« Zack Snyder’s Justice League » : l’improbable rédemption des super-héros DC

Sorti en 2017 dans un montage désastreux, le blockbuster maudit renaît sur HBO Max. Surprise : cette version « director’s cut » vole nettement plus haut.

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« Zack Snyder’s Justice League » : la version longue du film sorti en salle en novembre 2017.
« Zack Snyder’s Justice League » : la version longue du film sorti en salle en novembre 2017. © Warner

Temps de lecture : 9 min

L'air de rien, c'est un petit événement sans précédent dans l'histoire du film de super-héros. Voire du cinéma. Et, en même temps, une odyssée humaine rédemptrice aux proportions typiques de Hollywood. Oui, on est un brin opératique, mais lorsqu'il s'agit d'un film de Zack Snyder, le cinéaste de Watchmen et 300, c'est finalement de circonstance. Voilà donc un blockbuster, Justice League, quasi unanimement vilipendé à sa sortie, en novembre 2017, dans une version tronquée de 120 minutes, désincarnée, hideuse et stratosphériquement rasoir malgré tous les efforts du studio Warner pour courir in extremis après la formule Marvel. Trois ans et demi plus tard, sous la pression de fans acharnés sur les réseaux sociaux, le même film émasculé ressort des disques durs dans un nouveau montage, deux fois plus long, reconfié intégralement à son réalisateur – Zack Snyder, donc – alors même que celui-ci avait été initialement écarté de la première version, remplacé en pleine postproduction par son confrère Joss Whedon.

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Zack Snyder's Justice League, titre final de cette improbable résurrection, dure quatre heures (un opéra !) et ne sera visible que sur la plateforme HBO Max, à partir du 18 mars. Et alors même que le service de streaming de WarnerMedia n'a toujours pas de date de lancement officielle dans l'Hexagone, la presse française a malgré tout reçu, ce week-end, des liens de visionnage pour cette refonte très attendue par les fans de l'univers DC comics. Visiblement, le studio ne rougit pas de ce nouveau tour de piste et veut le faire savoir. Pas de révolution cependant : on retrouve toujours dans ZSJL la super équipe culte composée de Superman, Batman, Wonder Woman, Flash, Cyborg et Aquaman, tant bien que mal réunie pour contrer la menace planétaire (forcément) constituée par l'effrayant alien Darkseid (le Thanos de chez DC), ainsi que son envoyé sur Terre, le molosse épineux Steppenwolf et leurs légions de « paradémons » volants.

Le canevas reste identique – former une sainte alliance entre les héros pour défaire le Mal – mais ZSJL diverge nettement de son brouillon en salle : plus de personnages, une structure repensée, un format modifié en 4/3 (quelle drôle d'idée, pas toujours heureuse), un ton plus pesant, une fin radicalement différente et tournée spécialement pour l'occasion… bref, un autre film. Mais qui ne vivra qu'en streaming – du moins jusqu'à nouvel ordre. Le lifting a coûté le coquet supplément de 70 millions de dollars – et encore, Zack Snyder a décidé de renoncer à son cachet pour faciliter le projet. Du jamais vu à cette échelle, même si, en 2016, notre homme avait déjà proposé un director's cut de son Batman v. Superman : l'aube de la justice pour sa sortie en Blu-ray.

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Tragédie, défaite et humiliation en 2017

Avait-on vraiment envie de se replonger dans Justice League, ce Waterloo à capes, même avec la promesse d'une meilleure expérience ? Pas vraiment. Refroidis par la calamiteuse vision en salle, on ne donnait pas cher de ce come-back en forme d'appât à abonnés pour HBO Max – toujours loin derrière Disney+. Contre toute attente, le résultat étonne. Pourquoi et comment Zack Snyder a-t-il sauvé des enfers ce projet maudit qui, à l'origine, devait marquer la grande contre-offensive de Warner contre les Avengers de chez Disney/Marvel ? Cette réinvention plus qu'honorable de Justice League, quand bien même Warner ne la destine qu'au streaming et Snyder jure lui-même qu'elle marque ses adieux aux surhommes en collants, pourrait-elle connaître un lendemain ?

