De « WarGames » à « Docteur Folamour » : huit grands films sur la peur de la bombe

La faucheuse nucléaire hante le cinéma depuis presque aussi longtemps que la destruction d’Hiroshima. Notre sélection en huit temps forts du genre. Âmes fragiles s’abstenir !

Par et

Image tirée du « Jour d'après », de Nicholas Meyer en 1983.
Image tirée du « Jour d'après », de Nicholas Meyer en 1983. © MFF FEATURE FILM PRODUCTIONS / N / Collection ChristopheL via AFP

Temps de lecture : 11 min

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Oppenheimer n'est évidemment pas le premier film à faire retentir les trompettes de l'apocalypse au sujet de l'atome. Les vitrifications de Hiroshima et Nagasaki, en 1945, ont posé les bases d'un monde nouveau régi par l'équilibre de la terreur : celle de l'anéantissement probable de notre planète si les deux superpuissances de l'époque, États-Unis et URSS, se livraient une guerre nucléaire.

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On ne compte plus les longs-métrages qui, au cinéma ou en télévision, se sont emparés de la peur du précipice dans lequel nous sommes poussés ou pas, en fonction des choix scénaristiques. Nous avons sélectionné subjectivement huit d'entre eux, classés par ordre chronologique : une vidéothèque idéale sur l'angoisse de la fin des temps, à déguster entre deux bains de mer et cornets de glace.

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1) Le Dernier Rivage, de Stanley Kramer (On the Beach, 1959)

Adapté d'un roman de Nevil Shute publié en 1957, ce quatrième film de Stanley Kramer (futur réalisateur de l'excellent Devine qui vient dîner ce soir ?) se distingue par sa schizophrénie : côté pile, un mélo souvent appuyé sur la love story entre son couple star (Gregory Peck et Ava Gardner) ; côté face, un cauchemar postapocalyptique à la noirceur jusqu'au-boutiste ahurissante pour l'époque.

L'intrigue se déroule dans un futur proche (l'année 1964) et dans un monde presque totalement anéanti par le feu nucléaire, déchaîné par les deux blocs Est-Ouest l'un contre l'autre. L'hémisphère nord n'est plus qu'une terre de désolation radioactive et l'humanité s'est réfugiée en Australie, tandis que les radiations s'approchent inexorablement du pays. Dans ce contexte, le capitaine Dwight Towers (Peck), commandant du sous-marin américain USS Sawfish, débarque avec son équipage à Melbourne, où il fait la connaissance de l'ex-alcoolique Moira Davidson (Gardner). Towers est dévasté par la mort de sa femme et de ses enfants dans les bombardements, Moira succombe à son charme ombrageux.

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Alors que les survivants n'ont plus que cinq mois à vivre devant eux, un étrange signal en morse provenant de San Diego, en Californie, laisse espérer une ultime chance pour la race humaine. L'USS Sawfish repart en mer pour retrouver la source de l'écho. À condition de passer outre de longues plages de dialogues gnangnans et un cast inégal (dans le rôle d'un jeune lieutenant de la Navy, un Anthony Perkins pré-Psychose a ici le charisme d'un légume irradié), Le Dernier Rivage mérite le détour pour la radicalité de son scénario qui fonce tout droit vers l'abîme.

On apprécie également la présence de Fred Astaire dans son premier rôle dramatique (à 60 ans, le héros de Tous en scène n'avait plus le cœur aux claquettes). L'acteur incarne un physicien « oppenheimerien », rongé par la culpabilité d'avoir pris part au programme nucléaire. Gros succès à sa sortie en 1959, distribué par United Artists, Le Dernier Rivage est l'un des premiers films d'anticipation hanté par la terreur d'une humanité décimée par l'arme atomique. La même année, Le Monde, la Chair et le Diable faisait déambuler Harry Belafonte dans une New York à la population exterminée par une poussière radioactive.

