« Le Visiteur du futur » : la SF à l’épreuve du système D

INTERVIEW. Tirée de la websérie du même nom, cette comédie de science-fiction fut un long parcours du combattant pour son réalisateur François Descraques.

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Une scène du Visiteur du futur, de François Descraques.
Une scène du Visiteur du futur, de François Descraques. © KMBO

Temps de lecture : 11 min

Un univers postapocalyptique à la Mad Max 2, des voyageurs du temps surgis de grands halos bleus, un gigantesque nuage toxique ravageant la Terre tous les 70 ans, des zombies, des explosions… Malgré ses maladresses et les erreurs de jeunesse de son réalisateur et scénariste François Descraques, ici à la barre de son premier long-métrage de cinéma, Le Visiteur du futur (en salle le 7 septembre) a le mérite d'être l'un des rares films tricolores à oser visiter un genre d'habitude préempté par les blockbusters américains. Mais avec un budget 50 fois inférieur.

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Comment résoudre une telle équation ? Avec le feu sacré d'une équipe soudée depuis le début de l'aventure, une préparation au cordeau et l'appui d'une fan base massive et active sur les réseaux sociaux, rassurant ainsi les financiers. Le passé du Visiteur du futur remonte au printemps 2009. Une poignée d'internautes éberlués découvre alors sur Dailymotion la websérie du même nom, concoctée par Descraques avec trois bouts de ficelle et une inventivité débordante.

À la base du concept : le destin tragi-comique de Raph, un jeune Parisien vaguement glandu, dont le quotidien va être bouleversé par l'apparition éclair d'un être hirsute affirmant venir du futur (incarné par Florent Dorin, ami d'enfance de François). Avant de disparaître tout aussi brutalement, le visiteur en panique prédit à Raph divers enchaînements de catastrophes virant à l'apocalypse si ce dernier a le malheur d'accomplir des gestes pourtant anodins (jeter une canette dans une poubelle, manger une part de pizza…). Le premier épisode épate par sa drôlerie, son utilisation maligne des effets spéciaux et sa cohorte de références à la SF la plus culte, de Terminator à Mad Max en passant par Retour vers le futur. Les segments suivants confirment le talent de Descraques, l'addiction guette bientôt…

À LIRE AUSSI François Descraques : « Le Visiteur du futur aura un nouveau héros » Avec Le Visiteur du futur et sa punchline de Cassandre culte (« Parce que si tu fais ça, voilà ce qui va se passer ! »), une icône du Web est née. D'abord écrite comme un alignement de sketchs, la première saison va peu à peu feuilletonner, installer une mythologie, multiplier les personnages, développer les enjeux… Version parodique du Kyle Reese de Terminator, le visiteur du futur cherche vraiment à éviter la fin du monde, tout en étant traqué par une mystérieuse Brigade temporelle, elle aussi basée dans le futur et chargée d'empêcher tout changement dans le cours du temps. Comme pour Kaamelott, toutes proportions gardées, l'univers suscite un phénomène populaire et, en cette préhistoire du streaming sur le Web 2.0, les millions de visionnages du Visiteur du futur ne passent pas inaperçus.

Arnaud Ducret, le sauveur du Visiteur

À l'image d'Alexandre Astier et de son frère Simon avec sa propre série Hero Corp, Descraques devient en France, au tournant des années 2010, l'un des rares french nerds adulés par une cible de fans de SF et de séries fantastiques à la Lost. À cette époque émergent également de nouveaux pionniers du rire viral, tels que le duo Grégoire Ludig-David Marsais du Palmashow ou le tandem Monsieur Poulpe-Davy Mourier, pour qui François Descraques réalisera la webémission humoristique Le Golden Show.

Quatre saisons du Visiteur du futur (57 épisodes au total) seront produites jusqu'en 2014, dont les deux dernières financées par un attelage entre l'éditeur Ankama et le département Nouvelles Écritures de France Télévisions. Après la fin de la série, tout en s'impliquant dans de nouveaux projets, Descraques ne débranchera pas le concept puisqu'il écrira une BD (Le Visiteur du futur : l'élu des dieux, située entre les saisons 1 et 2) et un manga (La Brigade temporelle), tandis que son ami et comédien Slimane-Baptiste Berhoun (alias le Dr Henry Castafolte dans la série) écrira un autre spin-off, le roman numérique La Meute.

