« Moonfall » : une nouvelle catastrophe signée Roland Emmerich à éviter de toute urgence

CRITIQUE. Le réalisateur d'« Independance Day » organise ici un rendez-vous apocalyptique entre la Terre et la Lune… et désastreux à plus d’un titre. À voir (ou pas) sur TF1.

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Halle berry, Luke Wilson et John Bradley.
Halle berry, Luke Wilson et John Bradley. © Metropolitan Film Export

Temps de lecture : 7 min

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Independance Day, Godzilla, Le Jour d'après, 2012… Depuis plus de 25 ans, Roland Emmerich est toujours prêt à décrocher la lune pour mieux ravager la Terre. Mais avec son nouveau film, notre saint patron de l'apocalypse a vraiment pris son obsessionnelle mission au pied de la lettre. Malheureusement pour lui (et pour nous), le grand mamamouchi hollywoodien des cataclysmes, l'empereur des lendemains de ruines, le Napoléon de la destruction trébuche cette fois sur un cratère trop grand pour lui. Moonfall débarque ce soir et le moins que l'on puisse dire, c'est que la première chaîne n'a pas décroché la lune pour vous.

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Moonfall, c'est du lourd et du gros : dans cette coproduction américano-chinoise plutôt cheap à moins de 150 millions de dollars, notre satellite naturel a dévié de son orbite et se rapproche inexorablement de la planète bleue, causant un menu fretin de catastrophes (tsunamis, chaos gravitationnel, disparition de l'atmosphère, la routine…) avant l'inévitable destruction globale.

Mais ce n'est pas tout ! Un trio de héros constitué de la patronne de la Nasa Jocinda Fowler (Halle Berry), de l'astronaute déchu Brian Harper (Patrick Wilson) et du podcasteur complotiste et lanceur d'alerte K. C. Houseman (John Bradley, ex Samwell Tarly dans Game of Thrones) découvre que la cause de ce désastre cosmique n'est autre qu'une entité extraterrestre. Nichée au cœur de l'astre – dont on apprend qu'il s'agit en réalité d'une mégastructure artificielle –, l'intelligence maléfique prend la forme d'un énigmatique et meurtrier nuage de nanoparticules noires dont les autorités connaissaient parfaitement l'existence depuis la mission Apollo 11…

Sur les pas de George Lucas, vraiment ?

Rassurez-vous : nous n'avons éventé aucun secret qui ne soit déjà exposé dans les bandes-annonces de ce Moonfall franchement c… comme la lune. Nous vous laissons l'entière surprise du véritable délire à venir : il intervient dans le dernier acte, où Roland Emmerich constelle son récit d'emprunts disparates à 2001, Mission to Mars, Prometheus et le Stargate signé par l'intéressé en 1994. Son ambition, si Moonfall atteint les étoiles au box-office international : tourner une trilogie louchant pour de bon vers le space opera et, à 66 ans, rêvons un peu, marcher sur les pas de George Lucas. Son fantasme ultime. Au vu de son dernier-né, les ambitions ne décollent cependant guère au-delà de la série Z. Que s'est-il passé ?

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Les habitués du cinéma de Roland connaissent la chanson : hormis quelques incursions inattendues dans une verve plus auteurisante mais pas forcément plus brillante – Anonymous (2011), Stonewall (2015)… –, le CV du bulldozer de Stuttgart (sa ville natale) se résume à deux lignes : destructions massives et abyssale crétinerie plus ou moins revendiquée. C'est sa carte de visite, sa tête de gondole, la promesse que le spectateur vient savourer en entrant dans la salle, la main dans le pop-corn.

