Sean Connery : le dernier grand chevalier ?

Après les « Bond », l'acteur écossais a brillé dans plusieurs films médiévaux, tous reliés par un même fil rouge : la transition du Vieux au Nouveau Monde.

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Temps de lecture : 6 min

William Blanc est historien. Il est notamment l'auteur de Winter Is Coming, une brève histoire politique de la fantasy, de Super-Héros, une histoire politique et du Roi Arthur, un mythe contemporain. Il a également participé au « Dictionnaire de la fantasy » dirigé par Anne Besson.

Le monde entier l'a intronisé roi des Bond. Mais à partir des années 1970, Sean Connery s'aventure dans un tout autre royaume : le cinéma médiéval. Ou du moins une certaine catégorie de films du genre : les œuvres filant la thématique de la transition d'un monde à l'autre. Lui-même s'acheminant vers la cinquantaine au fil de cette décennie et arborant une noble barbe poivre et sel, l'acteur va brillamment, dans ce retour vers le passé moyenâgeux, faire muter sa virilité bondienne vers un charisme apaisé, mature, plus fragile, s'acheminant peu à peu vers ces rôles de mentor qui feront de nouveau sa gloire dans les années 1980 et 1990. La longue histoire entre Sean Connery et le Moyen Âge à l'écran commence par La Rose et la Flèche (1976) de l'américain Richard Lester où il incarne, aux côtés d'Audrey Hepburn, un Robin des Bois vieillissant, revenant une dernière fois, après des années de croisade, sur les terres de ses exploits de jeunesse.

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On peut voir, derrière ce film, la transposition d'un western spaghetti dans un décor médiéval. Mais il faut aussi l'analyser à travers le prisme de la guerre du Vietnam. Les États-Unis se sont, tout au long du XXe siècle, pensés comme les chevaliers de la démocratie, et ce d'autant plus que John Kennedy a été comparé au roi Arthur après son assassinat en 1963. La Rose et la Flèche, en dépeignant Robin comme un guerrier usé après des années de conflits, au point même de se rebeller contre Richard Cœur de lion, fait donc surtout écho, un an après la prise de Saïgon par les Vietcongs, aux désillusions provoquées par l'échec de la «  croisade  » (le terme est alors régulièrement employé) anticommuniste en Asie du Sud-Est. Mais, détail frappant, pour incarner cette chevalerie fatiguée, la production de La Rose et la Flèche choisit deux acteurs britanniques. Le premier, Richard Harris, qui avait joué un roi Arthur utopiste, bien en phase avec l'idéalisme des années Kennedy, dans Camelot (1967), incarne ainsi un Richard Cœur de lion blasé, violent, belliciste, qui finit par mourir dans un conflit qu'il a suscité. De son côté, Sean Connery, en portant à l'écran un Robin des Bois désabusé, prend également à contre-pied l'image associée à lui durant les années 1960.

La rose et la flèche de Richard Lester (1976)
 ©  Columbia Pictures
La rose et la flèche de Richard Lester (1976) © Columbia Pictures

La fin des illusions et des empires coloniaux

Né en 1930, à une époque où la Grande-Bretagne possède des colonies partout sur le globe, il incarne à la perfection en pleine guerre froide, à travers le personnage de James Bond, la volonté de l'Empire britannique de s'afficher encore comme l'une des grandes puissances. C'est 007, et pas son collègue de la CIA Felix Leiter, qui est en première ligue contre le Spectre. Mais, dans les années 1970, sous les coups de la décolonisation, l'illusion n'est plus, et Connery symbolise désormais, que se soit dans La Rose et la Flèche, mais aussi dans L'Homme qui voulut être roi (1975) de John Huston, non seulement l'échec de l'interventionnisme américain, mais également le regard critique des Britanniques face à leur propre histoire impériale. Son Robin des Bois ne rêve que de rentrer chez lui, tout comme les Anglais, dont l'horizon désormais, se borne à l'Europe et à leur île. C'est la nostalgie qui prime donc dans La Rose et la Flèche, une nostalgie sans concession où le héros ne laisse rien derrière lui. Cette image très dure, qui convient au cinéma rebelle des années 1970, ne pouvait plaire dans les décennies suivantes pendant lesquelles le 7e art américain renoue avec le film populaire et conservateur, bien en phase avec les années Reagan puis Bush, en reprenant les codes en cours durant les années de l'immédiate après-guerre.

