Michael Mann : « Hollywood est en plein chaos ! »

Invité exceptionnel au Max Linder Panorama, le cinéaste de « Heat » et « Collateral » a décrypté sa carrière et la situation critique du cinéma américain.

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Los Angeles, le 3 août 2021 : Michael Mann et son épouse Summer à l'avant-première du film Val, documentaire sur l'acteur Val Kilmer, que Mann a dirigé dans Heat en 1995.
Los Angeles, le 3 août 2021 : Michael Mann et son épouse Summer à l'avant-première du film Val, documentaire sur l'acteur Val Kilmer, que Mann a dirigé dans Heat en 1995. © RICH FURY / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Temps de lecture : 7 min

Jeudi 18 novembre, 17 heures. Cinq personnes poireautent devant le Max Linder, une des plus belles salles de cinéma de Paris, sur les grands boulevards en face du Grand Rex. Deux heures plus tard, ce sont plus de 600 fans qui se pressent sur le trottoir dans le froid et la nuit tombée en attendant la séance de 20 heures pour laquelle ils ont tous accouru. Serait-ce l’avant-première du West Side Story de Steven Spielberg (prévu pour le 8 décembre), ou celle de nouveau Spider-Man ? Non, ce soir, le Max Linder accueille une légende de Hollywood : Michael Mann, 78 ans, roi du polar, immense formaliste, réalisateur de Heat, Collateral, Ali ou encore Miami Vice (l’adaptation au cinéma, en 2006, de la série télé culte qu’il a lui-même contribué à créer). Michael Mann n’est pas à Paris pour présenter un nouveau film, il est simplement venu honorer la sortie récente du livre que le critique et historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret lui a consacré : Michael Mann. Mirages du contemporain (Flammarion). Un essai que le cinéaste a tellement adoré qu’il a proposé à l’auteur de faire lui-même le déplacement à Paris, avec son épouse Summer, pour le soutenir le temps d’un entretien exceptionnel en public. Incroyable démarche.

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Dans la salle archibondée, Claudine Cornillat, patronne du Max Linder, visiblement émue d’accueillir un tel monument du cinéma américain, annonce le programme de la soirée : une master class de Michael Mann, interrogé par Jean-Baptiste Thoret, suivie d’une séance de dédicace du livre pour les 80 premiers arrivés, et la projection du formidable Miami Vice en version director’s cut. Avec, en hors-d’œuvre, un petit montage virtuose qui retrace la carrière de ce géant né en 1943 à Chicago, ex-étudiant en histoire et en sciences politiques à l’université du Wisconsin, passé par la télévision dans les années 1970, avant d’exploser au cinéma dans la décennie 80, avec des thrillers esthétiques virtuoses, tels que Le Solitaire et Le Sixième Sens, et surtout la suivante, avec trois chefs-d’œuvre majeurs, Le Dernier des Mohicans, Heat (mythique polar d’action avec Robert De Niro et Al Pacino) et Révélations.

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Sur la scène du cinéma Max Linder Panorama, à Paris, le jeudi 18 novembre :  Michael Mann répond aux questions de l'historien du cinéma et critique Jean-Baptiste Thoret, auteur de l'ouvrage <em>Michael Mann, mirages du contemporain </em>(Flammarion). Au centre : l'interprète Marguerite Cappelle, qui n'a pas démérité pour ne rien rater des propos du cinéaste !
 ©  Le Point Pop
Sur la scène du cinéma Max Linder Panorama, à Paris, le jeudi 18 novembre :  Michael Mann répond aux questions de l'historien du cinéma et critique Jean-Baptiste Thoret, auteur de l'ouvrage Michael Mann, mirages du contemporain (Flammarion). Au centre : l'interprète Marguerite Cappelle, qui n'a pas démérité pour ne rien rater des propos du cinéaste ! © Le Point Pop

Michael Mann, le peintre de la nuit

Très marqué par la contre-culture des années 1960, Michael Mann a étudié le cinéma à Londres en 1966, puis, en mai 1968, il filme à Paris Dany Cohn-Bendit et Alain Geismar. De retour aux États-Unis, il travaille pour la télé comme scénariste sur Starsky & Hutch, puis crée la série Vega$. Après le téléfilm Comme un homme libre (The Jericho Mile, 1979), c’est bien Le Solitaire qui le révèle aux yeux de la critique, mais c’est avec Le Sixième Sens, adapté du roman de Thomas Harris, premier volet des aventures d’Hannibal le Cannibale, qu’il pose vraiment les bases de son univers stylisé et nocturne, quasi abstrait.

La suite fait partie de la légende : Le Dernier des Mohicans, avec Daniel Day-Lewis ; Heat, l’affrontement du flic Al Pacino avec le cambrioleur Robert De Niro ; Révélations, avec Al Pacino et Russell Crowe ; Ali, incarné par Will Smith ; Collateral, ou l’affrontement d’un chauffeur de taxi (Jamie Foxx) et d’un tueur à gages (Tom Cruise) ; Miami Vice.Deux Flics à Miami ; Public Enemies, avec Johnny Depp dans l’imper du gangster John Dillingern et enfin Hacker, techno-polar où Chris Hemsworth (oui, le Thor des productions Marvel) campe un superflic chargé de coincé un gang de cyberpirates. Des films qui ont griffé la rétine de millions de spectateurs et qui ont changé l’esthétique du septième art, car Mann est le poète des freeways (les autoroutes américaines), des labyrinthes urbains et des néons, le peintre de la nuit. Qu’il filme Jamie Foxx dans son taxi, De Niro qui contemple l’océan ou un avion qui disparaît dans les nuages, Mann – qui tourne parfois avec 12 caméras – transforme la moindre image en tableau de maître et fait naître l’émotion avec des plans larges sur l’horizon ou le ciel, qui infusent une dimension existentielle, voire cosmique. Bref, Mann a l’œil absolu.

