Festival d'Angoulême : Posy Simmonds récompensée par le Grand Prix 2024 

La dessinatrice britannique de « Gemma Bovery » et « Tamara Drewe » succède à Riad Sattouf et devient la cinquième femme à recevoir la plus grande récompense du 9e Art.

par Romain Brethes

Posy Simmonds, dessinatrice de presse, écrivaine, illustratrice de livres pour enfants et auteure de bande dessinée, chez elle à Londres.
Posy Simmonds, dessinatrice de presse, écrivaine, illustratrice de livres pour enfants et auteure de bande dessinée, chez elle à Londres. © Eric TSCHAEN/REA / Eric TSCHAEN/REA

Temps de lecture : 6 min

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C'est une punk déguisée en lady que vient de récompenser le Festival d'Angoulême, en lui accordant la plus haute distinction pour un auteur de bande dessinéeelle succède à Riad Sattouf, lauréat en 2023. Cette illustratrice renommée a tout de la grande dame respectable des lettres anglaises, elle qui est membre de l'ordre de l'Empire britannique pour services rendus à la presse de son pays. Mais derrière son allure so british et son sourire malicieux, Posy Simmonds a quelque chose de délicieusement indigne.

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Cette francophile est particulièrement flattée de recevoir ce Grand Prix, qui revêt une importance particulière pour elle ainsi qu'elle l'a confié au Point : « Faire partie des trois dernières nominations était déjà une surprise pour moi, gagner le prix en a été une encore plus grande ! Bien sûr, je suis très heureuse… et un peu abasourdie aussi. C'est un prix si prestigieux. Et un prix français, ce qui signifie beaucoup pour moi en tant qu'étrangère. Après le Brexit, on se sent coupé métaphoriquement du reste de l'Europe. Ce prix me fait me sentir en famille [en français dans le texte]. »

Une scène tirée de <em>Literary Life</em> parue dans le <em>Guardian</em>
 ©  Posy Simmonds/Denoël Graphic
Une scène tirée de Literary Life parue dans le Guardian © Posy Simmonds/Denoël Graphic
Quant à être la cinquième femme seulement à obtenir cette récompense en cinquante ans d'existence du Festival d'Angoulême, elle s'en réjouit, non sans une pointe d'ironie : « Dans un monde parfait, le sexe d'un lauréat ne devrait pas être remarquable, et ne devrait pas avoir à être mentionné… mais c'est un monde imparfait. La BD a toujours été un bastion masculin. Peu à peu, et surtout au cours des dernières décennies, les femmes ont infiltré le Boys' Club, et je suis heureuse d'être l'une d'entre elles. »

Dans un monde parfait, le sexe d'un lauréat ne devrait pas être remarquable

Vous l'aurez compris, Posy Simmonds n'a pas sa langue dans la poche, ce qui est perceptible aussi bien dans son dessin que dans ses histoires, qui associent une élégance folle et une cruauté ravageuse. Elle est depuis longtemps une star au Royaume-Uni, elle qui est devenue une figure familière des Britanniques grâce à ses illustrations pour le Guardian, le grand quotidien de centre gauche, où elle officie depuis… 1972, avec ses dessins et séries sociologiques et satiriques, entre Claire Bretécher et David Lodge.

Amoureuse de Flaubert

L'une de ses cibles privilégiées n'est autre que le petit milieu de l'intelligentsia progressiste outre-Manche, comme dans Literary Life, un recueil de saynètes publié dans le supplément littéraire du Guardian entre 2002 et 2005. Elle y évoque l'écosystème littéraire et ses dérives douteuses. De l'écrivain goguenard interpellant une jeune hôtesse lors d'un cocktail (« Vous êtes très belle, vous n'avez jamais songé à devenir romancière ? ») au romancier implorant sa femme de ne pas le quitter trop vite (« Je n'ai pas terminé mon roman. J'ai besoin de ton malheur »), Posy Simmonds y peint avec un humour cinglant ce tout petit monde saturé de frustrations et de vanité. Mais en France, il a fallu attendre 2000, et la parution de Gemma Bovery, pour que la renommée de cette grande admiratrice du génial caricaturiste anglais Thomas Rowlandson franchisse enfin les frontières de l'Angleterre.

Elle qui découvrit le dessin dans les pages de Punch, un magazine britannique réputé pour ses caricatures qui trônait dans la bibliothèque familiale, est aussi une amoureuse de la littérature classique – notamment française. Son premier roman graphique – un genre qui semble avoir été inventé rien que pour elle, tant dessins et textes y fusionnent comme jamais – est ainsi plus qu'un clin d'œil à l'héroïne de Gustave Flaubert. Gemma, une jeune Anglaise un peu éthérée, s'installe dans la campagne normande et s'y ennuie à mourir, sous le regard intrigué du boulanger du cru. Cette histoire douce-amère, qui vire à la tragédie de façon inattendue, a été adaptée au cinéma par Anne Fontaine, avec Fabrice Luchini dans le rôle du boulanger amoureux transi et Gemma Arterton (avec un tel prénom, le rôle ne pouvait lui échapper) dans celui de l'héroïne éponyme.