Après 1945, alors que les États-Unis s'affirment comme la grande puissance de l'Ouest au détriment des vieux empires coloniaux, il est ainsi courant dans les films médiévalistes de représenter un jeune héros incarné par un acteur américain accompagné par un mentor joué lui par un comédien britannique prenant bien soin de garder son accent. Cette distribution des rôles porte à l'écran le passage de relais entre la vieille métropole perdant la prééminence qui avait été la sienne du XIXe siècle, et la jeune nation devenue la première puissance mondiale. Elle se retrouve dans nombre de films arthuriens comme Un Yankee à la cour du roi Arthur (1949) avec Bing Crosby ou Prince Valiant (1954) avec Robert Wagner, mais aussi dans La Guerre des étoiles (1977) où le jeune chevalier Luke Skywalker, personnage porté à l'écran par Mark Hamill, acteur né en Californie, se voit confié le destin de la galaxie par un Jedi chenu, Obi-Wan Kenobi, joué par le comédien anglais Alec Guiness. À partir des années 1980, c'est dans ce rôle du vieux mentor britannique que Sean Connery est représenté dans la plupart des films médiévalistes où il apparaît.

Que ce nouveau siècle soit le tien, tout comme celui d’avant a été le mien

S'il tient encore le premier rôle dans Le Nom de la Rose (1986) avec le personnage de Guillaume de Baskerville accompagné par son apprenti, Adso de Melk, joué lui par Christian Slater, il s'efface peu à peu face à des acteurs américains plus jeunes qui occupent désormais le devant de la scène. Dans Indiana Jones et la dernière croisade (1989), il incarne le père du héros (Harrison Ford) qui accomplit la quête du Graal. Pareillement, il fait un bref caméo à la fin de Robin des Bois, prince des voleurs (1991) sous les traits de Richard Cœur de Lion pour bénir l'union entre l'archer de Sherwood et Marianne, tous deux incarnés par des acteurs américains (Kevin Costner et Mary Elizabeth Mastrantonio). Mais ce passage de relais ne saurait être complet sans que le chevalier âgé symbolisant le Vieux Continent ne disparaisse, laissant le jeune héros du Nouveau Monde endosser pleinement son rôle. Cette idée est déjà présente dans Highlander (1986) où le personnage joué par Sean Connery, l'hidalgo Ramírez maniant le katana des samouraïs, prend sous son aile le héros avant de mourir des mains du Kurgan, son ennemi juré.

La ligue des gentlemen extraordinaires de Stephen Norrington (2003)
 ©  20th Century Fox
La ligue des gentlemen extraordinaires de Stephen Norrington (2003) © 20th Century Fox

Dans Lancelot, le premier chevalier (1995) de Jerry Zucker, le comédien écossais incarne un roi Arthur vieillissant qui trépasse en cédant sa place, tant sur son trône que dans le cœur de Guenièvre, a un jeune chevalier surdoué, Lancelot, joué là encore par un acteur Richard Gere né, lui, en Pennsylvanie. Ce long-métrage, réalisé alors que les États-Unis restent, après la fin de la guerre froide, la seule superpuissance du monde, sonne d'ailleurs comme une ode à l'interventionnisme américain tandis qu'au même moment les troupes de Washington s'embourbent en Somalie. Arthur et surtout Lancelot volent ainsi au secours de Guenièvre, souveraine du petit royaume de Lyonesse menacée par les sbires du tyran Méléagant. Un an après le film de Zucker, Sean Connery, dans Cœur de dragon (1996), prête sa voix au dernier des dragons qui redonne espoir à un chevalier blasé, Bowen (incarné par l'acteur américain Dennis Quaid), et l'incite, avant de mourir, à refonder une utopie digne de la Table ronde.

Le thème du passage de relais entre le Vieux Monde et le Nouveau occupe une telle place à la fin de la carrière de Sean Connery qu'on le retrouve dans son ultime long-métrage, La Ligue des gentlemen extraordinaires (2003), où il joue l'aventurier Allan Quatermain à l'aube de l'année 1900. À la fin du film, mourant, celui-ci guide son compagnon, Tom Sawyer (incarné par l'acteur américain Shane West), pour abattre James Moriarty, avant de lui dire, en rendant son dernier souffle «  Que ce nouveau siècle soit le tien, tout comme celui d'avant a été le mien  ». Manière, encore une fois, de mettre en scène la transmission entre l'Angleterre et l'Amérique, mais aussi, pour le comédien écossais, de tirer sa révérence en ce début de XXIe siècle et de laisser la place à une nouvelle génération d'acteurs.

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Commentaires (2)

  • TSLR

    Spécialiste en paradis ficaux... Mais très grand acteur sans aucun doute

  • guy bernard

    Il a fini sa carrière en vieux mentor, mais ça n'en fait pas un chevalier.
    Les Ecossais sont en train de déchanter parce qu'il se fait incinérer et enterrer aux Bahamas, alors qu'ils étaient prêts à lui offrir des obsèques nationales pour son dernier retour au pays.