« One Piece » : la saga d’un manga phénomène

RÉCIT. Le manga culte est apparu en 1997. Vingt-cinq ans après, 500 millions d’exemplaires ont été vendus dans le monde. Au Japon, il est devenu une industrie.

De notre correspondante à Tokyo,

Dans le métro de Tokyo, décoré avec les personnages de One Piece, à l'occasion de la sortie d'un épisode du manga.  
Dans le métro de Tokyo, décoré avec les personnages de One Piece, à l'occasion de la sortie d'un épisode du manga.   © BEHROUZ MEHRI / AFP

Temps de lecture : 5 min

Erika est japonaise, elle fait du shopping dans les rues du quartier déjanté de Shibuya à Tokyo, elle a près de 50 ans. Elle était encore étudiante ou jeune salariée quand elle a commencé à lire One Piece dans le magazine hebdomadaire Shonen Jump du géant de l'édition Shueisha. Elle n'était pourtant déjà plus dans le cœur de cible de ce périodique généralement destiné aux adolescents. Mais peu importe, Erika est de cette génération qui s'est laissé embarquer dans les aventures de Luffy avec son corps élastique et sa clique de pirates, dès les premiers épisodes parus en 1997. One Piece est, depuis un quart de siècle, la série phare de Shonen Jump, véritable pépinière à mangas cultes, de Dragon Ball à Demon Slayer, en passant par Naruto.

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Mais One Piece bat des records : de longévité, comme de ventes mondiales (500 millions de volumes en cumul). « Je le lis encore aujourd'hui, j'adore, tous les personnages sont attachants », précise Erika, qui n'achète pas Shonen Jump chaque semaine, mais attend la parution des tomes englobant plusieurs histoires de 19 pages chacune. Déjà 103 tomes au compteur au Japon.

Au Japon, 103 tomes regroupant les épisodes de "One piece" ont été publiés.
 ©  JOEL SAGET / AFP
Au Japon, 103 tomes regroupant les épisodes de "One piece" ont été publiés. © JOEL SAGET / AFP
Taro est de ceux qui se sont jetés sur le 103e qui vient de sortir et que l'on trouvait même en piles aux caisses des supérettes ouvertes 24 heures sur 24. C'est dire si cette série se distingue dans la montagne de titres qui sortent pourtant chaque semaine au Japon. Taro, qui emploie ses journées à héler des passants pour le don du sang, approche, lui aussi, de la cinquantaine. « J'achetais Shonen Jump avant que One Piece n'y fasse son apparition, mais j'aime vraiment cette série, c'est bourré d'humour et de rebondissements. »

Un dénouement aussi attendu que redouté

One Piece a su capter des adultes dès le départ, car le manga était un remède à la déprime après une série de crises depuis la fin des années 1990. Même un sexagénaire interrogé au hasard dans la rue nous indique qu'il était fan dès les premiers épisodes. Il ne le lit plus depuis des années, mais hésite quand on lui demande s'il s'y remettra pour les derniers épisodes, lorsque la fin sera annoncée. Erika, elle, l'assure d'emblée : elle sera triste au moment du dénouement, mais elle a quand même sacrément envie de savoir comment ce périple va se terminer, donc elle n'abandonnera pas. Taro, lui aussi, ira au bout, avec le même enthousiasme qui le rend intarissable sur la série.

À LIRE AUSSI 6 mangas qui ne sont pas pour les enfants Selon l'auteur, Eiichiro Oda, la dernière partie est pour bientôt. Cela dit, cela fait des années déjà qu'il dit souhaiter en finir, car One Piece, son seul « rensai » (manga en feuilleton), est toute sa vie depuis 25 ans. « Je voudrais terminer One Piece dans cinq ans », disait Eiichiro Oda en 2019. Puis il répétait la même chose en 2020. Mais, si on s'en tient à ses récents messages postés sur Twitter, le dernier chapitre (qui contiendra un nombre indéfini d'épisodes) est pour bientôt. « Après tant d'années, il n'a peut-être plus envie », suppute le lecteur Taro cité plus haut.

Le mystère Oda

Planche originale de One Piece.
 ©  cyrilt / 1997 by Eiichiro Oda/SHUEISHA
Planche originale de One Piece. © cyrilt / 1997 by Eiichiro Oda/SHUEISHA
C'est que se répète toutes les semaines le même rythme de dingue. Pas moins de 19 pages à livrer. Donc autant à penser et à dessiner, avec un emploi du temps qui laisse peu de place au sommeil, à la famille et aux loisirs. Au détour d'une longue conversation avec le dessinateur de Détective Conan, Gosho Aoyama, retranscrite dans Shonen Jump fin juillet, Oda explique ne même pas avoir le temps de lire d'autres mangas. Car c'est une lessiveuse, Shonen Jump. Il s'en plaint parfois, lorsqu'il répond (très, très rarement) à des interviews, sans jamais montrer son visage.

