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« C'est un mélodrame dont je suis très fier. Audacieux, provocant, notamment sur les relations amoureuses… Une sorte de mélodrame d'horreur ! » Ainsi Todd Haynes nous parlait-il de May December, au printemps dernier alors que le Centre Georges-Pompidou lui consacrait une rétrospective. Le film s'inspire d'un fait divers célèbre de la fin des années 1990 : l'histoire de Mary Kay Letourneau, une enseignante de l'État de Washington, condamnée à plusieurs années de prison pour avoir, à l'âge de 34 ans, eu des relations sexuelles avec un de ses très jeunes élèves. Une fois libérée, la prof, qui a donné naissance à deux filles en prison, et le garçon – devenu majeur – se sont mariés.
Quand May December commence, Gracie (Julianne Moore) est depuis longtemps l'épouse de Joe (Charles Melton), qu'elle a rencontré quand il avait 13 ans, alors qu'il bossait dans une animalerie où elle était elle aussi, employée. Elle a quitté son mari et ses enfants pour ce qu'elle pense être un grand amour romantique, irrépressible et digne du grand écran. Après un passage en prison, elle a épousé Joe et eu avec lui trois enfants. Leurs jumeaux s'apprêtent à partir à la fac. Joe a à peine trente ans, et il affronte les problèmes d'un quinquagénaire : les enfants qui quittent le nid, un mariage qui souffre du temps qui passe et de la routine… ou peut-être d'une lucidité nouvelle sur les origines de sa relation avec sa femme. En tout cas, une chose est sûre : l'arrivée d'Elizabeth (Natalie Portman), une star hollywoodienne qui doit jouer Gracie dans un film, fragilise sa famille si particulière.
May December, une comédie noire
On le sait, Todd Haynes est le grand cinéaste du mélodrame. Mieux que personne, ce grand admirateur de Douglas Sirk a su raconter l'amour impossible d'une épouse rangée, confrontée à l'homosexualité de son mari, pour son jardinier noir (Loin du paradis, 2002), ou encore celui d'une jeune fille naïve pour une femme mariée dans Carol (2015), toujours dans le contexte de l'Amérique corsetée des années 1950. Mais ici, dans ce qui est son premier film contemporain depuis Safe (1994), le sujet et le traitement se teintent d'une ironie féroce. Plutôt que dans un mélodrame, on est dans la comédie noire. Comme une façon de mettre à distance un sujet épineux : la prédation, l'emprise, celle qu'exerce Gracie sur Joe mais aussi celle d'Elizabeth sur le couple.
Trop vite en effet, May December se détourne de ce qui est le plus intéressant dans cette histoire – la relation de Joe et Gracie – pour se concentrer sur un duel entre deux femmes qui est aussi le match de deux stars féminines. C'est Natalie Portman qui tire son épingle du jeu en arriviste glaçante, car Julianne Moore – la belle du Sud qui cache une vraie mante religieuse – appuie un peu trop ses effets de séductrice précieuse et affectée. Elle n'est pas aidée par Todd Haynes qui abuse de citations : plans empruntés à Persona (Ingmar Bergman, 1966) avec ses effets de miroir et ses superpositions de visages ; musique de Michel Legrand reprise au Messager (Joseph Losey, 1971) et utilisée jusqu'à l'écœurement.
Il y a deux films en May December. Le premier est une satire somme toute convenue d'Hollywood – car même si l'histoire se passe à Savannah (Géorgie), le drame porte sur le cynisme d'une industrie qui s'empare d'une tragédie pour en faire un spectacle, et d'une actrice prête à tout pour tirer son épingle du jeu… Le second est le portrait d'un jeune homme déjà en couple depuis 20 ans, un être en quête de sens qui n'a pas eu le loisir de construire son identité parce qu'une adulte l'en a empêché, un père aimant qui ne sait pas comment se comporter. Joe est joué par Charles Melton, beau gosse vu dans la série proposée notamment par Netflix Riverdale et destiné, on est prêt à le parier, à une grande carrière. En quelques scènes poignantes – dont ce moment de grâce où il partage son premier joint avec son fils adolescent sur le toit de la maison –, il dépouille le film de son trop-plein d'artifices et le fait basculer dans une émotion qui va droit au cœur.
May December, de Todd Haynes, en salle
La journaliste qualifie de "moment de grâce" la scène d'un père initiant son fils adolescent au partage d'un joint. On peut néanmoins s'inquiéter sur le bon sens parental en pervertissant ainsi son enfant, fumer un joint ne pouvant être pour son bien.