Idéfix, le petit arbre qui cache la forêt d’Astérix

Le premier spin-off tiré d’Astérix débarque à la télévision et annonce une grande offensive transmédia autour de l’univers du petit Gaulois.

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Idéfix et ses compagnons accourent sur France Télévisions.
Idéfix et ses compagnons accourent sur France Télévisions. © 2021 Studio 58/GMT productions

Temps de lecture : 8 min

Idéfix en héros d’une série animée sur France Télévisions, un nouvel album d’Astérix qui sera l’événement éditorial de l’automne, une exposition consacrée au petit Gaulois dans le cadre majestueux du château de Malbrouck en Moselle, en attendant la première aventure originale – et donc non tirée d’un album existant – d’Astérix sur grand écran (Astérix et Obélix : l’Empire du Milieu) et, à plus long terme, une création pour le géant Netflix. Sans oublier un jeu vidéo au titre suggestif (Astérix et Obélix : Baffez-les tous !) prévu sur la totalité des consoles pour la fin de l’année. N’en jetez plus ! Le petit village gaulois, qui en avait sans doute assez de résister encore et toujours à l’envahisseur, a décidé de lancer une offensive tous azimuts, coordonnée principalement depuis un quartier général. Les éditions Hachette, détentrices des éditions Albert René et qui possèdent la totalité des droits d’Astérix depuis 2011, sont au cœur d’une stratégie de développement qui est en train de connaître un brutal coup d’accélérateur.

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La série animée Idéfix et les Irréductibles, déjà visible sur la plateforme Okoo de France Télévisions, constitue déjà en soi un événement : il s’agit en effet du premier spin-off tiré de l’univers d’Astérix, qui plus est destiné à la télévision – le seul médium étrangement tenu à distance des multiples adaptations de la franchise au succès mondial (près de 400 millions d’albums vendus dans le monde depuis 1959). Le choix des créateurs et producteurs (Studio 58, filiale de Hachette, en coproduction avec GMT, qui appartient au groupe qui monte Mediawan) s’est donc porté sur Idéfix, un personnage au capital sympathie inversement proportionnel à son épaisseur dramaturgique – à l’exception de son amour pour les arbres, on en sait assez peu sur les états d’âme du canidé, à qui Goscinny n’avait pas souhaité donner la parole.

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Idéfix est apparu au détour d’une case dans l’album Le Tour de Gaule d’Astérix publié en 1965. Pour la petite histoire, rappelée par Aymar du Châtenet, administrateur de l’Institut Goscinny, si Idéfix « n’est pas nommé dans le script du scénario, Goscinny a bien l’intention de le faire exister, car sur les 2 112 pages de scénarios d’Astérix, c’est l’unique fois où le scénariste souligne une expression ! » (en l’occurrence « À la porte se trouve un petit chien »). Par la suite, le journal Pilote proposera un jeu-concours pour que les lecteurs offrent un nom à l’animal avant qu’Idéfix ne constitue, avec Astérix et Obélix, un trio sensiblement équivalent à celui formé par Tintin, Haddock et Milou. Son importance aux yeux de Goscinny et d'Uderzo se traduira surtout par la création en 1974 des studios Idéfix, dont la vocation était de produire des films d’animation de très haute tenue, inspirés de ceux de Walt Disney, dont les deux complices étaient des admirateurs éperdus.

Le risque de la démonétisation ?

Idéfix et les Irréductibles propose astucieusement de situer son action avant la rencontre du chien avec ses futurs maîtres devant une charcuterie de Lutèce dans Le Tour de Gaule. Animation soignée sous la direction de Charles Vaucelle (le carton Oggy et les cafards, c’est lui), écriture au rythme soutenu orchestrée par Matthieu Choquet (passé par Lastman, l’adaptation du manga à succès de Bastien Vivès) : le contrat d’un produit destiné à un tout jeune public est très honorablement rempli, d’autant plus que le motif de la résistance, qui irrigue la poétique de Goscinny (il faut absolument relire Le Bouclier arverne, sans doute le chef-d’œuvre de la série de ce point de vue), y est omniprésent.

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Mais Idéfix et les Irréductibles n’est que le premier étage d’une fusée, qui vise à mettre en orbite un nouveau satellite Astérix – le premier satellite artificiel français lancé en 1965 portait en effet déjà le nom du héros gaulois. Car outre cet Idéfix sont donc annoncés le film de Guillaume Canet, qui conduira Astérix et Obélix en Chine et qui sera visible en 2022 sur les écrans après une production très contrariée par la crise sanitaire, ainsi qu’une série animée sur Netflix prévue pour 2023 et qui sera cornaquée par un certain… Alain Chabat.

Le réalisateur à succès d’Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre en 2002 (14 millions de spectateurs) a accepté de prendre en charge pour la plateforme une déclinaison en série de l’album Le Combat des chefs, dont le ressort principal est, une nouvelle fois, la résistance à l’occupant romain et à l’acculturation qui l’accompagne. Avec peut-être en tête pour Hachette l’idée de toucher enfin le marché américain, encore réfractaire à l’univers d’Astérix.

<em>Astérix et le Griffon</em> sortira en octobre prochain.
 ©  copyright 2020/Les Editions Albert René /Goscinny-Uderzo
Astérix et le Griffon sortira en octobre prochain. © copyright 2020/Les Editions Albert René /Goscinny-Uderzo
On en viendrait presque à oublier, dans ce maelstrom vertigineux digne d’une machinerie hollywoodienne, la bande dessinée elle-même, alors qu’Astérix et le Griffon, 39e album de la série et 5e album du duo Ferri-Conrad depuis sa reprise des mains d’Albert Uderzo, paraîtra le 21 octobre, avec un probable raz-de-marée à la clé. Le précédent album, La Fille de Vercingétorix, s’est ainsi vendu à plus de cinq millions d’exemplaires, des chiffres d’une autre époque.