Pour Zack Snyder, 55 ans, ce revirement du destin sonne en tout cas comme une belle revanche sur cette annus horribilis que fut pour lui 2017. Après avoir eu les pleins pouvoirs en 2013 pour Man of Steel, reboot de Superman posant les bases d'une interprétation délibérément plus mythologique, sérieuse et doloriste des super-héros comparé au ton Marvel, Snyder commença à devenir indésirable aux yeux de l'état-major de Warner juste après son Batman v Superman : l'aube de la justice (2016), largement décrié pour sa noirceur excessive. Le film stagna un peu au-dessus de 800 millions de dollars de recettes au box-office mondial. En soi un score mirifique, mais décevant au vu de l'enveloppe et des attentes légitimement suscitées par le choc des deux super-héros les plus célèbres de la planète.

Justice League se profilant pour 2017, un changement de cap vers plus d'humour et de clins d'œil à la Marvel semblait impératif aux yeux de Warner, qui imposa cette direction jugée plus viable à Zack Snyder en cours de tournage, via l'embauche comme script doctor de… Joss Whedon, le réalisateur des deux premiers Avengers. Whedon pimenta donc Justice League de répliques plus rieuses et, peu à peu, la maîtrise du projet échappa au soldat Snyder, par ailleurs encadré sur son plateau par deux émissaires du studio. Déjà parasité par cette disgrâce officieuse, l'investissement de Zack Snyder dans Justice League se désintégra sur-le-champ après le suicide de sa fille adoptive Autumn, à l'âge de 19 ans, le 12 mars 2017. Dans des articles récents publiés sur les sites de Vanity Fair et du New York Times, Snyder, en promotion de son director's cut pour HBO Max, a confié son calvaire personnel et sa décision, alors, de lâcher le gouvernail pour se consacrer à sa famille.

« Zack Snyder’s Justice League » de Zack Snyder (2021).
 ©  Warner
« Zack Snyder’s Justice League » de Zack Snyder (2021). © Warner

Un film nouveau hanté par la destruction et le deuil

Joss Whedon finira par reprendre la barre à 100 %, réécrivant et retournant à la hâte environ les trois quarts du film, dans une ambiance chargée de tensions – dénoncées depuis sur Twitter par l'acteur Ray Fisher (alias Cyborg), accusant Whedon de harcèlement moral. Le reste appartient à la triste histoire : fin 2017, l'effarante médiocrité de ce Justice League schizophrène et ratiboisé à 120 minutes sera sanctionnée par un box-office mondial plafonnant à 657 millions de dollars, bien loin du milliard et demi que le premier Avengers avait amassé en 2012. Un terrible camouflet au regard d'un budget d'au moins 300 millions pour cette entreprise malade, à compléter par un surcoût évalué à 25 millions de dollars pour les retakes de Whedon et surtout des frais marketing autour de 150 millions. Comble de l'humiliation pour Warner et DC : au printemps 2018, Avengers. Infinity War écrabouillait Superman et sa bande en franchissant le cap des 2 milliards de dollars au box-office.

Au fil des mois, relayée sur Twitter par les hashtags #ReleaseTheSnyderCut et #SnyderCut, une vaste campagne virale des fans pour découvrir Justice League dans une version conforme aux souhaits de son réalisateur a fini par convaincre le studio, fin 2019, de recontacter Zack Snyder pour satisfaire les foules. Et surtout, seule véritable raison du grand retour de Justice League, offrir à HBO Max un pouvoir d'attraction supplémentaire face au rouleau compresseur Disney+. Pas rancunier et sorti de son deuil, voyant par là l'occasion d'une catharsis bienvenue, l'ex-désavoué s'est donc mis à la tâche, plongé dans les heures de rushes et a recontacté les stars pour son nouvel épilogue… Avant, à son tour, de pulvériser presque tout ce que Joss Whedon avait lui-même défait. Non, on ne hurlera pas au chef-d'œuvre miraculé. Mais, en l'état, Zack Snyder's Justice League ressemble au moins à une œuvre cohérente dans tous ses choix, même les plus bancals ou criards. Les quatre heures de ce nouveau montage, paradoxalement, suscitent de fait beaucoup moins de bâillements que les deux heures de la version sortie en salle.

Le souvenir du Justice League de 2017 reste à vrai dire un peu flou et l'auteur de ces lignes n'a pas eu le courage de s'en infliger une seconde louche. Mais la version 2021 frappe par une plus grande fluidité et, surtout, presque aucune scène ne suscite cette fois l'embarras. L'ouverture stupide du Justice League cornaqué par Whedon (une interview vidéo amateur de Superman par deux gamins, suivie de l'arrestation d'un cambrioleur nocturne guignolesque par Batman) a ici disparu au profit d'un traitement infiniment plus mélancolique. Dans la droite ligne de la tragédie de la mort de Superman à la fin de Batman v Superman : l'aube de la justice, ce nouveau début annonce un film hanté par la destruction, la perte de l'être cher et le deuil. Mais aussi guidé par la résilience et le retour à la vie.

