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Des dizaines de milliards. C'est, chaque jour, le nombre d'émojis échangés sur la planète. Une donnée qui donne le vertige. Et qui rappelle que ces pictogrammes au design simple et percutant – incarnations d'une humeur, d'une émotion, d'une situation, d'un objet… – pullulent sur l'espace numérique au point de faire partie de notre quotidien. Depuis leur avènement au Japon en 1997, ils se sont multipliés et on en compte aujourd'hui… plus de 3 000 !
Pour comprendre cette popularité, l'auteur David Groison a conduit une robuste enquête dont il a tiré une BD avec l'illustrateur Paul Rey. Le récit suit les recherches d'une jeune journaliste fictive, Andréa. David Groison et Paul Rey ont appelé leur ouvrage La Révolution émoji (Éditions Bayard Graphic'). Un titre ô combien juste, tant ces petits dessins ont meublé nos vies. Mais comment cette révolution a-t-elle démarré ? Avec une avancée technologique, évidemment.
Émojis plus forts que les gifs
En ce début de XXIe siècle, on assiste à la démocratisation des téléphones portables, puis des smartphones. Un changement majeur. « Avec eux est arrivée la conversation écrite instantanée. Avant, communiquer par écrit, cela incluait une autre temporalité. Il fallait au minimum 24 heures pour recevoir une lettre. L'instantanéité a créé le besoin d'ajouter des visuels qui disent notre état d'esprit afin d'être sûr d'être compris, souligne David Groison. Par exemple, pour s'assurer qu'une blague soit bien perçue, on lui associe des émojis. Cela rassure. Finalement, les émojis, c'est du paraverbal. »
À ce titre, l'impact des émojis reste plus fort que celui des gifs (Graphics Interchange Format), ces très courtes vidéos qui ont envahi à leur tour l'espace numérique. Les gifs reprennent des extraits de films, de séries, de cartoons… pour retranscrire une idée. Mais si votre interlocuteur ne connaît pas le film ou la série en question, l'effet du gif diminue radicalement, quand bien même le message passe.
L'autre atout des émojis est de reposer sur une dimension fondamentale de la culture japonaise : le kawaii. Paul Rey nous l'explique : « Kawaii signifie “mignon” en japonais. Le pays a développé toute une iconographie autour de ce concept [de nos jours, les personnages Pikachu (Pokémon) et Hello Kitty en sont les plus emblématiques, NDLR]. Et cette iconographie infuse dans les émojis. »
David Groison complète : « Les émojis diffusent du positif. Ce sont des adoucisseurs, des facilitateurs de conversation. Ils sont le royaume du cœur et du sourire. »
Une idée d'émoji ? Déposez un dossier !
Des jeunes aux séniors, absolument tout le monde s'est emparé des émojis. Mais pas toujours de la même manière… « Selon sa génération, on ne convoque pas forcément le même émoji pour exprimer un sentiment similaire, analyse David Groison. Pour dire qu'ils trouvent quelque chose drôle, les adultes recourent à l'émoji qui le signifie littéralement : le smiley qui pleure de rire. Quand c'est vraiment très drôle, ils utilisent le smiley qui pleure de rire et est basculé. Sur TikTok [réseau social prisé des adolescents, NDLR], c'est plutôt la tête de mort qui revient. Sous-texte : “je suis mort de rire”. »
Paul Rey résume : « Comme dans une langue, avec les émojis, il y a différentes façons de parler : soutenue, argotique… » Et puis, les émojis accompagnent nos vies ultraconnectées. « On passe un temps fou à communiquer en ligne, commente David Groison. On est dans une époque où tout s'accélère et cela nous aide d'envoyer un cœur ou un pouce en l'air plutôt que de rédiger des phrases. »Cette révolution a également opéré car les citoyens n'ont pas été réduits au statut de consommateurs. En effet, toute personne qui le souhaite peut déposer un dossier de candidature pour un émoji dont il estime l'existence nécessaire. C'est un consortium baptisé Unicode qui le validera ou non. Et certains sont parvenus à faire intégrer leur émoji dans l'offre déjà en place.
Dans la BD, Andréa, la jeune journaliste que mettent en scène David Groison et Paul Rey, a pour objectif de faire adopter l'émoji éolien. Réussira-t-elle ? Rendez-vous dans toutes les bonnes librairies pour le fin mot de l'histoire !
La Révolution émoji, de David Groison et Paul Rey (éd. Bayard Graphic', avril 2024, 160 p., 23 €).