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Amour fou pour le Docteur Folamour

Pendant la séance de questions, Jean-Baptiste Thoret va aborder plusieurs œuvres emblématiques du créateur, notamment Heat ou Révélations, parler esthétique, symbolisme, caméra numérique ou marxisme. Ravi d’être là, Mann, costume sombre, chemise verte, répond longuement, avec précision, à la fois drôle et pédagogue. Sur le célèbre plan signature de Michael Mann avec son héros qui scrute l’horizon, comme dans Heat ou Miami Vice, il déclare : « Cela ne signifie rien pour moi », tandis que la salle éclate de rire. « C’est un moment d’introspection que nous avons tous expérimenté. On contemple la mer, on regarde son miroir, c’est ce que je fais. Dans chacun de mes films, ces plans représentent un tournant. Avec ces plans, on ressent la solitude de Colin Farrell ou celle de De Niro, un personnage‘solitaire mais pas seul, qui a programmé cette vie ascétique, très disciplinée, dès la prison. »

Jean-Baptiste Thoret l’interroge sur la célébrissime fusillade de Heat ou sur son parti pris de ne jamais filmer Pacino et De Niro ensemble dans le même plan, sauf à la toute fin, lors de la mort du braqueur joué par De Niro : « Je n’ai eu aucune pression du studio pour les scènes entre les deux acteurs. Ma seule obligation, c’était que je devais livrer un film de deux heures et Heat fait 2 h 45. Quand j’ai montré le film à Terry Semel et Bob Daly, qui étaient à la tête de la Warner à l’époque, ils ont tiré à pile ou face pour savoir lequel des deux me dirait qu’il fallait que je coupe 45 minutes. Puis ils ont visionné le film et ils se sont dit : “Eh bien, nous avons un film de 2 h 45 !” » S’il aime les films de Pabst et Murnau, Mann déclare que c’est le Docteur Folamour de Stanley Kubrick (1964) qui lui a donné envie de passer à la réalisation. « C’est un film brillant, fascinant, j’ai compris qu’il était possible de faire des films ambitieux, à grande échelle, à la fois personnels et grand public. C’est difficile, mais possible ! »

À Hollywood, la tendance est désormais de réserver les salles aux films Marvel.Michael Mann

Michael Mann n’a pas tourné de long-métrage depuis Hacker (2015). Simplement un épisode de la série Tokyo Vice, et il planche aussi sur la minisérie Hue 1968, sur l’offensive du Têt, au Vietnam (que l’on voit brièvement dans Full Metal Jacket de… Stanley Kubrick). Interrogé sur les difficultés rencontrées dans l’exercice de son métier, particulièrement depuis la crise sanitaire, le réalisateur a répondu : « À Hollywood, c’est le chaos ! On ne sait pas si le cinéma va se remettre du Covid, nous sommes dans l’incertitude la plus totale. La tendance aujourd’hui est de mettre les films à contenu, avec une très belle écriture, en streaming, et de garder les Marvel pour la salle. Quand je préparais Révélations [1999, NDR], je suis allé voir un producteur de Disney [Révélations a été distribué en 1999 par la société Touchstone Pictures, à l’époque filiale adulte des studios Disney, NDLR]. Il m’a demandé combien le film allait coûter, j’ai répondu : “Très cher.” Il m’a demandé s’il allait rapporter de l’argent, je lui ai dit : “Pas du tout.” Il m’a dit : “Super, on le fait !” Toute cette époque, c’est bel et bien terminé ! »

Visiblement ému, écouté religieusement par un public conquis et qui applaudira à tout rompre en fin d’entretien, Michael Mann présente enfin Miami Vice après une longue séance de dédicace. Il s’agit d’un montage plus long que celui sorti en 2006 : les spectateurs vont découvrir sa version Director’s Cut, avec quelques séquences en plus, dont la spectaculaire course de bateaux en ouverture. Sur l’écran géant du Max Linder, le film – hypnotique, hallucinatoire – déploie ses ailes. C’est une œuvre cotonneuse comme un rêve : les hors-bord s’envolent, les moteurs vrombissent, des corps frémissent sous la douche ou s’aimantent en rythme sur de la musique cubaine. Un trip… Le film s’achève. Michael Mann a disparu dans la nuit électrique, il est temps de revenir sur terre après cette soirée exceptionnelle.

Michael Mann, Mirages du contemporain (éditions Flammarion)

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Commentaires (4)

  • bilou11

    Le meilleur filme de M Mann, c'est Police Federale, LA, avec la musique de Wang Chung, extra, toute ma jeunesse estudiantine !

  • lepouvoir

    Merci !

  • nanard 38

    Une richesse est arrivée
    et elle a mis le bazar comme partout