À l'évidence, Zack Snyder a remodelé Justice League à l'aune de sa propre épreuve familiale. Sa version est d'ailleurs dédiée à Autumn et le générique de fin bercé par une réinterprétation du « Alleluia » de Leonard Cohen, morceau fétiche de la défunte. Dans ce montage, l'essence élégiaque du récit revient au premier plan, ainsi qu'un premier degré mythologique totalement assumé, malgré les quelques saillies humoristiques persistantes, quoique mieux intégrées au ton solennel ambiant. Divisé en six parties, plus un épilogue, ZSJL ressemble souvent à du 300, violence graphique y comprise. Dans certaines batailles, le sang gicle au ralenti sur des arrière-plans au chrome plus que jamais proche d'un comic book, à l'opposé de la patine plus néoréaliste ordinaire des productions Marvel.

« Zack Snyder’s Justice League » de Zack Snyder (2021).
 ©  Warner
« Zack Snyder’s Justice League » de Zack Snyder (2021). © Warner

Une conclusion explosive mais après ?

Justice League 2017 semblait vide de sens jusqu'au vertige. Que l'on adopte ou récuse les partis pris extrêmes de Snyder, ce retour du roi au lyrisme wagnérien a au moins le mérite de proposer un vrai film, guidé par une dynamique. Pas un monstre de Frankenstein numérique aux bouts disparates. Les relations entre les personnages, leurs tourments, leur trajectoire intime, semblent plus visibles et harmonieusement agencées avec leur statut de dieux vivants. Est-ce l'effet du nouveau montage ou notre autopersuasion : tout le monde paraît mieux jouer dans cette métamorphose, de Ben Affleck à Gal Gadot, en passant par Ray Fisher ou même Jason Momoa, vraiment plutôt doué dans l'humour à froid et dont les scènes avec le geek Ezra Miller/Flash assurent un réjouissant quota de légèreté.

Certes, l'addiction de Snyder à l'hyperbole et l'emphase continue de produire quelques dérapages risibles – notamment lors d'une scène inédite de sauvetage impliquant Flash et des saucisses (vous avez bien lu). La dernière heure, consacrée à la confrontation des six justiciers réunis contre Steppenwolf, procède par ailleurs à l'inévitable étalage de pyrotechnie digitale multicolore, mais, rasséréné par des enjeux humains mieux ciselés depuis le premier acte, on pardonne. Et surtout, comme s'il balançait une petite grenade à fragmentation bien vicieuse qu'il ne peut pas avoir dégoupillée innocemment, Snyder conclut son épilogue par deux scènes finales marquant le retour fracassant d'un personnage culte et l'introduction d'un autre – leur identité a déjà filtré sur la Toile, mais on ne divulgâchera rien pour autant.

Même sans être un thuriféraire du réalisateur – loin de là pour l'auteur de ces lignes –, on se surprend à regretter que toutes les pistes lâchées dans cette conclusion explosive restent à l'état de prototype sans avenir. Zack Snyder et Warner ont-ils délibérément ouvert une boîte de Pandore ? Un autre hashtag circule déjà sur Twitter : #ReleaseTheSnyderVerse (« Sortez le Snyder verse »), implorant Warner de se repencher sur les options initialement privilégiées par Snyder. On voit cependant mal le studio revenir sur les choix narratifs et esthétiques décidés pour le DC Extended Universe à partir de 2017, à savoir une partition entre des blockbusters hilares et le moins interconnectés possible (Suicide Squad, Aquaman, Shazam, Wonder Woman, Flash en 2022…) et, d'autre part, des films plus sombres et réalistes situés dans des réalités alternatives (Joker et le prochain Batman signé Matt Reeves, avec Robert Pattinson). Mais il est une règle d'or indestructible dans les comics comme en politique : ne jamais dire jamais. Dans la foulée de ce Justice League à la dignité retrouvée, on ajoutera un conseil candide à l'attention des cadres de studios : par pitié à l'avenir, laissez faire les créatifs !

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