Contre le respect de ce contrat, on a lui a tout pardonné, à Roland : le coup de poing dans le faciès d'un E.T. bégueule mis KO par Will Smith en plein désert dans Independance Day ; le virus informatique aliénant les aliens via un Apple Macintosh dans le même film ; la Roll's Royce slalomeuse entre les crevasses et les chutes de buildings dans 2012 ; Jean Reno en barbouze frenchy grotesque dans Godzilla…

Des grosses ficelles qui ne trompent plus personne

En 1996, le président Clinton n'avait pas boudé son plaisir maso d'admirer la Maison-Blanche pulvérisée par les extraterrestres dans Independance Day (ID4 pour les intimes), lors d'une projection spéciale à Washington où Emmerich avait été convié. La grande époque. Et lorsqu'en 2004, dans Le Jour d'après, notre général Catastrophe accomplit le rarissime exploit d'allier sa vista spectaculaire à un script décent et lanceur d'alerte sur le dérèglement climatique, le maestro nous a même convaincus que, parfois, sa méthode avait vraiment du bon. La cote d'Emmerich a, certes, vacillé avec de patentes défaites telles que son préhistorique nanar 10 000 en 2008 et, huit ans plus tard, son atroce suite donnée à Independance Day. Peu importe : ses troupes les plus fidèles le suivent envers et contre tout, et surtout contre la garantie d'un grand show.

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Véritable anti-Wim Wenders, expert en flatterie du patriotisme américain (Libération taxa même en son temps ID4 de « choucroute fascistoïde »), le volubile Emmerich n'a cependant rien d'un idéologue. Plutôt un opportuniste malin, cultivé, plagieur sincère des films qu'il aime, répétant à longueur d'interviews son goût dévorant pour l'Armageddon fictionnel sous toutes ses formes. Une pure joie enfantine et régressive l'anime, comparable à celle d'un Michael Bay face aux explosions : « J'ai créé mon propre genre ! » déclarait-il récemment à nos confrères du Journal du dimanche « Je peux imaginer quantité d'hypothèses pour anéantir notre espèce, croyez-moi. La raison pour laquelle je n'arrêterai jamais, je l'ai compris aujourd'hui, car c'est devenu un running gag. Et je n'aurais aucune raison de m'en priver. » Dans Moonfall, hélas, il aurait dû. Et la magie n'opère plus.

Passé un premier quart d'heure plutôt convaincant, avec un prologue singeant totalement mais adroitement Gravity, l'intrigue s'enfonce dans un rythme apathique où les grosses ficelles du petit théâtre emmerichien ne trompent plus personne, encore moins l'ennui. Indécrottable nostalgique des films catastrophe des années 1970, le réalisateur/scénariste ne peut s'empêcher de caviarder sa copie de mélo familial dégoulinant et de caricatures lassantes (le-couple-fâché-ressoudé-dans-l'épreuve, le geek-rondouillard-vivant-seul-chez-maman…), tout en atteignant un point de non-retour dans l'hyper-non sens. Au premier rang de ce dernier : faire du zinzin complotiste campé par John Bradley un expert en astrophysique qui, à lui tout seul, saura mieux calculer que la Nasa (laquelle a collaboré au film !) la trajectoire et le délai de rapprochement de la Lune. Lunaire…

Effets spéciaux bâclés, production chaotique

Emmerich a beau jurer qu'il ricane des illuminés affirmant que notre satellite est une mégastructure d'origine alien (thèse défendue entre autres par le livre Who Built the Moon ?, de Christopher Knight et Alan Butler, à l'origine de l'idée du film), il prend le risque d'entretenir l'ambiguïté en traitant très sérieusement le mystérieux officiel campé par Donald Sutherland. Quant à la métamorphose d'un adepte de nombreuses théories du complot en héros sauveur de la Terre, elle a de quoi nourrir notre scepticisme. S'il n'y avait que cette fâcheuse maladresse…

Au moins une heure se déroule sans que rien ne se passe, et surtout, malgré les aguicheurs atours des bandes-annonces, le film s'avère bien radin en destructions tant attendues. D'une étonnante médiocrité, liée à un budget nettement insuffisant au vu des ambitions d'Emmerich, les effets spéciaux en images de synthèse de Moonfall semblent dater d'un autre âge… Mais ils restent toujours plus convaincants que les prestations sans vie de Halle Berry et Patrick Wilson, cachetonneurs de l'espace sans conviction, perdus dans le maelstrom d'absolue bêtise où le film nous traîne sans surprise, malgré l'empilement d'extravagances. Tel cette navette poussiéreuse sortie d'un musée en mode last minute pour sauver la planète ( !), Moonfall ressemble déjà à une antiquité, une relique du monde d'avant.

