Pourquoi les versions 4K UHD de « Aliens », « Abyss » et « True Lies » font hurler les fans au scandale ?

Attendues de longue date, les éditions en Ultra Haute Définition de ces trois classiques de James Cameron suscitent la colère de certains fidèles. « Le Point Pop » a mené l’enquête.

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Aliens (1986)
Aliens (1986) © © 2024 – 20th Century Studios.

Temps de lecture : 10 min

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James Cameron, roi de l'année 2024 ? Une grande exposition dédiée au cinéaste, L'art de James Cameron, a ouvert ses portes en sa présence à Paris à la Cinémathèque française depuis le 4 avril et se poursuivra jusqu'au 5 janvier 2025. Réunissant plus de 300 œuvres originales (croquis, dessins préparatoires, peintures, concept arts, photos, costumes), elle est accompagnée d'une rétrospective de l'intégrale de ses films qui s'achèvera le 26 mai prochain. L'autre événement qui couronne cette année la carrière du réalisateur, c'est la sortie, après une période d'attente interminable, de trois de ses longs-métrages clés en 4K Ultra HD, ce 24 avril : Abyss, Aliens et True Lies.

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En effet, depuis 2001, Abyss (1989) et True Lies (1994) n'étaient disponibles qu'en DVD dans une faible résolution de 720 × 576 pixels (Abyss était même encodé en format carré 4/3 au lieu du rectangulaire 16/9). Lorsque Sony a breveté et commercialisé le disque Blu-ray en 2006, tous les cinéphiles de la planète rêvaient d'un transfert d'Abyss et de True Lies en HD intégrale pour leur home cinema. C'est-à-dire avec des images plus nettes et plus définies qu'un vieux master SD. Et surtout une meilleure résolution de 1920 x 1080 pixels.

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Les fans hurlent au scandale

Mais ces deux titres jouaient les Arlésiennes et, au final, l'attente aura duré dix-huit ans ! Et pour la première fois aujourd'hui, les deux films sortent enfin en Blu-ray… mais aussi en 4K Ultra HD, avec une définition de 3840 x 2160 pixels. Soit une qualité d'image à peu près neuf fois supérieure aux DVD sortis il y a vingt-trois ans !

Aliens, le retour (1986) est édité aussi pour la première fois en 4K, après la parution d'un beau Blu-ray en 2010. Hélas, depuis quelques mois, une rumeur en provenance des États-Unis circule sur les forums et les réseaux sociaux de manière persistante. Des communautés de fans hurlent au scandale car, selon eux, ces éditions sont techniquement décevantes, voire complètement ratées. Les puristes reprochent à ces éditions d'avoir dénaturé l'image de ces classiques du cinéma, en faisant appel à des algorithmes et à l'intelligence artificielle pour leur lifting numérique. Alors, sabotage ou pas ? Comment une restauration – a priori – entièrement supervisée par un perfectionniste comme Cameron pourrait-elle décevoir ? On ne voulait pas y croire. Alors on a vérifié.

James Cameron, l’homme à la pointe de la technologie, utilise en fait pour ces trois films de vieux masters avec une couche de vernis numériqueDavid Fakrikian

Auteur d'un ouvrage de référence sur le réalisateur (James Cameron, l'odyssée d'un cinéaste, paru chez Huginn & Muninn), fondateur et rédacteur en chef du magazine DVDvision, le journaliste David Fakrikian est aussi un grand spécialiste du marché vidéo. Interrogé sur les « nouveaux » masters de ces films, il précise d'emblée que « ces copies sont en réalité tirées de scans d'il y a au moins dix ou quatorze ans ! En effet, les négatifs 35 mm de ces films avait été scannée en 2010 pour Aliens. En 2012, pour Titanic. Et en 2014, pour Abyss et True Lies. Cameron, l'homme à la pointe de la technologie, utilise en fait pour ces trois films de vieux masters avec une couche de vernis numérique. Il n'a pas fait récemment de restauration, mais une revisualisation de ses longs-métrages. C'est-à-dire qu'il leur a donné un aspect plus contemporain, en s'appuyant sur des techniques actuelles. Des logiciels et des outils numériques comme l'IA. Il a retouché digitalement ses films. Notamment pour corriger et améliorer certains effets spéciaux. »

Aliens (1986)
©  © 2024 – 20th Century Studios.
Aliens (1986) © © 2024 – 20th Century Studios.

