« Dream Scenario » : que vaut le nouveau film avec Nicolas Cage ?

Performeur de génie, Nicolas Cage a souvent été « Bigger than Life », plus grand que nature. Il en fait toujours trop. Et adore les rôles excentriques. Capable du pire comme du meilleur, le neveu du grand Francis Ford Coppola a incarné toute une série de personnages extravagants au cinéma. Mais dans Dream Scenario (2023), la comédie qui sort ce mercredi en salle, l'acteur effectue un virage à 180 degrés.
Il interprète pour une fois, avec sobriété, un homme tout à fait ordinaire, un « monsieur Tout-le-Monde » : Paul Matthews, un professeur d'université sans histoire. Un type discret et effacé, marié et père de deux filles. Un Américain de la middle class habitant dans une banlieue anonyme et tranquille.

Un jour, ce prof de biologie est confronté à un phénomène étrange : il découvre, à son grand étonnement, que des gens se mettent à rêver de lui. Sa vie est bouleversée lorsqu'il commence à apparaître dans les rêves de millions de personnes ! Sans que l'on comprenne pourquoi, ce barbu un poil barbant hante les cauchemars d'une bonne partie de la population mondiale ! Pourtant, il reste inactif dans ces rêves. Lorsqu'il infiltre chaque nuit les songes d'hommes et de femmes endormis, sa seule présence et sa passivité créent juste une inquiétante étrangeté. Une sensation de déjà-vu.

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Paul devient brusquement « l'homme le plus intéressant du monde ». Une star médiatique. Un phénomène viral qui fait le buzz sur les réseaux sociaux. Une hallucination collective. Ses jeunes élèves lui demandent même des selfies. Bref, ce prof qui ressemble d'habitude à un bonnet de nuit devient cool et célèbre. Au point qu'une agence de relations publiques, Thoughts ?, lui propose un contrat pour devenir l'emblème et le porte-parole de la marque de boisson gazeuse Sprite (et là, le film devient très drôle en dénonçant la manie qu'ont les Américains de faire du business avec tout et n'importe quoi). Mais il y a le revers de la médaille à cette soudaine notoriété…

Lynchage et déchéance

Lorsqu'une nuit, un déséquilibré s'introduit par effraction dans la maison de Paul avec un couteau pour le menacer avec sa famille, Dream Scenario prend un tournant plus dramatique. L'irruption de la violence change en effet le ton du film. Dès lors, la vie de l'enseignant se transforme en cauchemar. Les rêves où il apparaît deviennent de plus en plus angoissants. On le surnomme désormais « Freddy Krueger », alors que ce type inoffensif n'est en rien responsable de son statut de croque-mitaine. Progressivement, les élèves de son amphithéâtre sont effrayés par sa présence. Le doyen de la fac décide même de suspendre ses cours.

D'abord adulé par la foule, Paul est ensuite violemment rejeté. Il est lâché aussi par les médias et mis au ban de la société, échappant de peu à la vindicte populaire… Avec cette satire, le réalisateur norvégien Kristoffer Borgli s'attaque-t-il avec humour à la mouvance woke, à la cancel culture et à l'idéologie victimaire ? Il brocarde en tout cas notre époque ultraconnectée. Sorti en mai dernier, son précédent long-métrage, Sick of Myself (2022), racontait déjà l'histoire d'une jeune femme devenant ultrapopulaire sur les réseaux sociaux après s'être volontairement défigurée !

L'an passé, Nicolas Cage jouait aussi son propre rôle dans la comédie Un talent en or massif (2022) qui traitait, comme Dream Scenario, des dangers de la célébrité. Confier le rôle de ce prof névrosé à Nic Cage était donc une grande idée. Comme son personnage, l'acteur a connu aussi la gloire puis la déchéance après avoir tourné dans d'innombrables séries B ou Z, sorties directement en vidéo, pour éponger ses dettes.

À LIRE AUSSI Ivre, Nicolas Cage se marieSobre et émouvant dans Dream Scenario, le comédien suscite l'empathie du spectateur dans le rôle de Paul Matthews. Le crâne dégarni, ce binoclard vêtu d'une parka traverse une grave crise existentielle. Méconnaissable dans la peau de ce loser débraillé, Cage livre une authentique performance et renoue avec le talent. Il faut remonter à Pig, de Michael Sarnoski en 2021, et surtout à Joe, de David Gordon Green en 2013, pour le retrouver à un aussi haut niveau.