À LIRE AUSSI Cinq bonnes raisons pour dévorer « Mandibules » en salleC'est sur la base d'une popularité toujours vive du Visiteur du futur sur les réseaux sociaux que François Descraques, au terme d'un long processus d'écriture, trouvera à l'arraché les subsides nécessaires à l'avenir de son long-métrage. Le prix à payer ? Adapter le concept pour une plus large audience et recruter un visage populaire en tête d'affiche. Ce sera Arnaud Ducret, révélé par la shortcomParents mode d'emploi sur France 2 et habitué des comédies françaises.

Un Paris dévasté, entre ruines et zombies

Dans le film, il incarne le responsable politique Gilbert Alibert, qui s'apprête à autoriser la construction d'une centrale nucléaire… jusqu'à ce que le visiteur du futur ne l'interrompe et le téléporte, lui et sa fille Alice (Enya Baroux), dans le Paris dévasté de l'an 2555. Un monde de cauchemar où, entre les ruines et des hordes de zombies, les humains survivent en attendant le retour d'un méga-nuage toxique parcourant la Terre en 70 ans et qui pourrait bien les balayer définitivement.

Les foules ignorant tout de la série se presseront-elles pour voir Le Visiteur du futur ? Comment François Descraques s'est-il battu pour faire décoller son ovni à l'écran, repenser le concept initial tout en préservant le ton singulier des origines et, enfin, livrer la comédie de SF promise malgré un budget spartiate ? Entretien.

L'affiche du<em> Visiteur du futur</em> : ambiance apocalypse et blockbuster américain.
 ©  KMBO
L'affiche du Visiteur du futur : ambiance apocalypse et blockbuster américain. © KMBO

Le Point : Tout comme Kaamelott l'an dernier, Le Visiteur du futur est tiré d'une série culte qui a pris fin voici déjà plusieurs années. Le projet a-t-il été difficile à monter ?

François Descraques : Il a d'abord été difficile à écrire. Je voulais faire un vrai film de cinéma, avec de l'action, du grand spectacle, de l'émotion et pas juste une saison 5 du Visiteur du futur avec de gros moyens. C'était ma problématique. J'ai enchaîné une dizaine de versions du scénario, qui partaient toutes dans des directions très, très différentes, avant de trouver enfin l'idée qui me convenait pour intéresser au-delà du cercle des fans de la série. Le film est raconté du point de vue de deux personnages nouveaux, ceux d'Arnaud Ducret et d'Enya Baroux [la fille du comédien et réalisateur Olivier Baroux, NDLR], qui incarnent un père et sa fille embarqués malgré eux dans le futur. Le récit du film est une suite directe de la série et l'histoire se déroule après celle du roman La Meute et de la BD La Brigade temporelle (respectivement publiés en 2015 et 2016-2018). Il y aura suffisamment de clins d'œil pour que les fans s'y retrouvent, ils seront récompensés, mais, en même temps, on s'adresse par définition à un public plus large. Mon modèle, c'étaient les films Star Trek des années 1980. J'ai découvert la saga avec ces films, qui sont à la fois des suites de la série des années 1960 tout en faisant découvrir l'univers à une toute une nouvelle génération. Dans le premier Star Trek de Robert Wise, les personnages se connaissent, ils ont un passé commun, et ils repartent dans une nouvelle aventure accessible à tous. Je voulais vraiment suivre cette voie-là.

À LIRE AUSSI « Star Trek : Picard » : un véritable petit tour de forceEst-ce que la production du Visiteur du futur a bénéficié du succès en salle de Kaamelott ?

En tant que fan, j'étais le premier à attendre le film d'Alexandre et je savais aussi que de son succès allait énormément dépendre la bienveillance du milieu du cinéma français autour du Visiteur du futur. Mais ce n'est pas au niveau de la production que Kaamelott a eu un impact positif sur Le Visiteur du futur, puisque j'avais déjà tourné mon film, entre mars et avril 2021. Je l'ai regretté d'ailleurs, parce que je suis persuadé que si on avait tourné Le Visiteur du futur après la sortie de Kaamelott, on aurait bénéficié d'un plus gros budget ! En revanche, une fois le succès du film d'Alexandre confirmé, on a vraiment vu une grosse différence : notre petit truc de SF un peu bizarre pour geeks a été subitement perçu comme un potentiel succès commercial. Kaamelott a prouvé que le public français était friand de films à grand spectacle made in France. Ça m'a rassuré sur la viabilité du film et tout d'un coup, on a été contacté par de grosses boîtes du secteur. SND nous a proposé d'être l'éditeur vidéo du film, par exemple. Au dernier Congrès des exploitants de salles, à Deauville, en 2021, ceux qui n'avaient jamais vu la série ont dit : « Ah tiens, ça ressemble à du Kaamelott, on a confiance. » Notre distributeur a été lui-même plus confiant, on a investi davantage dans le budget promo, on a tiré plus de copies que prévu…