« Dans la nouvelle vague des romans graphiques, il y a Posy Simmonds…et qui d’autre ? »

Cette même Gemma Arterton a également incarné à l'écran une autre héroïne flamboyante de Posy Simmonds, Tamara Drewe, dans l'adaptation signée Stephen Frears d'un album publié en 2008, tiré cette fois d'un roman de Thomas Hardy (écrivain que Simmonds trouve toutefois « un peu sinistre et moraliste »), Loin de la foule déchaînée. La belle Tamara, vilain petit canard parti de sa campagne pour gagner la capitale, y revenait en journaliste branchée, objet de toutes les convoitises masculines, et provoquant une joyeuse panique au sein d'un atelier d'écriture pour intellectuels londoniens.

Une planche tirée de <em>Tamara Drewe </em>paru en 2008
 ©  Posy Simmonds/Denoël Graphic
Une planche tirée de Tamara Drewe paru en 2008 © Posy Simmonds/Denoël Graphic

Un succès salué par le romancier américain Tom Wolfe, qui posait alors cette question : « Dans la nouvelle vague des romans graphiques, il y a Posy Simmonds… et qui d'autre ? »

La Simmondstouch

S'il a fallu plus de dix ans de patience au lecteur pour découvrir le successeur de Tamara Drewe, il ne faut pas y voir une lente maturation indispensable au processus créatif de Simmonds : « C'est long, mais des raisons inintéressantes au possible, comme des commandes que je devais honorer pour gagner du fric, m'ont énormément retardée ! » confessait-elle au Point au moment de la sortie de Cassandra Darke en 2018.

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Tout Posy Simmonds est là, dans ce mélange d'ingénuité, de grâce et de crudité, qui donne à ses planches, subtil équilibre de textes ciselés et de dessins éblouissants, une tonalité si singulière. Dans ce troisième roman graphique de longue haleine, Simmonds prend le contrepied de ses personnages précédents. La protagoniste de ce conte de Noël inspiré lointainement de Charles Dickens n'a en effet plus rien de l'oie blanche ou de la femme fatale. Cassandra est une sexagénaire et la directrice acariâtre d'une galerie d'art contemporain à Chelsea, un quartier branché et chic de Londres, qui ne prête aucune attention à son apparence, et affiche le plus profond mépris pour ses contemporains, qu'elle insulte à l'envi sur les trottoirs.

Une planche tirée de <em>Cassandra Darke</em>, le dernier roman graphique de Posy Simmonds
 ©  Posy Simmonds/Denoël Graphic
Une planche tirée de Cassandra Darke, le dernier roman graphique de Posy Simmonds © Posy Simmonds/Denoël Graphic

Ce choix d'un personnage peu aimable était parfaitement assumé par Posy Simmonds : « Je voulais une héroïne déviante, différente de ce que les femmes sont supposées être, méprisant les valeurs attachées à la féminité comme la famille, la douceur… C'est drôle, ce sont des idées que #MeToo a fait émerger quelque temps après. »

Posy est rusée, un peu oblique. Il faut savoir lire entre les lignes de ses livres

Cette galerie de personnages forme un bûcher des vanités qui ne serait rien sans la Simmondstouch, mélange d'humour et de sens de la formule imparables, qui préserve son œuvre d'un pessimisme et d'une noirceur trop prononcés. Jean Harambat, Prix de la BD du Point en 2014 pour Ulysse. Les Chants du retour, et auteur d'une savoureuse trilogie anglaise (Opération Copperhead, Le Detection club, La Pièce manquante), connaît bien Posy Simmonds, dont il est un exégète averti de l'œuvre : « Mon Angleterre à moi est celle d'une carte postale pour un public français, tandis que celle de Posy Simmonds est passée au filtre de son œil acéré. Posy est rusée, un peu oblique. Il faut savoir lire entre les lignes de ses livres, mais aussi de ses entretiens. C'est une véritable sociologue dans la manière dont elle travaille, à écouter les conversations dans les bus, à observer furtivement derrière les rideaux des maisons londoniennes. Elle guette le narcissisme à l'œuvre dans nos sociétés, un peu à la façon d'une Jane Austen contemporaine, avec une cruauté de velours. Elle capture le réel comme peu de dessinateurs sont capables de le faire aujourd'hui. »

Posy Simmonds, qui a les honneurs d'une grande rétrospective à la BPI de Beaubourg jusqu'au 1er avril 2024, a cru désespérer au soir du Brexit (« Quelle hypocrisie… Certains Brexiters, sitôt les résultats du référendum connus, ont transporté leur fonds d'investissement à l'étranger ! »). Se verrait-elle alors s'installer définitivement dans l'Hexagone, et pourquoi pas dans la campagne normande de Gemma Bovery, à la manière de l'un ses plus illustres concitoyens, un certain David Hockney ? « Avant, je voulais vivre en France. Pas en tant qu'immigré économique, mais en tant qu'immigré gastronomique, à cause de l'horrible nourriture en Grande-Bretagne. Bon, la nourriture s'est améliorée ici… Mais je continuerai à visiter la France aussi souvent que possible ! »

Gemma Bovery, Tamara Drewe, Cassandra Darke et Literary Life sont publiés chez Denoël Graphic
« Posy Simmonds. Dessiner la littérature », exposition à la BPI du Centre Pompidou jusqu'au 1er avril 2024

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Commentaire (1)

  • Jepirad

    Dans la BD il y a des planches qui valent largement des tableaux de grands peintres. La British a un beau graphisme. De plus elle a une belle plume. Elle un truc un peu Frenchie. Bravo madame !