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Qu'on admire ou rejette son univers, David Lynch est un créateur majeur, dont chacune des œuvres, qu'elles soient cinématographiques, télévisuelles ou d'une autre nature, touche à l'expérience radicale. Certains n'y comprennent rien, d'autres crient au génie face au surréalisme assumé de ses récits. Toutefois, l'auteur américain peut surprendre. En 1999, il livrait un long-métrage qui désarçonne encore aujourd'hui par sa simplicité, sa dimension grand public, et sa capacité à toucher droit au cœur.
Ce long-métrage, c'est Une histoire vraie. Alliage de sensibilité et de poésie, il a regagné le chemin des salles depuis le 21 février, dans une sublime version restaurée à ne surtout pas rater, avant une prochaine ressortie en vidéo courant avril. Mais comment le maître de l'étrange et du mystère s'est-il retrouvé à réaliser un film à la trame on ne peut plus linéaire et dont, outre-Atlantique, Disney ( !) a assuré la diffusion dans les cinémas ? Flash-back.
Richard Farnsworth, l'âme du film
États-Unis, deuxième moitié des années 1990. David Lynch, qui vient de signer le film Lost Highway (1997), est en couple avec Mary Sweeney, sa monteuse. Un jour, cette dernière, en lisant le New York Times, découvre le portrait d'un homme nommé Alvin Straight, qui, en 1994, à 73 ans, a parcouru des centaines de kilomètres, entre l'Iowa et le Wisconsin, pour se réconcilier avec son frère, en mauvaise santé et avec qui il était fâché depuis dix ans. Jusqu'ici, rien de vraiment original – une histoire de famille comme une autre. Sauf qu'Alvin Straight, également en mauvaise santé et avec une vue défaillante, avait été privé de permis de conduire. Il avait alors décidé d'effectuer malgré tout son trajet sur… sa tondeuse à gazon. Un itinéraire qui ne s'est donc pas fait à vitesse grand V et qui a nécessité une persévérance inouïe.
Mary Sweeney est captivée par le périple d'Alvin Straight, disparu en 1996, et veut l'adapter pour le grand écran. Elle s'attelle à l'écriture avec John Roach. Une fois son scénario bouclé, elle invite son compagnon à le lire. « David Lynch aime que les idées viennent de lui, de son monde, plutôt que d'un tiers, nous confie Ian Nathan, journaliste, auteur en octobre 2023, de l'ouvrage David Lynch, un marginal à Hollywood (éd. Huginn & Muninn). Cependant, Mary Sweeney l’a persuadé de se pencher sur le scénario. Après l’avoir lu, il a tout de suite dit : “Je veux le réaliser.” » Pourquoi ce soudain changement de dogme ? « David Lynch a expliqué qu’il avait été frappé par l’émotion qui émanait de l’histoire, poursuit Ian Nathan. Et lui qui explore tant la psyché américaine, je crois qu’il avait envie, avec Une histoire vraie, de montrer une autre réalité de l'Amérique, douce et bienveillante. »
Pour incarner Alvin, le choix de l'acteur est évidemment crucial. Richard Farnsworth, ancien cascadeur, célèbre pour son second rôle dans Misery de Rob Reiner (1991), s'impose. « David Lynch a su immédiatement qu'il était le personnage. Il appréciait son charisme et l'esprit du cow-boy qu'il incarnait, note Ian Nathan. Et puis Richard Farnsworth avait ces incroyables yeux bleus, ce regard si intense. » Le comédien est alors gravement malade, mais il fait le film et délivre une performance exceptionnelle.
Un tournage « expérimental »
Le tournage a lieu en 1998. Julien Achemchame, maître de conférences en études cinématographiques à l'université Paul-Valéry-Montpellier III, et spécialiste, notamment, de David Lynch, à qui il a consacré deux essais parus en 2010* nous le raconte. « Les prises de vue se déroulent sur cinq semaines, en septembre et octobre, pile à la période où le véritable Alvin Straight avait effectué son voyage. Elles sont programmées dans l'ordre chronologique de l'histoire et dans les mêmes espaces traversés par Alvin. David Lynch estime d'ailleurs que ce tournage est le plus “expérimental” qu'il ait conduit. Il a cherché à se rapprocher le plus possible de la réalité. »
En mai 1999, le film est présenté au Festival de Cannes, où il figure en compétition. Il y reçoit un accueil chaleureux, tout en déstabilisant la critique, qui se demande si elle n'a pas halluciné en voyant le nouveau long-métrage du metteur en scène de Blue Velvet. « Une histoire vraie parle de l'importance de pardonner et de faire la paix avec ceux qu'on aime. Il s'inscrit dans la tradition du cinéma classique hollywoodien, qui fait la part belle aux grands sentiments, développe Julien Achemchame. C'est aussi un film où l'empreinte de Mary Sweeney est forte – elle l'a coécrit, produit et monté. Sans doute parce qu'il n'en est pas à son origine, David Lynch s'est autorisé, avec Une histoire vraie, à aller vers quelque chose de plus solaire, lui qui préfère les ténèbres. Il montre une facette de lui qui croit en la part lumineuse de l'humanité. »
En France, le long-métrage sort le 3 novembre 1999 et enregistre près de 520 000 entrées. Aux États-Unis, la firme aux grandes oreilles se charge de le diffuser dans les salles, pensant détenir une œuvre pouvant attirer un public familial. Malheureusement, les spectateurs ne sont pas au rendez-vous. La balade lynchienne émeut la majorité des critiques, au même titre que la bande originale signée Angelo Badalamenti (rendu célèbre par la BO de la série Twin Peaks), splendide accompagnement de l'odyssée d'Alvin. Richard Farnsworth récolte, quant à lui, en 2000, une nomination à l'oscar du meilleur acteur ainsi qu'aux Golden Globes. La même année, le 6 octobre, le vétéran disparaît, hélas, tragiquement, mettant fin à ses jours par balle dans son ranch du Nouveau-Mexique, pour abréger ses souffrances d'un cancer en phase terminale.
Cette triste fin fait rétrospectivement planer sur le film une ambiance de marche funèbre qui décuple sa puissance, alors qu'il fête en 2024 son 25e anniversaire. Puisant son influence dans le western fordien – David Lynch a d'ailleurs récemment interprété John Ford dans The Fabelmans de Steven Spielberg (2023) –, magnifié par la photo de Freddie Francis (qui a travaillé avec Michael Powell ou John Huston), Une histoire vraie est un pur moment de grâce, avec l'une des plus belles fins qu'on ait vues dans le dernier quart de siècle. Vous n'avez plus qu'une chose à faire : reprendre la route aux côtés d'Alvin.
Une histoire vraie, de David Lynch (1 h 52). En salle depuis le 21 février en version restaurée 4 K. Avec Richard Farnsworth, Sissy Spacek, Harry Dean Stanton. Disponible le 17 avril en édition 4K Ultra HD + Blu-Ray.
* Lost Highway de David Lynch : Errance dans le labyrinthe de la modernité cinématographique et Entre l'œil et la réalité : le lieu du cinéma. Mulholland Drive de David Lynch aux Éditions Publibook Université.
Superbe ce film qui raconte une tres belle histoire, profonde et légère simultanément. J'ai beaucoup aimé.
Vu a l'époque, un film exceptionnel qui me reste en memoire 20 ans plus tard.
À des années lumières des nullités que nous inflige (ou pour ce qui me concerne tente de nous infliger) le cinéma subventionné et surtout ruisselant de bien pensance gauchiste et boboïsante