À LIRE AUSSI Delbecque – « Kaamelott » ou le miroir des princesLe triomphe du Visiteur du futur sur Internet a-t-il été un atout pour monter le film financièrement ?

Non, pas vraiment ! (rire) Pratiquement tout le monde nous a dit non ! Notre problème, c'était que le film ne correspondait à aucun profil ni modèle économique identifié dans le cinéma français. Les quelques guichets qui financent du film de genre en France, c'est soit du film d'auteur très sérieux, comme un drame psychologique avec un enjeu sociétal et un peu de fantastique. La french touch, quoi ! Pour ce camp-là, Le Visiteur du futur était trop « popu », c'était une comédie à effets spéciaux, donc pas pour eux. Et puis, tu as les distributeurs et les producteurs qui financent les grosses comédies qui nous disaient : « Désolé, mais votre sujet n'est pas assez popu : de la comédie et de la SF, ça ne va intéresser qu'une cible restreinte. » Comme si les films Marvel n'existaient pas ! On m'a dit aussi que personne n'allait voir les films avec des stars d'Internet, même s'ils ont fait des millions de vues. Le plus dur, c'est lorsqu'un distributeur, qui nous avait dit « okay » les yeux dans les yeux en nous serrant la main, nous a finalement plantés le surlendemain… On a heureusement trouvé en KMBO un distributeur à la taille idéale pour nous, un indépendant qui finance aussi bien les films d'auteur que des films d'animation familiaux. Ils n'ont pas de ligne éditoriale fermée, ils se sont adaptés à l'univers du Visiteur du futur, on a conçu la promotion autour du film ensemble, dans un dialogue intelligent. En termes de marketing, les références étaient Kaamelott, les films Marvel, Ready Player One… Il fallait vendre Le Visiteur du futur comme un film à grand spectacle pour les fans de pop culture. En contrepartie, il fallait que le personnage central soit un acteur connu. Pour Gilbert, j'ai pensé à Arnaud Ducret.

Arnaud Ducret et Enya Baroux dans <em>Le Visiteur du futur.</em>
 ©  KMBO
Arnaud Ducret et Enya Baroux dans Le Visiteur du futur. © KMBO

Pourquoi lui ?

Je l'avais vu sur scène dans Spamalot, la comédie des Monty Python. Il était vraiment très drôle et je savais qu'il avait l'esprit de troupe, aux antipodes d'une mentalité de star. C'est exactement ce dont j'avais besoin pour se mêler à l'équipe du Visiteur du futur. Il était trop heureux qu'on lui propose un pur film de SF, il me disait : « C'est trop bien, je vais enfin faire un film que mon fils veut voir ! » En plus, c'est marrant, parce que ma référence pour écrire le personnage de Gilbert Alibert, qui est un politicien un peu corrompu mais qu'on aime bien quand même, c'était Jacques Chirac, et il se trouve qu'Arnaud l'avait incarné dans un téléfilm – ce que j'ignorais totalement. J'ai écrit des versions du scénario où Raph [le personnage joué par Raphaël Descraques, NDLR] était au centre du film, mais ça ne marchait pas et Raphaël ne voulait pas porter le film, il préférait rester un personnage secondaire, ça l'a soulagé. Quant au visiteur lui-même, le personnage n'est intéressant que lorsqu'il est vu par des regards extérieurs qui ne parviennent pas à le cerner, et, ça, Florent l'a très bien compris.

À LIRE AUSSI Terry Gilliam, des Monty Python, « cancellé » à LondresAs-tu participé à la production du film et quel est son budget ?

