« Nevermind », l’album de Nirvana qui pulvérisa les dinosaures du hard rock

Deuxième album de Kurt Cobain et son groupe Nirvana, ce disque furieux et mélodique, entre punk et metal, marqua de concert l’apocalypse et la renaissance du rock dur. Une révolution.

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L'album Nevermind et sa couverture culte, en 1991.
L'album Nevermind et sa couverture culte, en 1991. © Geffen

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On n'avait rien vu venir, nous les béotiens du manche. Pour tous les guitaristes néophytes, amateurs du hard rock de papa, fans de Mötley Crüe, Van Halen et autres Bon Jovi, la rentrée 1991 s'annonçait comme une formalité placée sous le signe du gros son qui tache, celui qui berça nos années 1980. Sur nos calepins trépignants : les nouveaux albums de Guns N' Roses (Use Your Illusion 1, le 17 septembre), d'Ozzy Osbourne (No More Tears, le même jour) et des Red Hot Chili Peppers (Blood Sugar Sex Magik, une semaine plus tard), sans oublier le tout frais Black Album de Metallica, sorti en août.

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Nous sentions bien confusément bouillonner un indicible mouvement tectonique sonore, dissimulé par les derniers tsunamis commerciaux des cadors en place – notamment Hysteria de Def Leppard, Pump d'Aerosmith ou encore The Razor's Edge d'AC/DC, lequel jouissait d'un formidable come-back porté par le monumental single « Thunderstruck » en 1990. En 1987, la bombe Appetite for Destruction de Guns N' Roses avait par ailleurs déjà commencé à souffler nos certitudes avec un nouveau type de hard rock, à la fois grand public et plus abrasif. Mais rien ne nous avait préparés à… ça. Nevermind de Nirvana.

« Smells like teen spirit » propulsée par MTV

Nevermind, ou le deuxième album d'un obscur trio d'Aberdeen, dans l'État du Washington – « obscur » aux yeux des innocents parce que, depuis son premier 33 tours, Bleach, en 1989, le gang du blondin torturé Kurt Cobain s'était déjà fait un nom sur la scène alternative. Dans les bacs le 24 septembre, traduisible par « Peu importe » en français, Nevermind importa, bien au contraire, sur-le-champ. Pour toujours. Les tympans foudroyés par cette implacable greffe de heavy metal, de punk et de mélodies aux lointaines réminiscences beatlesiennes, les drogués aux décibels allaient bientôt découvrir le grunge – anglicisme désignant une mouvance musicale préexistante à Nirvana mais dont ces derniers allaient devenir les généraux en chef. Mais, bien au-delà des rockeurs, c'est toute la planète qui allait bientôt succomber à la formule Cobain.

À LIRE AUSSI Trente ans de la mort de Kurt Cobain : itinéraire d'un enfant mauditEnregistré en mai 1991 aux studios Sound City de Los Angeles pour un budget de 65 000 dollars, distribué aux États-Unis à hauteur d'à peine 46 000 copies ( !) par le label DGC Records (filiale du groupe Geffen, la maison des Guns N' Roses), Nevermind contient alors 13 morceaux trempés dans la rage et le spleen des textes de Kurt Cobain. Le premier titre qui ouvre le bal, « Smells Like Teen Spirit », reçoit aussi l'honneur d'être exploité en pole position et diffusé à la radio, à partir du 27 août 1991. Le triomphe n'est pas immédiat. Mais, le 29 septembre, cinq jours après la sortie de l'album, le clip de la chanson est diffusé pour la première fois sur MTV, dans l'émission 120 Minutes. Micro lâché, tube instantané.

Aux États-Unis et bientôt à travers le globe, « Smells Like Teen Spirit » rend alors les foules folles et déchaîne la jeunesse dans les bars, les concerts, les soirées étudiantes… partout ! Brûlot beuglé à tue-tête en sautant jusqu'au plafond dans les fêtes alcoolisées, même si l'on ne comprend guère ses paroles floues (braillées en yaourt du côté de chez Molière), son refrain inonde l'air du temps de l'automne 1991. Orné d'une magnifique et perturbante couverture – ce bébé tout nu en immersion dans une piscine avec, à l'avant-plan, un billet d'un dollar hameçonné devant lui –, Nevermind regorge de pépites absolues. « Come as you are », « Lithium », « In Bloom » (tous trois également extraits en single… avec autant de succès), mais aussi les extatiques « Breed », « Territorial Pissings », « Stay Away » et « On A Plain »… Sans oublier les fabuleux, hypnotiques et acoustiques « Polly » et « Something in the Way » : bref, quasiment un sans-faute.