2) Docteur Folamour ou : comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe, de Stanley Kubrick (Dr. Strangelove or : How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb, 1964)

Rions un peu avec l'apocalypse ! Librement inspiré du roman Red Alert de Peter George (1958), Dr Folamour fait de l'autodestruction des hommes une farce pince-sans-rire jubilatoire et désespérée. Réalisé entre Lolita et 2001, l'odyssée de l'espace, le septième long-métrage de Kubrick suit les conséquences inéluctables du geste fou d'un général de l'armée de l'air parano, ordonnant à 42 avions B-52 de lâcher leurs bombes H sur l'URSS. Retranché dans son bureau du Pentagone, il s'assure qu'aucun des appareils ne puisse être rappelé. Le président des États-Unis réunit d'urgence son comité stratégique dans la salle de commandement pour étudier les options qui lui restent avant le grand « boum ». Autour de lui : une belle brochette de bras cassés.

Dominé par l'hyper présence de Peter Sellers (il incarne trois rôles : le président Muffley, le colonel britannique Mandrake et le désopilant Dr Folamour, ex-scientifique nazi), ce chef-d'œuvre n'a rien perdu de sa modernité ni de sa verve satirique. Soixante ans après sa sortie, il continue d'impressionner avec une succession de morceaux de bravoure comiques raillant les clowns au pouvoir tout comme la doctrine de l'équilibre de la terreur. Le final et sa succession de champignons atomiques (des images d'archives tirées de divers tests nucléaires américains, dont le fameux Trinity de juillet 1945), ironiquement bercée par la chanson d'avant-guerre « We'll Meet Again », suscite un double frisson ambivalent d'humour et d'effroi. L'humanité disparaît, Kubrick en ricane et nous avec lui. Il fallait oser à l'époque, moins de deux ans après la crise des missiles de Cuba qui faillit bien dégénérer en Troisième Guerre mondiale.

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3) Point limite, de Sidney Lumet (Fail Safe, 1964)

Un incident informatique fait croire au colonel Jack Grady, commandant d'une flotte de bombardiers nucléaires en vol, qu'il a reçu l'ordre de frapper l'URSS. Une course contre la montre s'engage pour stopper coûte que coûte les avions. Le président américain (Henri Fonda) contacte le premier secrétaire soviétique pour le persuader qu'il s'agit d'une attaque involontaire et que les deux pays doivent unir leur force pour, au besoin, abattre les appareils dirigés par Grady.

Si le scénario de ce petit chef-d'œuvre signé Sidney Lumet vous évoque aussi le Dr Folamour de Kubrick, distribué la même année par le même studio (Columbia Pictures), rien d'anormal : les canevas respectifs des deux films se ressemblent au point que Stanley Kubrick et Peter George, coscénariste de Dr Folamour d'après son propre roman Red Alert (édité en 1958), poursuivirent en justice la production de Point limite pour violation de copyright. Selon eux, Eugene Burdick et Harvey Wheeler, les auteurs du roman publié en 1962 qui inspira le thriller de Lumet, avaient un peu trop lorgné sur Red Alert.

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Un compromis fut trouvé : Columbia racheta Point limite (initialement produit pour un studio indépendant) et, à la demande de Kubrick, se débrouilla pour que le film de Lumet ne sorte qu'en octobre 1964, neuf mois après la comédie grinçante du futur cinéaste de 2001. Victoire par KO : Dr Folamour triompha en salle, tandis que Point limite voit ses ailes coupées au box-office en raison de cette position de second. Et c'est bien dommage : aux antipodes de la satire de Stanley Kubrick, la descente aux enfers de Lumet reste résolument dramatique et torture les nerfs du spectateur avec une tension insoutenable, malgré son minimalisme.

Une pléiade d'acteurs dirigés au cordeau comptent ce Point limite parmi leurs meilleurs rôles, et quel casting ! Henry Fonda, Larry Hagman, Walter Matthau, Dan O'Herlihy… Du grand art pour un terrible final. En 2000, le Britannique Stephen Frears réalisera une nouvelle adaptation du roman de Burdick et Wheeler sous la forme d'un téléfilm tourné en direct et en noir et blanc ( !) pour CBS, avec George Clooney dans le rôle de Grady et Richard Dreyfuss dans celui du président des États-Unis.

