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Malgré une année compliquée pour le secteur musical liée à la quasi-absence de concerts, devenus la principale source de revenus des artistes, ces six chanteurs ont réussi à sortir leur premier album et à conquérir la France (voire le monde). Chapeau bas.
La validation d'Hatik
Il était bouleversant en rappeur des cités devenu une star après un freestyle réussi sur Skyrock dans Validé,la série de Franck Gastambide sur le milieu du hip-hop en France, diffusée sur Canal+ en mars, et dans laquelle il tenait le premier rôle. Depuis, la fiction a rejoint la réalité pour Clément Penhoat, alias Hatik, rappeur-acteur des Yvelines de 28 ans. Ses freestyles posés sur des beats de Médeline sur la vie quotidienne dans les quartiers ont été réédités et son premier album, Chaise pliante, sacré disque de platine en août. Vous avez certainement entendu « Angela » et « La Meilleure », les tubes de l'été. Il n'est qu'au début de son ascension, mais on lui souhaite un meilleur sort que celui d'Apash dans Validé…
Chaise pliante (Low Wood)
Le braquage de Lous and The Yakuza
À 24 ans, cette longue fille mince, regard de braise et visage peint de traits noirs, est la relève de la chanson française. L'autrice-compositrice-interprète-mannequin belgo-congolaise a séduit l'Europe et les États-Unis (jusqu'au sélectif plateau de Jimmy Fallon) grâce à ses chansons pop, variété, hip-hop et RnB sincères et efficaces et sa voix claire, jeune et candide. Fille de médecins née au Congo, Marie-Pierra Kakoma alias Lous and The Yakuza (prononcez luz comme lumière en espagnol) a vécu au Rwanda et a étudié la philosophie en Belgique. Elle lit Platon tous les jours, écoute aussi bien du classique en faisant des versions de latin à la maison (sa passion) et du rap. Elle s'est ensuite retrouvée à la rue pendant des mois, mise à la porte par sa famille, peu de temps après avoir été violée. Une histoire sordide dévoilée dans son premier album, Gore, réalisé par El Guincho, le producteur de Rosalía (la nouvelle star du flamenco), sorti en octobre. Avec ses tubes, « Amigo », « Dilemme », « Tout est gore », il donne un sentiment de résilience et de joie. Chez cette icône de mode, le look et les perruques de Lous changent tous les jours, comme son humeur. D'une saisissante beauté, elle a défilé pour Chloé et est devenue l'égérie de Louis Vuitton. Un succès bien mérité.
Gore (Columbia/Sony).
L'aplomb de Megan Thee Stallion
Fini de jouer les poupées jugées sur la qualité de leur fessier dans des clips misogynes. Megan Thee Stallion fait partie de cette nouvelle génération de rappeuses qui, dans la continuité de Missy Elliott, revendique sa sexualité et sa réussite, écrasant de sa puissance de pur-sang (surnommée stallion pour étalon) ses homologues masculins machos. Le flow de cette fille de rappeuse, instruite (elle fait des études d'administration en santé publique) et engagée pour la défense de l'environnement, est implacable, on le compare à celui d'une mitraillette. Sans filtre (ni silencieux), ignorant la tendance de l'autotune, la Houstonienne de 25 ans tue ses adversaires de sa langue nue, féroce et crue à coups de rimes aussi acérées que ses faux ongles. Elle est aussi la première femme à avoir signé un contrat avec 300 Entertainment, la maison de disques de Young Thug et Migos. Avec un aplomb formidable, elle débite des paroles franchement obscènes, sa marque de fabrique, dans lesquelles elle réduit les hommes au rang d'objets sexuels dispensables, dont l'existence ne se résume qu'à une fonction : assouvir ses fantasmes. Dans son duo avec Cardi B, « WAP »(pour wet ass pussy ), elle célèbre la lubrification vaginale et renverse les stéréotypes du genre en revendiquant une libération des femmes à travers le plaisir, à la manière des féministes pro-sexe. L'Amérique puritaine est choquée mais le tube remporte le prix de la meilleure chanson rap de l'année aux American Music Awards. Son premier album, jouissif, est nominé aux prochains Grammy Awards (dans la catégorie meilleur nouvel artiste), dont la cérémonie se tiendra le 31 janvier prochain. Savez-vous twerker ?
Good News (300 Entertainment)
Joy Sad, rap des champs
Chérubin du rap avec ses boucles brunes et son doux regard vert, Nathan Fernandez sort à peine de l'adolescence. En témoigne la fine moustache qui surplombe ses lèvres charnues retroussées en un sourire, mais il enchaîne déjà les rimes avec adresse : il est tombé dans le hip-hop quand il était petit. À 8 ans, il accompagne son beau-père au concert d'IAM. À 11 ans, il écrit des poésies qu'il rappe sur des productions d'Akhenaton. « Appelle-moi Joy Sad petit rappeur bipolaire », déclame-t-il. Son blaze,digne de Janus, est venu de là. Aujourd'hui, à 19 ans, Joy Sad est une des nouvelles stars du rap français. Son itinéraire est balzacien. Originaire de Périgueux, une commune de moins de 30 000 habitants du sud-ouest de la France, Joy Sad avait peu de chances de percer dans le rap. À 19 ans, ce Périgourdin décentralise la musique urbaine grâce à ses freestyles choc sur la vie en province. Comme tous les jeunes du coin, il traîne alors son ennui au city stade et se met en scène dans sa ville, son centre historique, sa rue principale pavée aux boutiques, ses pavillons, avec ses copains, dans les coulisses ses premiers concerts… Il nous fait penser à Orelsan (le rappeur de Caen) qui se serait remis au vert.
Coup d'avance (Because)
Hervé l'énervé
C'est le nouveau poulain d'Initial, le label qui a façonné (avec parfois beaucoup d'autorité) Eddy de Pretto, Clara Luciani, Angèle… À 27 ans, celui qui se rêvait footballeur et a connu un petit succès outre-Manche avec son groupe électro-pop Postaal, a trouvé de fervents supporteurs en sortant son premier EP baptisé Mélancolie F.C. (pour football club). Si Hervé le Sourd avait déjà prouvé ses talents d'écriture en coécrivant trois des meilleurs titres de l'album posthume de Johnny Hallyday (« Je ne suis qu'un homme », Pardonne-moi », « Un enfant du siècle ») et le génial tube des Shoes « Give It Away », cette fois, en perdant son inopportun nom de famille, il nous bouleverse carrément avec une plume plantée dans son cœur battant à un rythme irrésistiblement entraînant. Les mots rappellent Bashung, le beat The Blaze. Dans ses concerts ultravisuels (Hervé joue souvent seul avec un éclairage spectaculaire), ce beau gosse à tête rasée dévoile une énergie hypercommunicative.
Hyper (Initial).
Bonnie Banane fait flamber le RnB français
Sa mission ? Faire groover la France. Depuis qu'elle a sorti ses « Muscles » (son premier single en 2012), Bonnie Banane donne la banane au RnB français avec ses chansons drôles et sensuelles. Enfant, elle a été bercée par la funk et la musique afro-américaine écoutée par ses parents à Saint-Tropez, où elle a grandi, ainsi que par les sons hip-hop pointus dénichés sur le site musical Okay Player. À Paris, où elle s'est installée pour étudier le cinéma (formée au Conservatoire d'art dramatique, elle a joué dans la série Mortel et dans L'Apollonide et Saint Laurent de Bertrand Bonello), elle compose des mélodies entêtantes et écrit des textes courts, percutants, faisant attention à ne conserver que l'essentiel. Elle inspecte de sa voix grave et traînante les zones grises du consentement, de la drague lourde, du genre, du machisme. Elle allume même la planète, dans une sensuelle opération de séduction terrestre. Chaud banane !
Sexy Planet (Péché Mignon / Grand Musique Management)
Et vive la culture française sauvée par tous ces jeunes chanteurs !