À LIRE AUSSI Pourquoi le Japon s'est pris de passion pour « Détective Conan » Tout faire seul, c'est bien évidemment impossible. Il est donc entouré d'assistants, mais le scénario, c'est lui, corps et âme. « Si l'histoire ne me tire pas des larmes, je ne peux pas toucher le lecteur. Si je ne suis pas ému moi-même, je ne crois pas pouvoir émouvoir les autres », a-t-il confié en 2020 à la télévision. Il met un point d'honneur à dessiner lui-même les personnages et éléments centraux de ses planches. Il n'est pas toujours dans les temps et a déjà épuisé une dizaine de « tantosha » (chargés d'édition). S'il continue, c'est, dit-il, « parce que je pense que ce serait impoli de ne pas dessiner un épisode que je trouve moi-même intéressant ».

Lorsqu'il a pris quatre semaines de pause dans la publication hebdomadaire au début de cet été, les médias s'en sont tous fait l'écho. Et pour cause, c'est rarissime. De là à penser qu'il était en vacances, ce serait se tromper. Il a consacré ce temps à préparer le lancement du film One Piece Red sorti le 6 août au Japon (le 10 en France). Enfin, une partie de cette suspension de parution a été employée à repenser la dernière partie du manga qu'il avait pourtant imaginée il y a très longtemps (dès le début, selon ses dires), mais qu'il souhaitait ajuster, dixit ses propres explications.

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Signes d'essoufflement

Est-ce qu'il faut presser le pas vers la fin, est-ce que le titre s'essouffle ? Pas impossible. En février dernier, un article du site Internet Myjitsu titrait « L'éloignement du lectorat s'accélère » en reprenant le flot de commentaires de lecteurs déçus ou carrément excédés par des développements difficiles à comprendre ou abandonnés en cours de route. Plusieurs autres articles du même acabit sont parus ensuite sur divers sites spécialisés, avec des titres rudes, tels que « Pourquoi One Piece en vient à être détesté ? » ou encore « Pourquoi les lecteurs se barrent d'un seul coup ? »

One Piece a certes réussi à conserver au Japon une partie de son lectorat d'origine sur 25 années, mais peine à recruter de nouveaux aficionados ces derniers temps et perd même une partie du lectorat exigeant qui dit se noyer dans une histoire désormais jugée moins onirique, moins drôle, plus complexe et ennuyeuse. Les plus jeunes, le lectorat a priori visé par Shonen Jump, ne sont pas au rendez-vous. Une dizaine de lycéennes interrogées répondent qu'elles ne sont pas du tout intéressées par ce manga. « On a quelques copains qui le lisent, mais pas nous. » Si bien que One Piece au Japon est un manga avant tout apprécié par des adultes. Une enquête datant de 2019 indique que 75 % des lecteurs d'alors avaient plus de 18 ans, les trentenaires et quadras étant majoritaires. L'annonce attendue de la fin sera un nouveau dopant, à n'en pas douter.

Une grosse machine

Et en attendant, la machine industrielle tourne à plein régime. One Piece, c'est aussi des dessins animés, des séries, des longs-métrages d'animation, d'innombrables produits dérivés, des partenariats commerciaux. Le film One Piece Red, produit par Oda et sorti le 6 août dans 495 salles au Japon, a attiré la bagatelle de 1,57 million de spectateurs les deux premiers jours, un début record pour la série de longs-métrages animés dérivés de ce manga. Sans compter que la bande originale de Red signée Ado (qui ne montre pas non plus son visage) s'est immédiatement arrogé la première place sur tous les sites de musique au Japon.

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Commentaires (2)

  • glock83700

    Étonnant, ce succès ! Les personnages sont souvent laids, voire effrayants pour les petits, les dessins bâclés. Les intrigues, sans doute à l’avenant ! Ça nous change beaucoup des productions des studios Disney d’autrefois. S’ils revendiquent « one piece », beaucoup ajouteront volontiers un suffixe : one piece of sh… Nos jeunes méritent mieux.

  • Vrai sceptique

    Toutes ces japoniaiseries, non merci.