« Black Widow » : que valent les aventures de Natasha Romanoff ?

L'épopée solo de « Black Widow », que diffuse ce soir TMC, se révèle une charge antipatriarcale stéréotypée, mais la réalisatrice Cate Shortland évite de justesse le vide.

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Scarlett Johansson dans « Black Widow », de Cate Shortland.
Scarlett Johansson dans « Black Widow », de Cate Shortland. © Marvel Studios

Temps de lecture : 7 min

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Veuve noire : espèce d'araignée originaire d'Amérique du Nord et dont la femelle, occasionnellement, dévore le mâle après l'accouplement. Dimension sexuelle mise à part, Black Widow – le film – correspond assez bien au profil. Au fil de ses 134 minutes, le scénario de ce 24e long-métrage des usines Marvel/Disney, diffusé ce soir sur TMC, ne fait qu'une bouchée de la gent masculine, dont les représentants se résument à : un père illégitime/ivrogne/lâche, un bon copain soumis et utile ou une pure ordure symbole de la pire forme de patriarcat.

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Fidèle à la tradition Disney, Marvel Studios prend bien soin d'orienter chacune de ses productions dans le sens du vent. Et depuis environ 5 ans, le vent, à Hollywood, souffle une ligne féministe plus ou moins opportuniste, qui semble confondre la très légitime aspiration collective à une meilleure représentation des femmes avec une inversion simultanée du sens des clichés. Aux hommes le mauvais rôle, après tout, ils l'ont bien cherché. Politiquement, c'est correct. Scénaristiquement, hélas, c'est devenu prévisible et très visible.

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Black Widow rejoint la tendance, mais n'en faisons pas tout un fromage : pas vraiment venimeux, le premier Marvel à sortir en salle depuis deux ans (crise sanitaire oblige) s'avère plutôt distrayant malgré les habituels défauts maison. Et, de l'aveu même de sa réalisatrice Cate Shortland, 52 ans, le message politique reste en sourdine par rapport au cahier des charges : explosions, poursuites, bastons et humour référentiel à foison. Natasha Romanoff ayant péri à l'issue d'Avengers : Endgame, la quasi-intégralité de Black Widow est un flash-back dont l'action se déroule dans le sillage de Captain America : Civil War (sorti en 2016). Après le schisme au sein des Avengers, Romanoff s'est réfugiée en Norvège, grâce à une logistique fournie par son ami Mason (O. T. Fagbenle, bien connu des fans de Handmaid's Tale).

Sa retraite est bientôt perturbée par un appel à l'aide de sa sœur Yelena (Florence Pugh), qu'elle n'a plus revue depuis des années. Enrôlées dans leur enfance au sein de la Chambre rouge, un programme secret d'entraînement de femmes assassins – les « Veuves noires » – par le KGB, les deux guerrières vont se retrouver à Budapest puis s'envoler en Russie pour faire tomber l'organisation qui asservit toujours des centaines de tueuses potentielles. Aux trousses de Natasha : un super soldat invulnérable au visage caché en mode Daft Punk, le Taskmaster, chargé de détruire une molécule qui permettrait de libérer les esclaves de leur geôle mentale.

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Les trente premières minutes du film sont plus que prometteuses et c'est déjà beaucoup. Situé dans l'Ohio, en 1995, un prologue à la Terrence Malick embraye rapidement sur une séquence qui ne dépareillerait pas un épisode de The Americans, la série culte sur un couple d'espions russes au temps de la présidence Reagan. Ici, les agents infiltrés du KGB Melina et Alexei (Rachel Weizz et David Harbour), démasqués par les autorités, plient bagage avec leurs filles Natasha et Yelena en moins de temps qu'il n'en faut pour dire « Pravda ». À Cuba, les deux enfants sont alors séparées de leurs parents et récupérées par l'odieux Dreykov (Ray Winstone) au sein de la Chambre rouge.

Plus proche de Captain America : Le soldat de l'hiver que d'Ant-Manou des récents Spider-Man, le ton direct et sans humour se prolonge au-delà d'un générique lorgnant aussi les codes de l'univers Jason Bourne, sur fond de reprise dépressive de « Smells Like Teen Spirit ». Étonnant et audacieux pour un film supposé nous reconnecter avec le barnum Marvel : on est partant. Au fil du récit, Natasha et Yelena, en retrouvant la trace de Melina et Alexei, vont découvrir d'autres vérités douloureuses sur leur sort et leur famille, mais, hélas, la fraîcheur et l'énergie du premier acte se diluent ensuite peu à peu dans le retour inévitable des tropismes marveliens.

Black Widow n’est pas spécifiquement dirigé contre les hommesCate Shortland

Réunion de famille : Natasha Romanoff/Black Widow (Scarlett Johansson), son père Alexei, alias Le Dynamo Pourpre (David Harbour), et sa sœur Yelena (Florence Pugh).
 ©  Marvel Studios
Réunion de famille : Natasha Romanoff/Black Widow (Scarlett Johansson), son père Alexei, alias Le Dynamo Pourpre (David Harbour), et sa sœur Yelena (Florence Pugh). © Marvel Studios

Venue du cinéma d'auteur, où elle s'est distinguée avec des œuvres à sensibilité féministe comme Le Saut périlleux, Berlin Syndrome et Lore (l'un des films préférés de Scarlett Johansson, avec lequel Black Widow partage une scène de jeux d'enfants quasi identique), l'Australienne Cate Shortland nous confesse à demi-mot le casse-tête des exigences scénaristiques d'une production Marvel : « Plus encore que les scènes d'action, c'est surtout le script le plus difficile sur lequel j'ai eu à travailler. Quatre scénaristes se sont succédé, j'ai moi-même collaboré aux dialogues, on a recouru à beaucoup d'improvisation, mais il y a tellement d'éléments à respecter pour faire un film à la fois intime, triste mais aussi drôle et spectaculaire. Je ne m'y attendais pas. »