Le batteur Dave Grohl, le chanteur-guitariste Kurt Cobain et le bassiste Krist Novoselic.
©  Rudi Keuntje/Future Image/Cover ImagesCOVER/SIPA / SIPA / Rudi Keuntje/Future Image/Cover/
Le batteur Dave Grohl, le chanteur-guitariste Kurt Cobain et le bassiste Krist Novoselic. © Rudi Keuntje/Future Image/Cover ImagesCOVER/SIPA / SIPA / Rudi Keuntje/Future Image/Cover/

Chef-d'œuvre aux nombreux paradoxes

Et une musique rugueuse en osmose avec une ère nouvelle, un peu plus sombre. Celle de la colère désenchantée des années post-Reagan, des angoisses liées aux inconnues d'un monde post-soviétique, des doutes nourris par le spectacle de la première guerre du Golfe et, enfin, de la crise naissante dans l'ex-Yougoslavie. Miraculeusement, Nevermind fédère autant les métalleux que les punk rockeurs, les popeux que les fans de variété.

Chez les 15-20 ans, une génération « grunge » s'identifie à 100 % aux tourments de Kurt Cobain, belle gueule boudeuse à l'âme rongée jusqu'à l'os par ce fichu phénomène Nevermind qui le dépasse complètement : dès janvier 1992, trois mois et demi après sa sortie, le disque trône à la première place du Billboard 200 américain et s'imposera bientôt comme l'un des albums les plus vendus de l'histoire du rock, avec plus de 30 millions d'exemplaires écoulés.

À LIRE AUSSI 8 avril 1994. Le jour où Kurt Cobain est retrouvé mort, chez lui

Le chanteur-guitariste finira par renier ce veau d'or et, en 1993, sa bande et lui accoucheront d'In Utero. Anti-Nevermind total, dans le son comme dans les mélodies, ce troisième effort est un peu à son prédécesseur ce que Matrix Reloaded fut à Matrix : une contre-proposition inattendue, un caprice d'auteur moins accessible aux fans, dont une partie restera plutôt de marbre à ce virage kamikaze (et, osera-t-on écrire, nettement plus rasoir). Un certain snobisme revendique encore aujourd'hui la supériorité artistique d'In Utero à Nevermind. Coupable d'hyperpopularité, ce dernier sera jugé rétrospectivement trop grand public et pop par les puristes, ravis de voir Cobain rejeter lui-même ce (pourtant) beau bébé avec l'eau bleue de la piscine.

Oublions un instant ce débat stérile. En quatre albums (dont le mirifique MTV Unplugged in New York, en 1994), Nirvana s'est hissé au sommet des indéboulonnables mythes du rock'n'roll. Choc majeur, Nevermind restera bel et bien ce chef-d'œuvre aux nombreux paradoxes, à la fois metal et anti-metal, punk et ultracommercial, furieux et mélancolique… Même si le bon vieux hard rock festif, glam et permanenté porté par Kiss, Mötley Crüe, Ratt et tant d'autres dans les eighties jouira, au XXIe siècle, d'un petit retour de flamme, il ne s'est jamais vraiment remis des ravages de cette fulgurante météorite.

Peu importe : les adeptes du monde d'avant prendront de bon coeur le train Nevermind en marche, lui pardonneront cette annihilation et continueront malgré tout d'écouter leurs vieux doudous. Tout en sautant pour longtemps comme des cabris à l'écoute de « Smells Like Teen Spirit ». Ce parfum d'esprit ado qui brûlera toujours en nous.

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Commentaires (4)

  • honnête homme

    Il y aura un avant et un après « Nevermind » pour toute une generation. Pr les amateurs, je recommande le decryptage des chansons par le livre de Chuck Crisafulli.

  • Rising Sun

    Sans intérêt pour moi. Loin de The Doors, Pink Floyd, Led Zeppelin, etc.

  • Emett

    Les performances "live