4) Malevil, de Christian de Chalonge (1981)

La quiétude d'un petit village du sud de la France nommé Malevil est soudainement balayée par l'apocalypse nucléaire. Seuls survivants : une poignée d'habitants qui se trouvaient dans la cave à vin du maire Emmanuel Comte (Michel Serrault) pour régler un différend autour de l'emplacement d'un lampadaire. Alors qu'au fil des semaines ils tentent de rebâtir un embryon de société, ils se heurtent à une autre communauté dirigée par un néodictateur illuminé (Jean-Louis Trintignant), qui terrasse d'une main de fer ses sujets terrés dans un tunnel.

Inspiré librement d'un roman de Robert Merle paru en 1972, Malevil est, avec Le Dernier Combat de Luc Besson en 1983 et le radioactif ratage Terminus de Pierre-William Glenn en 1987 (avec Johnny Hallyday), l'une des rarissimes excursions du cinéma français dans le genre postapocalyptique. Tourné dans d'impressionnants décors naturels aveyronnais, le film tient toujours la route par son traitement hyperréaliste de la dévastation et par une brochette d'acteurs tous épatants dans des rôles à contre-emploi – Serrault et Trintignant, déjà dirigés par le réalisateur Christian de Chalonge dans L'Argent des autres, mais aussi Jacques Dutronc, Robert Dhéry et Jacques Villeret. Sorti le 13 mai 1981, en pleine crise des euromissiles entre l'Otan et l'URSS, Malevil souffla une sourde brise anxiogène dans les salles françaises, ce qui ne l'empêcha pas de connaître un beau succès avec plus de 890 000 entrées dans l'Hexagone.

5) WarGames de John Badham (1983)

Attention, film culte ! Sorti deux mois après le fabuleux Tonnerre de feu du même John Badham, WarGames occupe à plus d'un titre une place de choix dans l'Olympe des films contaminés par la peur atomique. Il révéla au grand public le jeune Matthew Broderick (futur héros de La Folle Journée de Ferris Bueller) dans le rôle de David Lightman, un ado génie de l'informatique basé à Seattle qui, involontairement, s'infiltre dans le superordinateur WOPR de la base militaire NORAD dans le Colorado.

Engagé avec la machine dans un jeu de simulation intitulé Guerre thermonucléaire globale, David s'amuse à faire croire qu'une attaque soviétique est en cours, mais ignore que le WOPR prend très au sérieux la menace et va répliquer. Extrêmement efficace et divertissant, WarGames fut l'un des premiers films à mettre en scène un personnage d'as du clavier tendance pirate, en plein boom de la micro-informatique. Plus vraie que nature, la spectaculaire salle du centre de contrôle du NORAD, avec son mur d'écrans et ses cartes géantes, est une version plus sophistiquée du modèle d'origine et sa construction coûta un million de dollars à la production. Elle fit sensation à l'époque, tout comme le suspense final flirtant avec l'apocalypse.

6) Le Jour d'après, de Nicholas Meyer (The Day After, 1983)

Sorti en janvier 1984 dans les salles hexagonales, ce téléfilm diffusé le 20 novembre 1983 sur ABC reste à ce jour le record historique d'audience aux États-Unis. Précédé d'une campagne médiatique tonitruante, Le Jour d'après pétrifia d'angoisse plus de 100 millions de téléspectateurs américains en prime time, avec son effrayant récit du basculement des deux super-puissances dans une guerre nucléaire. Réalisée par Nicholas Meyer (Star Trek 2 : La Colère de Khan), cette superproduction zoome son intrigue sur le sort de plusieurs villes du Kansas et du Missouri (dont Kansas City et Lawrence), vitrifiées par les missiles russes après une dégradation éclair des relations entre les États-Unis et l'URSS.