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À sa décharge, hormis Thor : Ragnarok et Black Panther,vus au cinéma avec sa fille, Shortland ne connaissait pratiquement rien des codes Marvel (« adolescente, j'étais surtout branchée classiques littéraires, films indépendants et David Bowie ! »). Et rien, dans son CV pré-Black Widow, ne laissait imaginer sa future sélection au poste de première réalisatrice en solo d'un film de super-héroïne pour Marvel Studios. Choisie par Johansson, productrice de Black Widow (et qui dut s'y prendre à plusieurs reprises pour la convaincre), Cate Shortland se laissa finalement tenter par l'évidente opportunité professionnelle d'une telle carte de visite, mais aussi, jure-t-elle, par « la façon dont Natasha Romanoff a résonné en moi. Ses origines, ses épreuves, ses secrets, ses deuils, sa vulnérabilité, sa difficulté à s'aimer… »

Cate Shortland récuse toute idée d'agenda politique, mais assume à 100 % le féminisme du film : « Black Widow n'a pas un regard spécifiquement dirigé contre les hommes : on s'est surtout beaucoup inspiré des sitcoms en raillant les stéréotypes liés aux rôles de mère, de père, de fille, de sœur, et nous avons livré un portrait de famille qui se moque de tout ça. Je suis apolitique, mais, oui, je suis féministe, ça a guidé toute ma vie professionnelle et personnelle. Natasha Romanoff a été victime de trafic, c'est au cœur de son personnage, et avec Scarlett, nous évoquions régulièrement les thèmes du trafic de femmes, mais aussi la prise de pouvoir des femmes sur leurs droits reproductifs – un sujet d'autant plus important qu'il est toujours en cours de débat à la Cour suprême [dont les neuf juges, en majorité conservateurs, examineront à partir d'octobre une loi visant à restreindre le droit à l'IVG dans l'État du Mississippi, NDLR] ».

Scarlett Johansson, alias Black Widow/Natasha Romanoff, et Florence Pugh, dans le rôle de sa sœur Yelena.
 ©  Courtesy of Marvel Studios / Jay Maidment
Scarlett Johansson, alias Black Widow/Natasha Romanoff, et Florence Pugh, dans le rôle de sa sœur Yelena. © Courtesy of Marvel Studios / Jay Maidment

J’espère avoir contribué à aider les femmes à mettre un pied dans la porteCate Shortland

Dans le film, l'hystérectomie systématique des recrues de la Chambre rouge (et donc de Natasha) est évoquée lors d'une scène de dialogue qui, comme d'habitude chez Marvel, évacue rapidement la tragédie du sujet via une pirouette humoristique – sur le dos du pauvre Alexie. « Il ne sert à rien d'enfoncer des idées politiques dans la gorge du public, il faut le prendre par la main avec de l'humour et nous voulions surtout présenter ces héroïnes comme des survivantes, pas des victimes », décrypte Cate Shortland. Parfois, d'ailleurs, la formule fonctionne. En particulier lors de cette hilarante – et fort bien vue – raillerie par Yelena de certaines poses super-héroïques hyper-sexuées de Natasha en pleine action, peaufinées depuis Iron Man 2 jusqu'à Avengers : Endgame. Des films tous mis en scène par des hommes, mais, pour autant, Shortland refuse l'assignation identitaire et juge que certains de ses confrères pourraient, tout autant que des femmes, réaliser des films de super-héroïnes au ton approprié : « Je connais de grands réalisateurs humanistes. Le sexe compte moins que la personnalité de celui ou celle qui dirige. Le problème, c'est que trop de femmes ont été mises de côté dans cette conversation et nous avons toujours besoin de plus de visibilité. Avec Black Widow, j'espère que je contribuerai à aider les femmes à mettre un pied dans la porte. »

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Au générique de fin, difficile de mal aimer Black Widow, tout comme de le congratuler franchement. N'en déplaise à sa réalisatrice, le film relègue bel et bien les hommes à des stéréotypes répétitifs dans le Hollywood post-#MeToo. Mais entre des chorégraphies de combats brutales et rondement menées, une belle alchimie entre les excellentes Scarlett Johansson et Florence Pugh, ainsi qu'une poignée de plans joliment foufous dans le final en plein ciel, la mission d'évasion reste assez correctement remplie pour couvrir le bruit de fond vaguement misandre.

Et aussi pour détourner notre attention d'autres défauts plus gênants : une durée excessive (pourquoi 2 h 14 alors que 1 h 45 eût été amplement suffisant ?), l'interprétation en roue libre de David Harbour (en mode marionnette de Boris Eltsine au temps des Guignols), des CGI pas toujours irréprochables, un hommage un peu hors sol à Moonraker et l'écriture bâclée du bad guy, dont les motivations exactes restent bien vaporeuses, à l'image d'un script aux boulons tout juste vissés. Peut-être sommes-nous mithridatisés ? Mais en dépit de ces scories, nous nous sommes laissé prendre sans trop de résistance dans la toile émolliente de cette Veuve noire éphémère, divertissante et déjà enterrée, sur laquelle repose le challenge du retour du MCU au grand écran. C'est sans doute ça, désormais, l'effet Marvel.

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Commentaires (4)

  • alibofi

    Mais non point par des Scarlett Johansson. Par des octogénaires pleines d’illusions et d’énergie. Ah, l’éternel féminin.

  • LéoManns

    Scarlett Johansen et Florence Plugh, deux belles et excellentes actrices.

  • alibofi

    Jouée par une blanche… les demande de pardon sont en cours de rédaction.