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« La Grèce est le berceau de la civilisation.
– Mais aussi de la sodomie. »
Il est comme ça, David Simon, capable de ciseler des répliques définitives en une dizaine de mots, mais aussi de construire les arcs narratifs les plus complexes pour des sagas en 50 épisodes. C'est le Mozart du scénario télé, le Balzac de HBO, le génie de la série-vérité, le grand manitou des showrunners (« celui qui fait tout sauf le repassage », selon le bon mot de Tom Fontana). Auteur en colère, engagé, il a signé une poignée de séries exigeantes sur une Amérique en perdition. Des titres ? The Wire (Sur écoute en VF), chef-d'œuvre du polar, doublé d'une radiographie sans fard des institutions (police, syndicats, éducation, médias…), mais aussi Generation Kill, sur une poignée de GI lors de l'invasion irakienne de 1993, Treme, hommage aux musiciens de jazz dans La Nouvelle-Orléans post-Katrina, et aujourd'hui The Deuce (démon, en vieil anglais).
Nous sommes à New York, en 1971, entre la 42e Rue et Times Square. Il pleut. Les rues sentent la pisse, le sperme et le sang. Au loin, des hurlements, des sirènes. Le pouls de la ville. Le quartier est un enfer constellé de peep-shows minables et de clubs de striptease, peuplé de macs beaux parleurs mais virtuoses du rasoir, de prostituées camées, de petits malfrats en quête d'une poignée de dollars. Autour de James Franco dans un double rôle et de Maggie Gyllenhaal, également productrice de la série, une bande de paumés – putes, flics, petits malins, étudiantes, barmen, mafieux, arnaqueurs… – se croise, s'embrouille, s'aime ou s'affronte. À l'affiche des cinémas, Le Conformiste ou L'Oiseau au plumage de cristal vont bientôt disparaître pour laisser la place aux films X. De fait, en 1971, l'État de New York assouplit ses lois sur la pornographie. Une révolution culturelle et industrielle se prépare. Tous les protagonistes de The Deuce vont y être confrontés : certains vont faire fortune, d'autres y laisser des plumes…
On entend du James Brown, un personnage cite Albert Camus, il y a une vingtaine de protagonistes : c'est sûr, on est bien chez David Simon qui revient à son sujet de prédilection : l'avidité, les méfaits du capitalisme qui mettent à sac les USA. L'argent passe de main en main, tout s'achète et tout se vend, le corps est une marchandise, un produit. Comme toujours, David Simon, ancien journaliste au Baltimore Sun, part de la réalité pour nourrir sa fiction. Avec son collaborateur habituel, le romancier George Pelecanos, il est entré en contact avec Vincent Martino, qui possédait plusieurs bars à Times Square à la fin des années 70 avec son frère jumeau, Frankie. Témoins de la naissance de la pornographie, les deux frères servaient de couverture à divers commerces mafieux, dont la prostitution et la drogue. Forts de leurs témoignages et de plusieurs autres, Simon et Pelecanos n'ont pas résisté à décrire ce moment où le cinéma X artisanal, vendu sous le manteau, est devenu un business à un milliard de dollars !
Pour cette œuvre d'une ambition monumentale, David Simon a reformé sa dream team. Le pilote de 12 millions de dollars, absolument renversant, a été réalisé par Michelle MacLaren (Game of Thrones, Breaking Bad). Également derrière la caméra, deux femmes (Uta Briesewitz, Roxann Dawson), mais aussi Ernest Dickerson et deux épisodes signés… James Franco. Sur le plan formel, on pense aux premiers Scorsese (Mean Streets ou Taxi Driver bien sûr) et bien sûr à Boogie Nights de Paul Thomas Anderson, qui évoquait la carrière de John Holmes, star du X particulièrement bien membrée.
La série est interdite aux moins de 16 ans et regorge de scènes de nudité, notamment quelques plans étonnants de sexes en érection. Grâce aux images de synthèse, la reconstitution de la Grosse Pomme est d'une beauté vénéneuse et le spectateur se retrouve propulsé près de 50 ans en arrière, sur le pavé ruisselant de NY, pour une walk on the wild side. Des effets spéciaux néanmoins moins onéreux que le budget perruques et rouflaquettes des acteurs ! Il y a au casting plusieurs comédiens fétiches de David Simon (Anwan Glover, Larry Gilliard Jr, Chris Bauer…) et deux nouveaux venus, James Franco, que l'on a rarement vu aussi bon, et Maggie Gyllenhaal, dont l'intensité irradie chaque plan. Elle est le rayon de lumière de ce diamant noir.
Va-t-on passer, sur une autre chaîne, "la rose de Noël" pour capter un maximum d'audience et capter des velléités coupables ?
L'époque où la censure n'existait pas en France ou presque.
Les temps ont bien changé.
Censure, restitution des libertés individuelle et collective. Tout est là.
Ceci même si le film, par lui-même, n'était pas un monument du cinéma, ni le pire des navets.