Les Golden Globes viennent d'ailleurs de le nommer dans la catégorie « Meilleur acteur dans une comédie » pour sa prestation dans le film et il sera en lice à la cérémonie qui se tiendra le 7 janvier prochain à Los Angeles. Sera-t-il nommé aussi à la prochaine cérémonie des Oscars en mars ? S'il a déjà remporté la statuette du meilleur acteur en 1996 pour Leaving Las Vegas, la compétition sera rude en 2024 avec la présence presque assurée au palmarès de Cillian Murphy dans Oppenheimer, Leonardo DiCaprio dans Killers of the Flower Moon et Bradley Cooper dans Maestro.

« Je me suis aussi inspiré de mes propres rêves pour écrire le scénario »

Distribué aux États-Unis par le mini-studio indé A24 et produit par le réalisateur Ari Aster et son fidèle producteur danois Lars Knudsen (le duo gagnant d'Hérédité, Midsommar et Beau is Afraid), Dream Scenario reste en tout cas l'une des œuvres les plus originales de l'année. Dans ce conte onirique, le rêve et la réalité s'entremêlent. Au fur et à mesure du récit, on a d'ailleurs de plus en plus de mal à distinguer le vrai du faux. Les frontières entre la réalité et la fiction deviennent poreuses.

Mais Kristoffer Borgli ne se repose pas sur son concept malin. Il le développe à merveille. Fait en sorte qu'il ne s'épuise pas sur la longueur. Pour Borgli, la vie n'est qu'un songe. Une illusion. Interviewé en visioconférence, le réalisateur-scénariste de Dream Scenario nous a révélé sa source d'inspiration pour l'écriture du film : « Le Suisse Carl Gustav Jung, l'un des disciples de Sigmund Freud, a été une grande influence pour moi. Il m'a inspiré l'idée de Dream Scenario. Son nom ainsi que son concept de “l'inconscient collectif” sont mentionnés dans les dialogues à plusieurs reprises. Il a été la raison pour laquelle le script a pu naître même si, à titre personnel, je n'ai jamais consulté de psychanalyste de cette école de pensée. […] Je me suis aussi inspiré de mes propres rêves pour écrire le scénario. J'ai recyclé certains d'entre eux dans le film. Je les notais dans un cahier. Mais tenter de raconter ses propres rêves est une expérience frustrante. Il manque toujours plein de détails, c'est pour cela que j'ai voulu que mes séquences oniriques soient dépouillées au maximum, à l'opposé de ce que l'on voit dans Inception, par exemple. »

Et quand on lui parle des cinéastes qui l'ont influencé, il confesse : « Luis Buñuel m'a beaucoup marqué dans sa façon de mettre en avant la comédie dans la logique des rêves. David Lynch reste aussi une immense influence pour moi quand il s'agit d'imaginer un univers onirique. J'ai voulu raconter quelque chose de similaire mais plutôt à travers le prisme de la satire sociale que de l'épouvante. »

L'esprit du scénariste Charlie Kaufman, qui avait écrit le script déjanté d'Adaptation (2002) de Spike Jonze avec Nicolas Cage, plane aussi sur ce film délirant. L'intrigue rappelle également celle de Superstar (2012), un film un peu oublié de Xavier Giannoli dans lequel un simple ouvrier (Kad Merad) devenait célèbre du jour au lendemain et se retrouvait sous le feu des projecteurs sans savoir pourquoi. Bref, Dream Scenario est un film-cauchemar, une fable kafkaïenne, à l'instar du récent Vincent doit mourir (2023) qui prenait pour héros un brave type (Karim Leklou) traqué et agressé par la foule sans raison.

Nicolas Cage bientôt retraité

L'an prochain, Nicolas Cage reprendra le rôle du trafiquant d'armes ukrainien Yuri Orlov dans la suite de Lord of War (2005), Lords of War (2024), toujours réalisée par le Néo-Zélandais Andrew Niccol. Une histoire de rivalité père-fils… Mais après plus de quarante ans de carrière, le prolifique acteur a déclaré début décembre au magazine Vanity Fair qu'il en avait presque fini avec le cinéma. Il a en effet laissé entendre qu'il souhaitait arrêter les tournages après « trois ou quatre films » et prendrait bientôt sa retraite anticipée à 60 ans.

Un peu à la manière de Tarantino qui s'apprête à faire ses adieux après son dixième et dernier film The Movie Critic. La star compte heureusement travailler pour la télévision et tourner dans des séries pour exprimer une autre facette de son métier. Raison de plus pour se ruer sur Dream Scenario et admirer le comédien dans le costume surdimensionné que le chanteur des Talking Heads, David Byrne, portait en 1985 dans le film-concert de Jonathan Demme Stop Making Sense.

Dream Scenario de Kristoffer Borgli avec Nicolas Cage, Julianne Nicholson et Dylan Baker. 1 h 42. En salle le 27 décembre. Distribué par Metropolitan.