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On n'a pour autant pas encore envie de tirer trop tôt sur l'ambulance. Amateur d'art vivant entre Stuttgart, Londres, New York et Los Angeles (où, en 1998, ce fils d'un vendeur de tondeuses à gazon a racheté une villa bordée d'un vaste jardin, ex-propriété d'un associé de Cecil B. DeMille), l'iconoclaste Emmerich a au moins le mérite de continuer à tenter ses contre-propositions dantesques, face au monopole des super-héros et autres franchises. Pour monter financièrement Moonfall, fabriqué sans l'appui d'un grand studio, il a cavalé après les partenaires – de l'indépendant américain Lionsgate à la multinationale chinoise Huayi Brothers en passant par des investisseurs européens. Et afin de caler son budget au chausse-pied, l'artificier entêté a dû consentir à tourner son aventure en 61 jours au lieu de 70 avant de subir en 2020, comme tout le monde, un report de plusieurs mois de son tournage.

En coulisses, certains responsables des effets spéciaux du film – qui contient 1 700 plans en images de synthèse, lesquels ont mobilisé quatre sociétés – ont confié au Point Pop les conditions jugées chaotiques et calamiteuses dans lesquelles ils ont dû travailler. Les finitions à l'évidence bâclées de ces effets à l'écran témoignent du tumulte dans lequel Moonfall a visiblement été produit, mais ceci est une autre histoire. Trois ans après son blockbuster militaire Midway, plutôt atypique dans sa carrière, le général Catastrophe mérite donc bien une rétrogradation au rang de lieutenant pour ces retrouvailles ratées avec ses vieilles lunes. Même le plus cérébral Don't Look Up d'Adam McKay, pourtant raillé par notre ex-général dans une récente interview au site Den of Geek, met à l'amende les poussifs saccages de M. Emmerich quand il s'agit de carboniser la planète. Mais, au nom des plaisirs coupables d'antan signés Roland et de son culot toujours intact au rayon des énormités, on attendra encore un peu pour la cour martiale. Et l'on surveillera de près si, en cas de suite à Moonfall, Roland Emmerich a définitivement quitté notre orbite.

Moonfall, de Roland Emmerich est sorti le 9 février 2022.

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Commentaires (9)

  • alexander18

    En effet "independance day" et "2012" étaient plutôt réussis, mais Moonfall a vraiment un air de déjà vu, avec une fin qui semble empruntée à "Matrix".

  • Tauride

    Cette fable est plaisante à condition de la prendre au second degré, comme un poème. Elle reste plaisante à regarder à condition d’accepter tout l’irréalisme de l’œuvre.

  • justinien10

    "Le jour d’après" est aussi une monumentale idiotie de ce cataclysmique réalisateur. Deux exemples de ces incohérences :
    Un personnage s’étonne, avec raison, que le réchauffement climatique entraîne... Une glaciation, avec le même taux de CO2 censé... Réchauffer le climat !
    Ensuite, alors que d’énormes quantités d’eau sont retenues sous forme de glace en Arctique et Antarctique, le niveau des mers... Monte, et New-York est englouti !
    Deux exemples d’absurdités coutumières chez ce réalisateur.
    Et dans " Moon fall", rappelons que si la Lune explosait, ses débris formeraient un anneau autour de la Terre, et ne tomberaient pas sur elle.