Visages cireux, froideur métallique

Peut-on parler ici de révisionnisme ? Non, rétorque notre interlocuteur : « James Cameron n'a pas modifié le montage de ses films, contrairement à George Lucas avec sa saga Star Wars. Il n'a pas ajouté de créatures en images de synthèse. » Si le cinéaste roi du monde les a « simplement » ripolinées en surface, pourquoi avons-nous donc attendu si longtemps pour découvrir les copies en 4K d'Aliens, Abyss et True Lies  ? « Parce que Cameron est très occupé », répond en souriant David Fakrikian. « Il est focalisé sur ce qu'il fait aujourd'hui. Il travaille à son rythme. Et donc sa priorité n'est plus ces films tournés entre 1986 et 1994. Mais le futur du cinéma, à savoir Avatar. Lui-même rejetait la faute sur le studio depuis des années. Il disait à la 20th Century Fox : « Il me faut des semaines pour valider les 4K d'Aliens, Abyss et True Lies et je n'ai pas ce temps. » Mais en coulisses, quelqu'un a dû lui dire qu'il serait peut-être temps de sortir ces films en vidéo ! D'habitude, Cameron est un control freak. Mais on ne connaît pas son degré d'implication dans cette affaire. Il ne s'est pas exprimé sur la question. Il a juste approuvé ces versions 4K. »

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L'autre grande controverse qui entoure ces éditions concerne la granularité des films. On le sait, plus un film tourné en pellicule contient du grain, plus il y a de détails et de piqué dans l'image. Or, dans ces éditions, on cherche en vain le grain cinéma d'origine, son aspect rugueux. En effet, les images présentent peu d'aspérités, tandis que le rendu des visages manque parfois de naturel. Dans certains plans, on se croirait même au musée Grévin : les acteurs semblent porter un masque de cire, tellement les visages ont été lissés. Ce qui donne un aspect artificiel au teint et à la texture de la peau, à la carnation. Mais aussi à la chevelure de certains comédiens.

Bref, l'origine argentique des films a été remplacée par une froideur métallique de l'image (c'est flagrant sur True Lies). Avec ces bidouillages, Cameron tenterait-il de séduire la jeune génération de spectateurs qui n'aime pas le grain de la pellicule ? David Fakrikian explique : « Oui, clairement, les films sont dégrainés. Pour Aliens, par exemple, on est loin du rendu en 4K d'Alien (1979) de Ridley Scott, qui est absolument fantastique avec un traitement très cinéma, très net. A priori, Cameron et son équipe ont forcé sur le DNR [le Digital Noise Reduction] et ils ont lissé l'image. Cette fonction est destinée à réduire le bruit numérique**. En contrepartie, la netteté globale des contours de l'image s'amenuise : un choix assez clivant. Aliens, Abyss, True Lies et Titanic ont d'ailleurs été remastérisés par une société de postproduction néo-zélandaise, Park Road Post, appartenant à Peter Jackson. »

<em>True Lies (1994)</em>
©  © 2024 – 20th Century Studios.
True Lies (1994) © © 2024 – 20th Century Studios.

Pas de catastrophe pour Abyss et Aliens

Pour y voir plus clair (dans tous les sens du terme), Le Point Pop a tenu à vérifier sur pièce. Nous avons visionné les films concernés sur un grand téléviseur Panasonic : une dalle 4K de technologie OLED en Dolby Vision, accompagnée d'un ampli Denon qui décode le Dolby Atmos et d'un système 7.1.2 d'enceintes Focal. Commençons par une bonne nouvelle : on est loin de la catastrophe annoncée ! Et le disque d'Abyss est clairement celui qui s'en sort le mieux. Le plus abouti techniquement. C'est simple, on n'a jamais vu le film comme ça ! Il y a un écart… abyssal entre l'image du vieux DVD de 2001 et celle du 4K Ultra HD flambant neuf de 2024. La plus-value est incroyable et cette copie offre parfois des niveaux de détail vraiment bluffants.

A priori, Cameron et son équipe ont utilisé le « edge enhancement » (logiciel utilisé pour renforcer les contrastes et la netteté de l'image, contrairement au DNR qui l'adoucit) : qu'il s'agisse des coursives et des structures métalliques de la plateforme de forage sous-marine Deep Core ou bien des poils de la moustache de Michael Biehn ou de ses gouttes de transpiration, le résultat est spectaculaire de précision. Le procédé HDR10 sublime quant à lui les couleurs (ce bleu cyan de l'océan !), les noirs sont très denses et la tenue générale de l'image est excellente.

« Iron Jim » peut être fier : son 2001 : l'Odyssée de l'espace sous les mers, son Rencontres du troisième type subaquatique semble renaître sous nos yeux. Ce film de SF – qui est avant tout une magnifique histoire d'amour entre les personnages campés par Ed Harris et Mary Elizabeth Mastrantonio – est présenté ici dans sa version cinéma de 2 h 20 ou son Édition spéciale de 2 h 51. Côté bonus, on découvre une interview récente du réalisateur d'une durée de 32 minutes et de nombreux suppléments passionnants.

<em>Abyss (1988)</em>
©  © 2024 – 20th Century Studios.
Abyss (1988) © © 2024 – 20th Century Studios.

