze ans pour Albin Michel. Elle n'avait jamais vu l'écrivain aussi obsédé par l'une de ses créations. Excepté les héros de la saga La Tour sombre (bouclée en huit volumes), c'est la première fois qu'un des protagonistes de l'auteur apparaît dans autant de livres différents. Au départ, jeune femme handicapée par ses troubles autistiques et sa mère tyrannique dans Mr. Mercedes, puis partenaire de Bill Hodges dans Carnets noirs et détective privée à la tête de l'agence Finders Keepers dans L'Outsider, Holly a fait un sacré bout de chemin.

À LIRE AUSSI Stephen King : la métamorphose du sniper en écrivain

L'épanouissement du personnage est intimement lié au désir de Stephen King d'explorer le polar sous toutes ses coutures. Un choix qui, en 2014, avait beaucoup surpris les fans de la première heure, à commencer par Émilie, qui partage les actualités de l'auteur sur le site StephenKingFrance.fr depuis 2012 : « King est un auteur de contexte, et pas du tout un auteur de suspense. Il n'écrit pas pour le twist final. Il aime créer des personnages, les mettre dans un contexte, et voir comment ça évolue. »

C'est pourquoi la façon dont Stephen King travaille le polar tranche avec les conventions du genre. Ici, pas de meurtrier mystère, on connaît son identité dès les premières pages. L'écrivain s'intéresse plutôt à ses motivations, ce qu'elles disent de la société américaine actuelle, et la traque qu'en fait la détective. « Ce n'est pas du Agatha Christie, Stephen King l'a beaucoup dit en interview, il est incapable de maintenir le suspense sur l'identité du tueur », ajoute Émilie « Mais la formule plaît à ses fans et Mr. Mercedes est même l'un de leurs King préférés, ils se sont attachés au personnage de Holly. Totalement dénué de fantastique, le roman est aujourd'hui considéré comme une porte d'entrée parfaite pour aborder l'œuvre de King. » Selon Anne Michel, même dans cette veine polar, Stephen King explore diverses facettes de son style : « Je rangerais plus Holly dans l'horreur ou le thriller à la Silence des agneaux. L'Outsider était plus fantastique, alors que Mr. Mercedes était beaucoup plus proche de Columbo. »

Une nouvelle page dans la carrière de King

Au fil des années, les critiques adressées à Stephen King ont souvent ciblé la longueur excessive de ses récits, des fins ratées et un supposé sexisme omniprésent. Selon Émilie, l'adoption du polar a forcé l'écrivain à changer sa manière de travailler : « Les femmes de ses romans sont souvent des victimes, mais Holly Gibney est un personnage complexe, avec des troubles autistiques, un immense courage et une évolution dingue sur les six histoires dans lesquelles elle apparaît. C'est un peu une façon de se racheter pour King, qui a complexifié son écriture, musclé son jeu et s'est mis en danger avec un genre qu'il ne sait pas écrire – de son propre aveu. »

Ses adeptes ne sont malgré tout pas totalement privés de repères avec Holly : le roman contient une critique farouche, chère à l'auteur, des dérives de la société américaine. Les polars de King sont contemporains, et leur action se situe toujours peu ou prou durant l'année où ils ont été écrits. King ausculte la politique de son pays depuis Dead Zone, un roman publié en 1979, dans lequel il prédisait l'arrivée d'un simili-Trump au pouvoir. Holly a été écrit entre 2021 et 2022, et son intrigue se déroule en pleine pandémie de Covid. King en profite pour dire ce qu'il pense de la politique de Donald Trump et sur les antivax américains notamment. Les précédents polars de la série évoquaient eux aussi ces dérives : celles des médias, des réseaux sociaux, et bien d'autres.

Tiré à 140 000 exemplaires en France (hors poche), Holly témoigne surtout de la « facilité déconcertante avec laquelle King passe d'un genre à l'autre. Finalement, se réinvente tout le temps ». Pour Émilie, le polar est surtout une nouvelle page de sa carrière : « En vieillissant, King prend plaisir à sortir des sentiers battus, et à aller là où on ne l'attend pas. Il touche un nouveau public, et à l'inverse, moi qui ne lis pas de polar, ça m'a donné envie d'en lire. » Et si vous faites partie de ce nouveau public, qui est plus attaché à Holly Gibney qu'aux autres créations de Stephen King, rassurez-vous, la détective reviendra dans un septième roman !

<em>Holly</em>, nouvel avatar des aventures de la détective privée Holly Gibney
©  Albin Michel
Holly, nouvel avatar des aventures de la détective privée Holly Gibney © Albin Michel
 Holly, de Stephen King, traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean Esch, éd. Albin Michel, 522 p., 24,90 €, e-book, 16,99 €.

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération