Jeph Loeb : « Les films de super-héros citent insuffisamment les auteurs de comics »

ENTRETIEN. Mythique scénariste du 9e art pour Marvel et DC, mais aussi producteur de séries (« Lost », « Smallville »…), le vétéran de passage à Paris s’est confié au Point Pop.

Propos recueillis par Yaël Djender

Jeph Loeb
Jeph Loeb © DR

Temps de lecture : 8 min

Le Point Pop est gâté au rayon comics : après notre rencontre, le mois dernier, avec le dessinateur et patron de DC Comics Jim Lee, voilà que nous croisons la route de son éminent confrère, le scénariste mythique Jeph Loeb, au Paris Fan Festival le 27 avril. Ces deux seigneurs de leur catégorie avaient d'ailleurs collaboré sur Batman : Hush (2002), mais penchons-nous cette fois sur messire Loeb et ses impressionnants faits d'armes.

La newsletter pop

Tous les troisièmes mercredis de chaque mois à 12h

Recevez le meilleur de la pop culture !

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Plus de trente ans de carrière dans les comics (alternativement pour Marvel ou DC), onze récompenses pour des œuvres aussi acclamées que Les Saisons de Superman (1998) ou Batman : un long Halloween (1996-1997), plusieurs films cultes à son actif (Commando, Teen Wolf…), la coproduction de Lost, Smallville, Heroes… Sans oublier le titre de président de Marvel Television pour l'ensemble de la dernière décennie, au nom duquel il a supervisé, pour le compte de Netflix, les séries Daredevil, The Punisher, Jessica Jones, Agents of SHIELD

Autant de feuilletons à succès créés sous sa houlette, avant que Marvel Studios ne concentre sa production télévisuelle sur la plateforme de streaming Disney+, voici quatre ans. Bref : dans l'univers partagé des comics et de l'entertainment hollywoodien, Jeph Loeb fait figure de super vétéran touche-à-tout et respecté de tous.

À LIRE AUSSI Du pire au meilleur, nous avons classé tous les films sur Batman

Le sexagénaire légendaire mène depuis peu une préretraite active : quelques comics par-ci par-là, une grosse poignée de conventions de fans aux États-Unis et des apparitions à l'étranger dans des manifestations telles que le Paris Fan Festival, où le Point Pop a eu le plaisir de converser avec l'artiste, au parc des expositions de la porte de Versailles à Paris. L'occasion de recueillir son regard sans langue de bois sur son art, ses rapports étroits avec l'industrie hollywoodienne et le traitement des auteurs-artistes de comics dans les génériques de ces blockbusters de super-héros qui doivent tant à leur travail.

Le Point Pop : Votre présence au Paris Fan Festival n'est-elle pas le signe qu'un retour aux affaires est proche ?

Jeph Loeb : Non, pas vraiment. Quand j'étais directeur de Marvel Television, je n'avais jamais le temps d'être dans les conventions et, quand j'y allais, c'était pour promouvoir les séries de l'entreprise. J'étais deux personnages : le Jeph Loeb de la télé et celui des comics. Je ne pouvais jamais venir en étant juste moi, remercier les fans qui sont mes premiers partenaires. Car, sans eux, pas de vente de comics. Et sans vente, on ne me laisse pas écrire (il rit) ! Alors post-Covid, je me suis mis « on the road » et j'ai commencé une tournée des conventions. Rendez-vous compte : je n'avais jamais fait d'événement de ce genre à Paris dans toute ma vie !

Parlons quand même boulot : écrire pour une bande dessinée et pour la télévision, ce n'est pas du tout le même job, si ?

Pas simple comme question… J'ai fait mes débuts en tant que scénariste de films à 23 ans. Puis j'ai pris l'habitude d'écrire du cinéma pendant plusieurs années avant d'être débauché par Jenette Kahn [éditrice chez DC Comics, NDLR] pour scénariser des bandes dessinées. J'en lisais, mais je n'avais pas la moindre idée de comment les écrire. Pire encore : le dessinateur auquel on m'a associé, Tim Sale, n'avait presque aucune expérience non plus. Alors, nous avons appris à nous connaître tout en apprenant notre métier. J'aime voir les scénarios de comics et de séries comme des cousins. Alors, que j'écrive l'un ou l'autre, je scripte tout, et j'ajoute toujours des indications du style « gros plan » ou « travelling », même en bande dessinée. Ça rend complètement dingues les dessinateurs, qui n'y comprennent rien (il rit) ! Bon, au fil des années, j'ai quand même appris à devenir plus spécifique, attention !

Vous êtes plutôt du genre à visualiser ce que vous écrivez.

Exactement. C'est peut-être peu orthodoxe, mais je me dis « pour qui j'écris ? ». Beaucoup le font pour les spectateurs, ou même pour eux. Ce n'est pas comme ça que je pense : j'ai découvert très tôt qu'on n'écrit pas le même film pour Tom Cruise que celui qu'on écrirait pour Schwarzenegger. Il faut donc savoir très tôt pour quel artiste on taille le texte. Et puis être scénariste, c'est souvent être seul face à l'ordinateur. C'est pour ça que j'aime parfois juste faire une pause et passer deux semaines à discuter avec l'artiste qui, par exemple, va dessiner : qu'est-ce que tu aimes dessiner ? Qu'est-ce que tu n'aimes pas ? Je veux qu'après ça l'acteur ou le dessinateur qui lit mes pages soit excité à l'idée de leur donner vie.

Sur le papier comme à l'écran, une constante malgré tout : les super-héros.

J'ai écrit beaucoup de choses hors super-héros, c'est juste que les gens ne le savent pas (il rit) ! En réalité, si j'apprécie autant les justiciers, c'est aussi parce que j'aime donner de l'espoir au public. J'aime parler de la condition humaine, et montrer que peu importe la situation dans laquelle vous vous trouvez, il y a quelqu'un qui est là pour vous aider, pour embellir votre vie. Prenez Batman : c'est l'histoire d'un homme qui combat le crime pour essayer de compenser l'assassinat de ses parents. Une mission impossible. Pourtant, ça ne l'empêche pas de recommencer tous les soirs, de repartir de zéro chaque nuit.

Le mois dernier, votre ami Jim Lee nous disait qu'il y « a trop de contenus super-héroïques ». Pourtant, à l'époque de Marvel Television (2010-2019), les sorties étaient déjà nombreuses, et les critiques moindres. Le problème ne vient-il pas de la qualité ?

Je déteste être en désaccord avec Jim ! Sur la quantité, quand j'étais chez Marvel, je disais toujours : « Vous vous poseriez cette question sur les innombrables séries policières ? Celles en milieu hospitalier ou avec des avocats ? Assurément, non. » Les super-héros, ce n'est qu'un moyen comme un autre de raconter une histoire. Sur la qualité, maintenant : on s'en fiche de savoir si je trouve bien ou mal ce qu'on produisait à l'époque sur ABC, sur FX ou sur Netflix. Mais je peux sans aucun doute affirmer que les gens aimaient ce qu'on faisait. À l'époque de Smallville, on ne regardait pas la série comme une histoire de super-héros, mais plutôt comme un récit où on avait des choses à raconter et à expliquer… C'est peut-être moins le cas aujourd'hui.

Comment le mastodonte Lost s'insère-t-il dans cette carrière ?

Déjà, pas de Lost sans Damon Lindelof [cocréateur de la série, NDLR], un scénariste talentueux et un homme super. Il m'a tellement appris sur l'écriture. C'était un honneur de bosser sur cette série. À l'époque, on me demandait littéralement d'embarquer sur le plus gros show de tous les temps. Je pense que la raison pour laquelle j'ai atterri là, c'est d'abord parce que Damon était un grand fan de comics. Mais aussi parce qu'il a vu dans ma plume la capacité de multiplier les histoires. Quelque part, quand vous regardez Lost, vous retrouvez mes X-Men : Locke est un peu le Professeur X, Jack est Cyclope, Sawyer ressemble à Wolverine. Nous ne l'avons pas forcément écrit comme ça, mais, à partir du moment où Locke est chauve et en fauteuil roulant, vous comprenez la référence.

À LIRE AUSSI Avons-nous encore besoin des super-héros au cinéma ?

Vous parliez de vos débuts dans le cinéma tout à l'heure. Cela vous démange-t-il d'y revenir ?

Ne jamais dire jamais ! C'est toujours une question d'histoire, de savoir d'où on commence. Quel réalisateur et quels acteurs ont été approchés ? Est-ce que je peux leur parler du projet ? Quand j'étais plus jeune, j'acceptais les jobs sans avoir ces informations parce qu'il fallait bien que je paye mon loyer. Maintenant j'ai la liberté d'écrire et de voir si ça suscite l'intérêt de quelqu'un. Le problème, c'est que, si ça n'intéresse personne, vous ne pouvez le publier nulle part, contrairement à un livre. Alors, ça finit par traîner sur une étagère. Mes étagères sont pleines.

Les deux films d’animation “Spider-Verse” sont géniaux. Je regrette simplement qu’il faille attendre la fin du générique pour avoir une ligne qui mentionne Brian Michael Bendis ou Sara Pichelli, qui ont créé le personnage.

Donc il y a des acteurs et réalisateurs en activité avec lesquels vous aimeriez travailler.

Vous m'avez eu (il rit) ! Allez, je dois dire que j'adore Ridley Scott, Guy Ritchie et Matthew Vaughn. Mais attention : pas le Matthew Vaughn des films de super-héros : j'aime encore plus celui des films de gangsters. Beaucoup de réalisateurs britanniques, donc, auxquels j'ajouterais bien entendu mes préférés, Francis Ford Coppola et Steven Spielberg, Christopher Nolan pour plein de raisons et évidemment le géant Scorsese. Et Ben Affleck, aussi : je suis très fan d'Argo. Du côté des acteurs, j'adore Tom Cruise. J'ai récemment regardé dix de ses films pour voir à quel point il a grandi et évolué en tant qu'acteur. Vous pouvez aussi ajouter Brad Pitt, George Clooney… Tout le casting des Ocean's, en fait.

Un long Halloween a d'ailleurs été une source d'inspiration majeure pour The Batman (2022)…

Oui. Je veux remercier mon ami Matt Reeves pour avoir dit publiquement à quel point son film est inspiré de mes comics. On cite trop rarement les artistes qui ont fourni la matière première pour tous ces super films que l'on voit aujourd'hui. Sur les deux films d'animation Spider-Verse, par exemple, je trouve génial ce qu'ont fait Phil Lord et Chris Miller avec le personnage de Miles Morales. Je regrette simplement qu'il faille attendre la fin du générique pour avoir une ligne qui mentionne Brian Michael Bendis ou Sara Pichelli, qui ont littéralement créé le personnage. Même chose pour les Avengers et Civil War, réalisés par les frères Russo… Quand vous regardez l'adaptation d'un livre au cinéma, vous avez toujours d'entrée de jeu « inspiré d'un roman d'untel ». Je voudrais qu'on arrive à la même chose pour les films inspirés de comics.

Aucun coup de fil de James Gunn, qui lance son univers DC sur grand écran ?

Aucun. Pour le moment.

Je ne pouvais pas filer sans vous demander l'œuvre que vous préférez dans votre répertoire.

Je dirais que c'est Les Saisons de Superman, parce que j'y parle d'une relation père-fils qui renvoie à celle que j'avais avec mon propre fils, qui nous a quittés il y a 20 ans [Sam Loeb avait 17 ans, il est décédé des suites d'un cancer, NDLR]. Ça me fait sourire de savoir que mon petit garçon fait partie de l'univers DC, et je suis reconnaissant à DC de m'avoir laissé faire cette histoire.

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération