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Avertissement : l'auteur de ces lignes a bel et bien vu Nicky Larson – City Hunter : Angel Dust, de Kazuyoshi Takeuchi et Kenji Kodama (en salle depuis hier), sans avoir lu la moindre page du manga. Ni même vu un seul épisode de la série animée dérivée, découverte en France dans une VF devenue culte, par les jeunes téléspectateurs du cultissime Club Dorothée entre 1990 et 1995 sur TF1. En clair : votre serviteur s'est confronté au mythe l'esprit candide et sans filtre, tel un samouraï sans sabre ni armure. Et il a trouvé le résultat plutôt brouillon, souvent débile, mais aussi amusant et distrayant.
Dans ce curieux film de japanimation situé quelque part entre la grosse pochade grivoise et le ténébreux thriller d'action, nous suivons à Tokyo l'enquête du détective privé à la super force Ryō Saeba (alias Nicky Larson en VF), flanqué de sa partenaire en mode « je t'aime moi non plus » Laura et de ses amis restaurateurs, Mammouth et Hélène. Une belle inconnue se sentant menacée, nommée Angie, sollicite l'aide de Nicky… Elle est en fait impliquée dans une machination visant à éliminer Larson et dont l'organisation – ourdie par le redoutable Pégase Rouge – est en lien direct avec un passé des plus obscurs.
Nicky Larson – City Hunter : Angel Dust, entre grivoiserie et tragédie
En 1 h 30 et des poussières, on n'a pas trop le temps de s'ennuyer. Conformément à la série d'animation, les gags à la Tex Avery criblent moult scènes où Laura terrasse à gros coups de maillet géant les ardeurs d'un Nicky Larson qui, en plus de ses qualités héroïques, pullule de pulsions érotiques. Un pur obsédé sexuel, fétichiste des formes callipyges et autres dessous affriolants, les yeux et le reste braqués vers Angie, mais sans jamais parvenir à conclure – une sorte de Jean-Claude Duce du Soleil-Levant. En mieux taillé, certes.
Le gentil pervers à la veste bleu acier et au tee-shirt rouge passe la moitié du film à essayer d'épier sa nouvelle cliente sous la douche ou lui coller la main au panier, tentatives toutes sabordées par les hilarants gnons d'une Laura très peu accommodante. À mesure que l'enquête progresse et que les intentions réelles d'Angie sont révélées, le récit bascule alors dans un ton plus sérieux où fusillades et bastons reprennent leurs droits, jusqu'à un dénouement flirtant avec le tragique. Étonnante schizophrénie !
Le distributeur tricolore du film ayant appelé à la rescousse les voix françaises de la série popularisée dans le Club Dorothée, les amateurs de la première heure seront aux anges, d'autant que d'autres visages familiers des années 1990 passent une tête dans l'intrigue, ainsi le sexy trio féminin des Cat's Eyes et même le cambrioleur Lupin, le temps d'une scène. Le fan service joue à plein, comme ce fut le cas dans l'autre adaptation de la franchise – en chair et en os, cette fois – que notre Philippe Lacheau national avait fignolée en 2018, intitulée Nicky Larson et le parfum de Cupidon. Elle-même avait été précédée, en 1993, par la comédie d'action hongkongaise bien ridicule, Niki Larson en VF, signée Wong Jin et avec Jackie Chan dans le rôle-titre.
Dans le manga, Ryō Saeba/Nicky Larson est certes un coureur de jupons mais c’est aussi un homme profondément blessé par son passéChristophe Lenain, podcasteur et créateur de la librairie spécialisée Hayaku Shop
Ces itérations burlesques de la BD d'origine sont pourtant loin de réjouir les plus anciens lecteurs, qui rappellent que le nom et le ton Nicky Larson sont une fabrication typiquement française, au temps où le distributeur AB s'était livré à une édulcoration en règle de la série tirée du manga de Tsukasa Hōjō, lequel fut créé en 1985 dans les pages du magazine Weekly Shōnen Jump.
Christophe Lenain, 50 ans, créateur-gérant de la librairie spécialisée Hayaku Shop à Paris et animateur de l'émission mensuelle Web MangaCast sous le pseudonyme de Kobito, rappelle qu'au Japon, le nom initial de la licence est « City Hunter » (rebaptisée Nicky Larson dans le Club Dorothée, donc) et que le héros Ryō Saeba ne se limite pas à un satyre bas du front. Y compris dans la série animée.
« Dans le montage nippon de la série, les scènes d'action et la gaudriole étaient bien mieux équilibrées. Certes, Ryō Saeba était un coureur de jupons, mais il usait délibérément de son attitude de clown pour détendre les clientes qui venaient toujours le voir pour des raisons dramatiques. Et lui-même était un homme profondément blessé par son passé. La bouffonnerie avait un sens », explique notre libraire. Plus violente, plus sexy, plus sombre, diffusée au Japon dans une case adulte à 22 h 30, la série City Hunter s'est vue reliftée en France pour le jeune public de l'après-midi, fidèle du Club Dorothée.
« L'importateur français AB, qui avait acheté à l'époque en vrac des animés japonais sans comprendre qu'ils s'adressaient aux adultes, comme Ken le survivant, a très rapidement coupé les scènes les plus hard de City Hunter pour le Club Dorothée », poursuit Christophe Lenain. Le doublage a suivi, avec une seule et même voix française pour les méchants et des intonations caricaturales qui ont « débilisé le programme » selon notre interlocuteur. Depuis les années 1990, le grand public français se méprend donc sur la nature de City Hunter et, via sa VF Nicky Larson, perçoit l'épopée de Ryō Saeba comme une grosse farce ponctuée d'intrigues de polar alors qu'il s'agit plutôt de l'inverse.
850 000 exemplaires écoulés en France
Ce n'est pas le film Nicky Larson – City Hunter : Angel Dust qui leur donnera tort puisque, au grand désespoir de Christophe Lenain, ce nouveau film file plutôt le (mauvais) coton du burlesque polisson – mais lissé pour les plus jeunes. « Les scénaristes ont repris certes pas mal de choses du manga, y compris la révélation des origines de Ryō Saeba et son lien torturé avec son père adoptif. Mais le fameux “Angel Dust” du film était, dans la BD, une vraie drogue, du PCP trafiqué, source des pouvoirs de Saeba. Dans le script, cet élément du manga est remplacé par une nanotechnologie, plus acceptable pour une distribution à l'étranger », décrypte Lenain.
« Mais surtout, le curseur est beaucoup trop mis sur l'humour gras », poursuit-il. « On se tape pratiquement une heure de gags et de rigolade avant de basculer dans de l'action non-stop incompréhensible. On dirait que les scénaristes ont fait un mix entre la série animée japonaise, son adaptation française et le film de Lacheau ! Et une fois encore, on passe à côté de l'essence du héros : Ryō Saeba adore les femmes, c'est vrai, mais c'est un tueur à gages sérieux, avec un passé très sombre. Là, le film est très mal équilibré entre la bouffonnerie et la tragédie. Et qui plus est, on dirait un dépliant touristique pour le quartier de Shinjuku à Tokyo. » N'en jetez plus !
Licence toujours très prisée en France – où plus de 850 000 exemplaires de City Hunter se seraient écoulés à ce jour, selon son éditeur Panini Manga –, Nicky Larson attend donc encore sa véritable renaissance à l'écran dans une vision plus conforme à l'œuvre de Tsukasa Hōjō. Mais le public français nostalgique du Club Dorothée a-t-il vraiment envie de retrouver cet univers sans ses gags salaces aussi gros que le colt Python 357 de son héros ? En l'état, nous, on a plutôt bien rigolé. Mais un City Hunter plus hard boiled et moins délibérément idiot, on ne dit pas non !
Nicky Larson – City Hunter : Angel Dust de Kazuyoshi Takeuchi, Kenji Kodama (1 h 34). Avec les voix de Vincent Ropion, Akira Kamiya, Anne Rondeleux. En salle.