Si la nécessité de toucher un plus large public que le vieillissant lectorat de bande dessinée s’impose à tous les éditeurs, existe-t-il un risque, comme Disney l’a hasardé avec Star Wars, de démonétiser un emblème dont la qualité se confond avec sa rareté relative (un nouvel album publié tous les deux ans) ? Céleste Surugue, directeur général des éditions Albert René et cerveau de ce plan de bataille soigneusement calculé, balaie cette interrogation : « Dans l’univers d’Astérix, c’est un moment important en effet. Mais ce sont des projets qui ont été initiés depuis de nombreuses années et qui arrivent à terme dans les prochains mois. Celui sur Idéfix et les Irréductibles, par exemple, a été conçu il y a six ans. Et il ne faut pas s’y tromper : notre vaisseau amiral, c’est bien l’édition. »

« Avec Astérix, on ne pilote pas un compte d’exploitation »

Une autre comparaison pourrait également venir à l’esprit : celle avec Tintin, grand rival devant l’éternel. L’interdiction formulée par Hergé de poursuivre sa série après sa mort oblige Nick Rodwell, à la tête de la Fondation Moulinsart, à de multiples contorsions et à des trésors d’imagination pour toucher un nouveau public, alors que la vente des albums s’érode depuis plusieurs années. Mais elle n’est pas davantage pertinente pour Céleste Surugue : « Nous connaissons une croissance de 30 % du fond de la série depuis 2019. Astérix est ancré dans une histoire forte et patrimoniale, avec des nouveautés qui se vendent remarquablement et qui tirent bien sûr le fond vers le haut. » Avant d’ajouter, très ferme : « Nous avons le souci de garder Astérix comme un événement. La qualité du contenu éditorial prime avant tout. La fréquence de sortie des albums de deux ans n’est pas sanctuarisée : s’il fallait prendre un peu plus de temps, nous le ferions. On ne pilote pas un compte d’exploitation, et on ne peut nous reprocher de conserver un mode de création très artisanale pour la bande dessinée. L’important est que Jean-Yves Ferri et Didier Conrad aient un véritable espace de création pour s’exprimer sereinement et s’amuser. »

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Si le duo, malgré un cahier des charges que l’on imagine volumineux, a su progressivement trouver ses marques et poser sa patte sur ce monument, les véritables chemins de traverse et de liberté sont peut-être à chercher en dehors de la série matricielle. Les exemples d’Alain Chabat ou, plus récemment, d’Alexandre Astier, capables d’insuffler dans des adaptations live ou animées une pointe d’extravagance, incitent plutôt à l’optimisme, d’autant que Céleste Surugue n’oublie pas d’autres champs de développement : « Goscinny et Uderzo étaient des visionnaires, comme on a pu le voir avec les Studios Idéfix, qui furent le premier studio français de film d’animation à afficher une réelle ambition artistique et économique, ou encore la création du Parc Astérix. C’est ce qui a permis six décennies de présence quasi ininterrompues auprès du jeune public. Nous pensons aussi aux jeux vidéo et aux applications pour téléphone portable comme Astérix & Obélix. Vidi Vici. Nos collaborations sur ces projets avec Microids ou Augmenteo, deux marques françaises, sont une vraie source de fierté. »

La patte d’un éditeur de talent

Céleste Surugue
 ©  copyright Christophe Guibbaud
Céleste Surugue © copyright Christophe Guibbaud
Le travail de Céleste Surugue, main de fer dans un gant de velours et de courtoisie, est salué chez ses confrères et concurrents éditeurs, chose rare dans ce milieu plus friand de coups bas que de compliments. L’un d’eux, et pas le plus tendre, confesse même son admiration pour le personnage : « C’est vraiment un éditeur complet, ce qui est rare. Il impressionne par sa culture internationale de la bande dessinée, sa compréhension, extrêmement rare chez un éditeur, du dessin – qu’il pratique lui-même –, et la pertinence de sa vision stratégique en tant que gestionnaire de propriété intellectuelle.

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Depuis son arrivée, les ventes d’Astérix remontent, et surtout celles du catalogue de fond, ce qui est unique. Aucun autre éditeur de cette génération ne témoigne d’une telle vitalité. » À la tête d’Albert René depuis 2014, Céleste Surugue ne semble d’ailleurs pas prêt à passer la main, indépendamment des secousses qui agitent le groupe Hachette : « C’est un rêve d’enfant que de s’être vu confier ce phénomène hors-norme qu’est Astérix. C’est un honneur et un plaisir au quotidien, où se mêlent exigence et ambition. Inévitablement, la contrepartie est que certains développements peuvent prendre du temps. Je suis tombé dans la bande dessinée quand j’étais petit et à défaut d’être devenu moi-même dessinateur, je me suis mis au service d’Astérix, avec de belles envies encore devant moi. » La reconquête gauloise est bien lancée.

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Commentaires (2)

  • libéral avancé

    Confier en partie le devenir de ce monument de la BD à Guillaume Canet et Alain Chabat est un gage de médiocrité et de déchéance.

  • il faut cultiver notre jardin

    On préfèrera série dérivée par exemple
    la rapidité d'écriture n'excuse pas tout