Ridley Scott : « Gucci, c’est la maison de Médicis au XVe siècle »

Le réalisateur d' « Alien » et de « Gladiator » s’attaque aux arcanes exubérants de la haute couture à travers une retentissante affaire de meurtre. Interview.

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Giannina Facio et Ridley Scott, à la première à Los Angeles de Gucci de Ridley Scott. 
Giannina Facio et Ridley Scott, à la première à Los Angeles de Gucci de Ridley Scott.  © AMY SUSSMAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Temps de lecture : 6 min

Sacré Ridley Scott ! À presque 84 ans (le 30 novembre), le cinéaste d’Alien, Blade Runner et Gladiator aura donc attaqué nos écrans avec deux gros films en 2021, sortis à moins de deux mois d’intervalle. Après Le Dernier Duel, salué en octobre par la critique mais hélas boudé par le public, cet expert des grandes épopées du passé, du présent ou du futur rempile avec Gucci (House of Gucci en VO) : le récit des coulisses de l’assassinat en 1995 du styliste et homme d’affaires Maurizio Gucci (joué dans le film par Adam Driver) par deux tueurs à gages engagés par son ex-épouse Patrizia (Lady Gaga). Une affaire retentissante à l’époque, source d’un livre enquête de la journaliste Sara Gay Forden publié en 2001 et que le réalisateur souhaitait adapter depuis longtemps.

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Dominé par une Lady Gaga à l’exubérance sans frein dans le rôle de Patrizia et un Adam Driver onctueux et distant comme son modèle Maurizio, Gucci assume son côté soap opera somptueux, aussi critique et ironique sur la jungle impitoyable de cet empire de la haute couture qu’il est amusé et fasciné par elle.Le Point Pop a pu s’entretenir avec Ridley Scott sur ses intentions mais aussi sur l’analogie que ce grand architecte du spectacle hollywoodien, obsédé de contrôle sur ses œuvres et soumis à une pression permanente, a pu déceler entre son métier et celui des grands noms de la haute couture.

Le Point Pop : Que signifiait le nom Gucci à vos yeux, avant de faire ce film ?

Ridley Scott : À première vue, je vous répondrais… dorures et sexualité ! Plus sérieusement, pour moi, Gucci*, c’est la maison de Médicis au XVe siècle. Une dynastie riche et puissante qui s’est entre-dévorée puis consumée dans ses propres délits et déviances. Comment pouvais-je ne pas être intéressé ? La relation entre Maurizio et Patrizia débute comme une love story, qui évolue vers la haine… puis le meurtre. Il y avait tout pour m’intéresser là-dedans : l’exotisme, la lutte pour le pouvoir, des personnages hauts en couleur… C’est mon épouse Giannina Facio [désormais productrice, elle incarna l’épouse de Russell Crowe dans Gladiator,NDLR] qui a repéré le livre de Sara Gay Forden dès sa publication en 2001, et qui a porté ce projet pendant vingt ans. Je voulais le réaliser très vite mais on n’a jamais réussi à trouver la bonne façon d’adapter cette histoire… On a épuisé cinq scénaristes au fil des ans ! Entre deux films, je revenais vers Giannina et je lui demandais « Alors, c’est bon, cette fois ? » Et elle : « Non, toujours pas ! » C’est le scénariste Roberto Bentivegna, qui a rendu sa copie en à peine six semaines, qui nous a enfin mis d’accord. Gucci,c’est une comédie sur des héritiers qui font l'expérience de la tragédie.

La maison Gucci a ouvert en grand les portes de ses archives et de ses collections à votre cheffe costumière. En revanche, vos comédiens Lady Gaga et Adam Driver n’ont jamais rencontré les membres de la famille. C’était votre consigne ?

Oui, on a préféré éviter d’entrer en contact avec la famille Gucci et nous reposer sur la très abondante documentation existante sur l’affaire.

Mais certains d’entre eux – particulièrement Patrizia – ont exprimé publiquement de très vives critiques sur votre film, vous accusant d’avoir déformé les faits. Vous ne craignez pas de suites judiciaires ?

Non, vraiment pas. Quand une personne va en prison pour avoir assassiné quelqu’un ou pour fraude fiscale, son histoire tombe dans le domaine public et nous ne racontons rien d’autre que des faits qui ont été largement documentés. Gucci reste très proche du réel tout en étant élégant, je ne crains rien et, aujourd’hui, plus aucun membre de la famille Gucci ne fait partie de l’empire Gucci.

Lady Gaga et Adam Driver en plein tournage de <em>Gucci </em>à Milan, en mars 2021.
 ©  MIGUEL MEDINA / AFP
Lady Gaga et Adam Driver en plein tournage de Gucci à Milan, en mars 2021. © MIGUEL MEDINA / AFP

Votre film décrit assez bien l’immense pression économique, mentale et artistique à laquelle sont soumis les grands designers de la haute couture. Vous êtes-vous personnellement identifié à cette pression comme cinéaste ?