La description de l'avant et, plus terrifiante encore, de l'après-bombe (où l'on suit le calvaire des survivants suppliciés) traumatisa jusqu'à la Maison-Blanche, alors occupée par Ronald Reagan. Dans la biographie autorisée Dutch : a memoir of Ronald Reagan d'Edmund Morris, publiée en 1999, l'ex-président reconnut lui-même son état de choc après le visionnage de ce téléfilm coup de poing. Selon Morris, Le Jour d'après n'aurait pas été sans influence sur la décision de Reagan de s'engager dans des pourparlers de désarmement avec l'Union soviétique. Quatre ans plus tard, les deux pays signèrent les accords historiques INF de réduction des forces nucléaires à moyenne portée en Europe.

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7) Les Maîtres de l'ombre, de Roland Joffé (Fat Man and Little Boy, 1989)

Trente-quatre ans avant Oppenheimer, ce drame humain signé du réalisateur de La Déchirure et Mission se penchait déjà sur le destin du père de la bombe atomique et sur le Projet Manhattan. Beaucoup plus conventionnel que le puzzle mental de Christopher Nolan, le film offre une version totalement différente (mais intéressante) du personnage de Robert Oppenheimer, campé ici par Dwight Schultz – ex-interprète de Looping dans la série L'Agence tous risques. Impeccable dans son rôle à contre-emploi, Schultz se mesure au monstre sacré Paul Newman dans la peau de l'implacable général Leslie Groves (joué par Matt Damon chez Nolan), tandis que les actrices Bonnie Bedelia et Natasha Richardson incarnent respectivement Kitty Oppenheimer (l'épouse du physicien) et Jean Tatlock (sa maîtresse).

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Rondement mené par Joffé, rythmé de main de maître par la légendaire monteuse française Françoise Bonnot (Un singe en hiver, L'Armée des ombres…), le film a surtout marqué les esprits par la traumatisante scène de contamination au plutonium du physicien Michael Merryman, joué par le jeune John Cusack, à la suite d'un accident de laboratoire. Personnage fictif, Merryman est cependant inspiré de deux victimes bien réelles des radiations lors du projet Manhattan : les scientifiques Harry K. Daghlian Jr. et Louis Slotin, qui périrent en quelques jours dans d'atroces souffrances. L'agonie de leur alter ego à l'écran constitue le point dramatique le plus marquant des Maîtres de l'ombre, pratiquement à égalité avec l'explosion du test Trinity.

8) Pluie noire, de Shōhei Imamura (1989)

En 1953, Hideo Segikawa (1908-1977) signait déjà avec Hiroshima un film coup de poing offrant le point de vue nippon sur l'explosion de la bombe atomique américaine, le 6 août 1945. Au cours d'un flash-back glaçant, le spectateur réalisait alors l'ampleur de la catastrophe nucléaire vécue par les Japonais. En 1989, Shōhei Imamura (1926-2006) approfondit le sujet de manière magistrale avec Pluie noire. Le titre fait référence à cette averse de cendres radioactives qui a suivi le cataclysme. Le film raconte l'itinéraire de la jeune Yasuko qui a réchappé à l'enfer, mais qui portera toute sa vie le poids de cet événement. De fait, les survivants d'Hiroshima (comme de Nagasaki), surnommés les « hibakushi », auront à subir jusqu'à leur mort une forme d'ostracisme lié au fait qu'on les craint porteurs de maladies en raison des radiations qu'ils ont subies… Un chef-d'œuvre en noir et blanc sur un aspect méconnu de la Seconde Guerre mondiale.

Notre dossier sur Oppenheimer de Christopher Nolan

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Commentaires (6)

  • Le Marquis de Cyrène

    Le jeu, où pour gagner, il ne faut pas jouer.

  • Yuropp

    Troisième tentative…
    @ Le Gorille des brumes le 25/07/2023 à 22 : 57 : Anastasie vous protège. Et les lois de la physique ne vous concernent pas.

  • Le Gorille des brumes

    Comment peut-on atteindre des sommets d'ineptie au point de comparer de la SF pour enfant avec les bombes H qui ont depuis longtemps prouvé leur pouvoir de destruction ?

    Cela en dit long sur le sens des réalités du clan Zelensky-Biden.