Sorti en salle il y a déjà trente-huit ans, Aliens, le retour bénéficie également d'une édition plus qu'honorable en 4K. Les images sont affûtées. Même si, dans certains plans, on a lissé les visages. Mais rien de bien méchant. Le film est présenté, au choix, dans ses deux montages : la version de 2 h 17 sortie en 1986 au cinéma. Et l'Édition spéciale de 1990, d'une durée de 2 h 35. Cette version, plus longue de dix-huit minutes, offre une séquence inédite importante : celle où le personnage d'Ellen Ripley (Sigourney Weaver) apprend, après une longue période d'hyper-sommeil, que sa fille Amanda est morte pendant qu'elle dérivait dans l'espace durant 57 ans à bord d'une navette du Nostromo !

Cette version longue du film reste toutefois moins nerveuse que celle sortie en salle, dont le montage nous semble plus efficace et resserré. Dans les bonus, on trouve notamment une interview inédite de Cameron sur ses sources d'inspiration visuelle (31 minutes). Mais pour en savoir plus sur ce chef-d'œuvre, il faudra se ruer sur le documentaire Aliens Expanded qui sortira le 5 mai prochain en Blu-ray aux États-Unis.

True Lies : un cauchemar algorithmique

Reste l'édition problématique de True Lies. Clairement la pire des trois. La copie du film est trop lumineuse : les blancs sont souvent brûlés et, surtout, l'ensemble n'est pas homogène. On oscille entre des plans trop détaillés (la société Park Road a visiblement ajouté du grain factice à l'image) ou des visages cireux devenus inexpressifs à force d'abus de DNR. Certains personnages semblent même avoir des yeux de poissons morts, tellement l'image a été trafiquée.

De manière très ironique, James Cameron, le réalisateur qui dénonçait l'IA dès 1984 avec Terminator, est aujourd'hui l'esclave d'une intelligence (très) artificielle qui dégrade ses films. On comprend la colère des puristes. Mais cela ne changera rien. Le cinéaste s'est converti au tout numérique. Avec la haute définition, on voit aussi davantage les trucages du film ou le cascadeur employé en tant que doublure d'Arnold Schwarzenegger dans les séquences d'action. On retrouve d'ailleurs dans un bonus du disque Schwarzie et Jamie Lee Curtis qui relatent pendant 43 minutes de savoureuses anecdotes sur le tournage.

Bilan final mitigé

Le point positif de ces éditions 4K ? La partie audio. Les trois films ont été remixés en Dolby Atmos compatible 7.1 Dolby TrueHD (en tout cas pour les versions originales). Les effets sonores sont incroyables (le finale de True Lies à bord d'un avion de chasse à atterrissage vertical, le Harrier, provoque l'activité du caisson de basse et un déchaînement surround vraiment impressionnant sur les enceintes). Le mixage multicanal est très immersif (à l'exemple de la grue qui se décroche ou du son des vagues et de la tempête, avec des vents violents, de Abyss). En revanche, les menus statiques des disques UHD et Blu-ray sont d'une platitude absolue. Surtout quand on se souvient de l'inventivité des menus animés en 3D, conçus il y a des années par Van Ling dans les précédentes éditions DVD et Blu-ray. Dommage.

En conclusion, le bilan de ces sorties 4K est mitigé. Si Abyss est une vraie réussite et Aliens une édition plutôt satisfaisante, le traitement de l'image pour True Lies est totalement raté. En attendant, ces films ont le mérite d'exister dans ce format. Honnêtement, il y a pire investissement. De plus, revoir ces longs-métrages dans de bonnes conditions nous permettra de patienter jusqu'au prochain Cameron. À savoir le troisième volet d'Avatar qui sortira – si tout se passe bien – le 17 décembre 2025.

*Un scan désigne la technique qui permet de convertir un film de cinéma tourné sur pellicule argentique en source vidéo.

**On appelle bruit numérique ou bruit vidéo toute fluctuation parasite ou tout fourmillement que subit l'image sur certaines parties de l'écran. Les éditeurs vidéo ont tendance à supprimer le problème en apposant un coup de pinceau numérique visant à atténuer ce bruit et qui lisse au passage l'image.

« Aliens, le retour », « Abyss » et « True Lies » seront disponibles à partir du 24 avril dans des coffrets comprenant un disque 4K Ultra HD et deux disques Blu-ray (un seul pour True Lies). Également disponible depuis janvier, l'édition de « Titanic » avec un disque 4K Ultra HD et deux disques Blu-ray, dont un de bonus. 20th Century Studios. 29,99 € chaque coffret.

Prévu pour l'été 2024, le prochain numéro de DVDvision  sera consacré entièrement à l'histoire des films de James Cameron en home video. 

James Cameron, l'odyssée d'un cinéaste de David Fakrikian est paru chez Huginn & Muninn, collection Fantask. 344 pages. 25 €.

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