Un styliste mondialement connu, qui représente une marque forte, est soumis à une pression colossale, chaque année, au moment de produire une nouvelle collection. Lagerfeld, Armani, Valentino, Versace… Ils ont tous essuyé des tempêtes et des dépressions mais ont tenu bon, de vrais cuirassés. Je ne sais pas si c’est comparable avec le cinéma, mais oui, assurément, on est, nous aussi, soumis à une pression et un stress à chaque film, face auxquels il vaut mieux être armé. Ne faites pas ce métier si vous ne savez pas gérer le stress ! Mon remède, c’est la confiance en moi que je tire depuis toutes ces années à préparer en profondeur chaque film.

En tant qu’ex-étudiant au Royal College of Art, je maîtrise le dessin et j’ai toujours story-boardé entièrement tous mes films, scène après scène. Cela me permet de visualiser le film dans son ambiance, son esthétique et sa géographie et, au moment du tournage, je me sens tellement préparé que j’ai une confiance en moi inébranlable et c’est très important pour se faire respecter. Les acteurs sont plus dociles face à quelqu’un qui est sûr de son fait. Plus vous êtes sûr de vous, moins vous aurez de résistance face à vous sur un tournage.

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Mais… l’échec commercial et critique, que vous avez déjà rencontré dans votre carrière, ça n’atteint jamais votre confiance en vous ?

Je ne regarde jamais en arrière. Je ne regrette pas un seul de mes films, même quand l’échec de l’un d’entre eux le détruit complètement, comme ce fut le cas pour Blade Runner. La critique Pauline Kael [mythique journaliste cinéma américaine des années 1970 et 1980, NDLR] avait désintégré le film sur quatre pleines plages dans le New Yorker. Quatre ! Je me suis même demandé si ce genre de pratique n’était pas quelque part illégale : ces critiques de cinéma, c’est un peu comme de l’espionnage industriel, non ? Vous détruisez un produit avant qu’il ne soit sorti… J’étais furieux, j’ai écrit au rédacteur en chef pour me plaindre, franchement, tant d’espace consacré à la pure destruction d’un film… Je voulais parler à Pauline Kael, mais je n’ai jamais reçu de réponse, j’étais furieux ! À tel point que j’ai encadré ces quatre pages, qui sont toujours dans mon bureau et, depuis, je ne lis plus jamais de critiques. Quand je finis un film, je sais ce que je ressens à son sujet et je passe à autre chose.

Lady Gaga à la première du film à Milan, le 13 novembre 2021
 ©  PIERO CRUCIATTI / AFP
Lady Gaga à la première du film à Milan, le 13 novembre 2021 © PIERO CRUCIATTI / AFP

L’échec récent et assez inattendu de votre avant dernier film, Le Dernier Duel,ne vous a pas atteint ?

Si, bien sûr, mais comme je vous l’ai dit, je passe à autre chose. Et je n’ai lu aucune critique sur ce film, même si je sais qu’elles étaient très bonnes.

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Un mot sur notre Camille Cottin nationale, à qui vous avez confié le rôle de Paola Franchi, la maîtresse de Maurizio… Comment l’avez-vous découverte ?

Comme tout le monde ! Elle m’a fait mourir de rire dans Call my agent / Dix pour cent, une série que j’adore et que je trouve très drôle. Entre deux films, je regarde beaucoup de séries et je note les gens que je trouve intéressants. Je déteste faire passer des auditions, je trouve trop artificiel le processus qui consiste à faire lire un texte à un acteur dans un bureau. Je préfère voir en situation de quoi il est capable à l’écran, c’est comme ça que je me décide. Concernant Camille, c’est Matt Damon, à la fin du tournage du Dernier Duel, qui m’a définitivement convaincu de l’embaucher en me chantant ses louanges après avoir travaillé avec elle dans Stillwater.

Vous voyez-vous un héritier ?

Je suis très fan du travail de Denis Villeneuve, dont j’ai produit le Blade Runner 2049. C’est un homme très talentueux et j’ai beaucoup aimé son Dune – un film, d’ailleurs, que j’aurais dû faire moi-même voici des années. Dino de Laurentiis me l’avait proposé, mais quand il m’a dit qu’il faudrait aller tourner plusieurs mois au Mexique, j’ai préféré faire Blade Runner à la place.

* Gucci fait partie du groupe qui appartient à la famille Pinault, propriétaire du Point.

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Commentaire (1)

  • La Bogue

    Des membres d’une grande famille italienne qui parlent anglais entre eux avec un accent pourri, ça fait un peu étudiants Erasmus qui s’entraînent à parler anglais à la cité U avant d’affronter les autochtones. Mort de rire. Tragi-comédie, en effet.