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Loin de l'univers des séries colorées et mouvementées auquel elle nous a habitués, M6 joue la contre-programmation en dégainant ce soir en prime time Mare Of Easttown, une minisérie en sept épisodes, produite par HBO et amplement acclamée par la critique. Ici, l'héroïne, qui donne son prénom au titre de la série, est une flic abîmée par la vie, qui se retrouve confrontée à la disparition d'une jeune femme, dans le petit bled rural d'Easttown en Pennsylvanie, à quelques encablures de Philadelphie. L'occasion de retrouver Kate Winslet dans un rôle à sa mesure, puissant et ambigu, dans lequel la comédienne britannique oscarisée se révèle, encore une fois, prodigieuse.
En 2021, lorsque HBO lance Mare of Easttown, cela fait dix ans que Kate Winslet n'a pas crevé le petit écran, son dernier rôle télévisé remontant à 2011 avec Mildred Pierce, la minisérie de Todd Haynes pour laquelle elle remporte l'Emmy et le Golden Globe de la meilleure actrice. À des années-lumière des personnages en corset qui l'ont accompagnée tout au long de sa prestigieuse carrière, l'actrice anglaise endosse ici les pulls informes de Mare Sheehan, détective bourrue en poste à Easttown. Comme le titre l'indique, Mare est une figure centrale de cette petite communauté qui abrite les classes populaires oubliées d'Amérique.
Ancienne star de basket du lycée, mère de famille divorcée et policière ultra-consciencieuse, Mare est le genre de bonne âme qui se déplace au milieu de la nuit quand sa voisine retraitée l'appelle au sujet d'un rôdeur. On fait connaissance avec l'héroïne alors qu'elle enquête depuis un an, sans succès, sur la disparition mystérieuse d'une jeune femme du coin. Confrontée à un nouveau cas tout aussi sordide et complexe – le meurtre d'une mère adolescente –, Mare menace de sombrer. Son sens du devoir est d'autant plus aigu qu'elle a grandi avec les parents des deux victimes.
Kate Winslet en dure à cuire
Cernes indélébiles, teinture blonde défraîchie et cigarette électronique gargouillante aux lèvres, Kate Winslet fait corps avec son personnage, en bonne élève de la « méthode » théorisée par Stanislavski. Pour se préparer, elle a passé plusieurs mois sur le terrain avec la police locale, et a affiné son accent sous la direction d'un coach vocal. Son interprétation naturaliste est fabuleuse : on éprouve un immense plaisir de spectateur à retrouver Mare, toute en vulnérabilité rugueuse, épisode après épisode.
Refusant de s'apitoyer sur son sort dans une ville où la maladie, l'addiction, l'endettement et l'adultère sont monnaie courante, notre flic débordée fait de son mieux pour maintenir un semblant de stabilité familiale. Avec l'aide de sa mère (superbe Jean Smart, vue dans Fargo, 24 heures chrono ou Watchmen), elle gère la garde de son petit-fils, la prunelle de ses yeux (Kate Winslet grand-mère, il faut le voir pour le croire !).
La performance toute en retenue de Kate Winslet ne vole néanmoins jamais la vedette à l'autre pilier de la série… : la ville de Easttown et ses habitants farouches. Le showrunner et scénariste Brad Ingelsby (Les Brasiers de la colère), qui a passé son enfance dans les parages, a ciselé un microcosme fascinant à coups de dialogues doux-amers et de scènes de la vie quotidienne ultra-réalistes. Chaque détail contribue à renforcer l'authenticité du propos : l'architecture morne, la marque de bière stockée dans le frigo de l'ex-mari de Mare (qui a déménagé juste en face de chez elle), le jus de chaussette « bu et approuvé » par la police, sans oublier l'apparition furtive du logo d'une université symbole d'ascension sociale inaccessible.
Le public s'attache d'autant plus à ces âmes en peine qu'il est familier avec la sensation d'enfermement qui les accable. Les natifs jurent de s'échapper dès que possible, avant d'être aspirés inexorablement dans un vortex d'actes manqués et de « c'est vraiment pas de bol » à répétition. Même la brillante et débrouillarde fille de Mare (Angourie Rice, vue dans Spider-Man), bientôt en âge de voler de ses propres ailes, n'envisage pas de s'émanciper géographiquement. Dans ce recoin de Pennsylvanie, les nuages de larmes bloquent la visibilité d'un horizon meilleur.
Mare of Easttown entre cinéma et télévision
Ne prenez pas l'écriture pleine d'empathie pour de la complaisance : le rythme de la narration, en apparence nonchalant, est aussi puissant que le ruisseau où est retrouvé le cadavre à la dérive, élément déclencheur de l'action. Nous sommes d'autant plus happés par la série qu'elle met en scène deux personnages d'outsiders qui, comme nous, débarquent dans la bourgade insulaire : Guy Pearce (Memento, Mildred Pierce) interprète un écrivain qui n'a jamais réussi à répliquer le succès de son premier roman et est devenu enseignant ; Evan Peters (American Horror Story) est épatant dans le rôle du jeune détective plein de promesse amené en renfort sur l'affaire.
Ajoutez à cela une réalisation captivante signée Craig Zobel (on lui doit The Leftovers), et on en oublierait presque l'enjeu principal : Qu'est-il arrivé à ces jeunes femmes ? Qui est coupable ? Le showrunner avance des pistes, mais ne tombe jamais dans le piège de l'intrigue criminelle classique qui sacrifie la profondeur psychologique au profit d'une surenchère en rebondissements haletants.
Au croisement entre thriller féministe, mélodrame abyssal et étude des mœurs contemporaine, Mare of Easttown incarne la forme la plus aboutie de la nouvelle vague des « limited series » qui ont envahi le paysage audiovisuel ces dernières années. Plus longue que les œuvres projetées en salle, avec qui elle partage des ambitions artistiques de qualité supérieure, plus digeste que les feuilletons criminels interminables, cette minisérie policière est le parfait compromis entre cinéma et télévision, suspense et solution. Toutes les bonnes choses ont une fin, mais en compagnie de Mare, on voudrait continuer à se pencher sur le puzzle aussi longtemps que le temps maussade le permettra.
A voir en VO les 7 épisodes sur M6 Replay
Exactement l’amerique telle que je l’ai vecue dans les annees 80…rien ne change mais la serie est tres bonne.
C'est du réchauffé, première diffusion il y a 3 ans, mais pour une fois que sur M6 il y a ce niveau, c'est à surtout ne pas rater.