Ces mangas dont la fin n'a jamais été publiée en France

Il n'est pas rare que la parution de bandes dessinées asiatiques soit interrompue en cours de route. Ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose, d'après Pierre-William Fregonese.

Par Pierre-William Fregonese

Il n'est pas rare que la parution de bandes dessinées asiatiques soit interrompue en cours de route.

Il n'est pas rare que la parution de bandes dessinées asiatiques soit interrompue en cours de route.

© Yoann CASALS

Temps de lecture : 5 min

Pierre-William Fregonese est docteur en sciences politiques de l'université Panthéon-Assas, chercheur associé au Centre Thucydide et enseignant à Sciences Po Lille et à l'Emic. Ses recherches portent sur l'influence culturelle et le soft power, surtout par la pop et geek culture. Il est l'auteur de « Raconteurs d'histoires : les 1 000 visages du scénariste de jeu vidéo ».

Prépublié dans Weekly Shonen Jump le 22 juillet 1997, One Piece vient de fêter ses 22 ans d'existence. Toujours en cours de parution, le manga affiche déjà 93 volumes et n'est sans doute pas près de s'arrêter, exemple parfait de ces œuvres-fleuves qu'on redoute de commencer lorsqu'on a pris trop de retard. Mais cette réalité flamboyante des longues séries qui trustent le marché en masque une autre, plus sombre, celle des bandes dessinées asiatiques dont la fin ne paraîtra probablement jamais en France, leur traduction ayant été interrompue faute de succès ou en raison de la chute d'un éditeur. Tragédie pour les fans les plus assidus et pour ceux qui, du côté de l'édition, ont pris part à l'aventure, cette absence de fin offre pourtant souvent à ces histoires un petit supplément d'âme. En effet, on le sait (les amoureux de Lost et Game of Thrones peuvent en témoigner), la plupart des récits qui s'étalent en longueur finissent par décevoir dans leurs adieux ultimes. Plus une saga dure, plus elle a de chances de s'effondrer sous son propre poids, soit en forçant le scénario, soit en se perdant dans des arcs narratifs sans intérêt, et les créations coréennes et japonaises ne font pas exception (coucou Dragon Ball Super). Dès lors, on pourrait presque se réjouir de certaines interruptions qui offrent un faux dénouement plus satisfaisant que le vrai, notamment grâce au mystère qu'il entretient durablement. Parmi les nombreux exemples existants, on en dégagera trois, d'époques et de supports différents : Tekken Chinmi, Yureka et Quitter la ville.

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Tekken Chinmi sera interrompu en cours de publication.

© J'ai Lu
Le premier volume de Tekken Chinmi paraît en France le 24 janvier 1998. Édité par J'ai lu, le manga raconte l'histoire du jeune Chinmi pendant son rude apprentissage du kung-fu au temple Daïlin. Doté d'une narration classique mais bien maîtrisée, ce shōnen intimiste sonnait comme un hommage réussi à la trilogie de La 36e Chambre de Shaolin, sans pour autant bouleverser les codes établis. J'ai lu abandonne sa publication au début de l'année 1999, juste avant le 13e volume. La saga se conclut donc au moment où Yosen, le maître du héros, n'a plus qu'une dizaine de jours à vivre. Pendant cette course contre la mort, Chinmi doit apprendre une technique offensive spéciale, le Tsûhaï-Ken. Autrement dit, en France, Tekken Chinmi s'achève sur une transition – le passage à l'âge adulte, symbolisé par l'acquisition d'une nouvelle puissance qui permettra au héros de remplacer le maître disparu. On quitte le héros comme à l'issue d'un roman d'apprentissage, désormais seul mais prêt à affronter les futurs dangers. Une conclusion efficace, qui offre au lecteur la possibilité d'imaginer la suite.

<p>Yureka</p> ©  Samji

Yureka

© Samji
Cinq ans plus tard, une autre série prometteuse se dévoile dans l'Hexagone : Yureka de Kim Youn Kyung et Son Hee Joon. Ce manhwa (comprendre un manga coréen) développe un scénario autour de l'une des thématiques les plus actuelles à l'heure des révolutions numériques : la socialisation virtuelle des individus et son impact sur les relations qu'on entretient. On y suit l'adolescence de Jangkun, un jeune garçon qui passe sa journée et, surtout, ses nuits dans un jeu vidéo en ligne appelé Lost Saga, aux faux airs de World of Warcraft. Tout joueur de MMORPG comprendra instinctivement les enjeux intimes évoqués au travers de multiples aventures qui deviennent presque autant de rencontres, voire d'adieux. Passé des éditions Tokebi à Samji, Yureka ne dépassera pas le 34e volume, paru en 2014. Ce dernier met en scène les débuts du dernier grand tournoi de la saga. Le héros et ses acolytes sont enfermés dans un donjon où ils doivent passer de pièce en pièce pour éliminer les opposants et concurrents. Si, cette fois, la conclusion forcée est bel et bien abrupte, le charme réside ailleurs. Yureka, c'était avant tout l'histoire d'amour entre Jangkun et Yureka, mystérieux personnage féminin qui donne son titre à la saga. D'abord présentée comme un avatar existant uniquement dans le jeu, elle se révèle finalement être un véritable être humain. Qui ? On ne saura jamais. Le lecteur est stoppé dans sa recherche de l'âme sœur, ce qui lui laisse un sentiment doux-amer non dénué de romantisme. Et évite peut-être une rencontre trop lisse, à l'instar de celle mise en scène par Spielberg dans l'adaptation de Ready Player One.

<p>Quitter la ville</p> ©  Atrabile

Quitter la ville

© Atrabile
Dernier exemple : en 2009 paraît le méconnu premier tome de Quitter la ville, une bande dessinée en noir et blanc signée Kim Su-bak et éditée par Atrabile. D'un point de vue formel, l'œuvre est une autofiction du genre chungnyun, l'équivalent en Corée du manga seinen pour adultes. Cette fois, il n'est pas question d'apprentissage du kung-fu ni de jeu vidéo en ligne, mais de Chamallow, un habitant de Séoul hanté par sa solitude, qui cherche un sens à son existence banale et morne. Un beau jour, las d'être enfermé dans un boulot d'ouvrier du bâtiment en intérim et de voir ses aspirations de dessinateur frustrées, le narrateur-auteur décide de partir rejoindre un ami dans une campagne profonde. Conçu à l'origine comme un diptyque (la suite ne parut jamais chez nous), Quitter la ville : tome 1 se termine lorsque Chamallow, après une longue traversée en train, arrive à la campagne et franchit la porte de la demeure de l'ami qui l'accueille. Dans les dernières cases, le Séoulite entend de l'agitation autour de lui avec des cris d'enfants. Ce sont des bruits de vie qui le raniment, lui qui avait perdu la sienne dans la solitude urbaine. En quelques cases, tout est dit.

Alors, bien sûr, au début, la frustration l'emporte. On cherche absolument, voire désespérément, à connaître le fin mot de l'histoire et le "véritable" dénouement. Certains fans se sont peut-être même mis au japonais ou au coréen pour tenter de percer le mystère des derniers volumes  ! Mais la frustration disparaît rapidement et ne restent plus alors que le questionnement intérieur, l'imagination et le rêve. Et rien ne résiste mieux à l'épreuve du temps.

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