Non, les producteurs sont Pyramide Productions [société fondée par Fabienne Vonier et Francis Boespflug en 1989, NDLR], Allons Voir, France 2 cinéma et Scope Pictures, une société belge. Je ne serais pas un bon producteur et je suis heureux de laisser ça à d'autres. Le Visiteur du futur a été fait en 33 jours pour 4,5 millions d'euros. Personne n'a fait de marge sur ce film, on a vraiment mis tout l'argent à l'écran, c'est le budget d'une petite comédie française.

Mais avec de grosses séquences d'effets spéciaux, comme celle qui ouvre le film ou celle de la visite guidée dans un Paris du futur en ruines.

Eh oui… Il y a peu d'images de synthèse spectaculaires, ceci dit. La seule séquence entièrement en CGI est le plan d'ouverture sur la centrale nucléaire. Et la séquence à travers Paris dévasté a été storybaordée deux ans avant son tournage. D'ailleurs, tous les aspects techniques du film ont été planifiés deux ans à l'avance, du moindre bout de costume aux accessoires et décors. Tourner en 33 jours un film avec des explosions, de l'action et des figurants est un challenge écrasant, gérer le temps est la plus grosse difficulté. Tout est dans la préparation obsessionnelle, et ce fut un tournage spartiate. On a filmé Le Visiteur du futur en numérique avec une caméra Panasonic DL1 8K, avec les mêmes objectifs que ceux utilisés sur The Mandalorian.

Une scène du <em>Visiteur du futur,</em> de François Descraques.
 ©  KMBO
Une scène du Visiteur du futur, de François Descraques. © KMBO

Le futur apocalyptique de Paris est dû à l'explosion d'une centrale nucléaire construite au rabais. Tout le suspense du film repose sur la décision du personnage d'Arnaud Ducret d'autoriser ou non la construction de cette centrale. Faut-il y voir un message politique contre le nucléaire ?

Non ! Mon film n'est pas un tract antinucléaire, je tiens à rassurer les lecteurs du Point : ce n'est pas un film de bobo gauchiste, on nuance le propos et les personnages, même celui que joue Arnaud. Le nucléaire n'est pas ma hantise et c'est même pour moi, à court terme, la meilleure solution de production d'énergie. Je voulais surtout traiter du sujet du film sous l'angle du conflit générationnel et de la notion de court terme/long terme. Comment les générations du futur doivent supporter les conséquences de problèmes qui n'ont reçu que des solutions de court terme de la part de leurs aînés. Mais on peut difficilement blâmer ces derniers : qui est capable de se projeter sur 200 ans ? Quand j'ai écrit le film, je n'étais pas encore père et maintenant je lui suis, d'un fils de 2 ans. Ça me fait encore plus réfléchir à ces thématiques. Et puis, Le Visiteur du futur, c'est avant tout une comédie de science-fiction qui est là pour divertir, on n'est pas dans Chernobyl ! En revanche, c'est dingue de voir à quel point notre monde a basculé en dix ans. Quand j'ai commencé Le Visiteur du futur, en 2009, le péril écolo n'était qu'un prétexte, c'était un archétype de SF, on n'y croyait pas vraiment et on jouait avec ça ! Et maintenant, c'est littéralement aux infos tous les jours.

À LIRE AUSSI « Chernobyl », la série catastrophe qui va vous irradierSi Le Visiteur du futur est un succès, une suite est-elle envisageable ?

L'univers du Visiteur du futur est infini et je serai ravi de le faire progresser sous une forme ou une autre. Mais je ne peux rien ajouter d'autre, désolé ! Ah si, pour les fans : le 14 septembre, aux éditions Bragelonne, la sortie du livre making of Le Visiteur du futur : rétrospective. On y retrace toute notre aventure collective sur ces treize années écoulées depuis la naissance de la série.

Le Visiteur du Futur, de François Descraques. En salle, le 7 septembre.

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Commentaire (1)

  • P_f_deut.

    Tres belle surprise de François Descraques, grand amateur de la série ce fut un grand plaisir de retrouver les protagonistes en decouvrant une galerie de nouveaux personnages, tous excellemment bien joués. Accompagné d'un ami qui découvrait l'univers du Visiteur, celui ci c'est également trouvé emmené dans cette histoire ! Tres bon scénario, belle photo, bons acteurs, belle musique, ca fait du bien de voir un film comme cela !