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Adapter Dune au cinéma, mission impossible ? Cette question m'habite depuis de nombreuses années. C'est un point que j'aborde longuement dans la première partie de mon essai Dune, un chef-d'œuvre de la science-fiction (Pocket Imaginaire, 2023). À l'instar du Seigneur des anneaux, le roman de Frank Herbert a une histoire tumultueuse avec le septième art. Après le pharaonique projet avorté d'Alejandro Jodorowsky, David Lynch n'avait pas su rendre justice à un texte dont il était pourtant un fin connaisseur.
Avec Dune : deuxième partie, Denis Villeneuve se montre à la hauteur d'un défi pourtant immense. Encore plus spectaculaire et rythmé que le premier opus, tout en ayant une vraie profondeur, son long-métrage est aussi bien un vibrant hommage à l'œuvre de Frank Herbert qu'une réécriture très personnelle de ce riche univers de science-fiction. Comme lorsqu'il s'était attaqué à l'adaptation de la première moitié du roman, Villeneuve se montre respectueux du matériau d'origine. Sa passion pour Dune, née pendant son adolescence, transparaît à chaque seconde de son film. Si Dune : deuxième partie est une superproduction hollywoodienne, il s'agit plus encore d'un film d'auteur. Mieux : une déclaration d'amour adressée à une œuvre à laquelle Villeneuve a toujours voué un véritable culte.
Cette adaptation de la seconde moitié du roman de Frank Herbert est un émerveillement. Une expérience visuelle et sonore dont on ne peut pas ressortir indifférent. Principale scène d'une épopée gigantesque et d'une tragédie intrafamiliale, le fascinant désert d'Arrakis est un personnage à part entière de l'intrigue. D'une beauté envoûtante, les décors naturels sont le lieu d'une aventure initiatique aussi bien pour le jeune Paul Atréides que pour les spectateurs, tant la sensation d'immersion est forte.
La raison contre le fanatisme
Denis Villeneuve continue à développer les personnages principaux du premier film, tout en réussissant à introduire de nouveaux antagonistes majeurs. Le personnage de Feyd-Rautha (incroyable Austin Butler), neveu du terrible baron Harkonnen, fascine par une noirceur qui le rend encore plus effrayant que son oncle. Une prouesse ! Villeneuve réussit également le tour de force de donner une vraie place dans l'intrigue à la princesse Irulan, un choix malin quand on sait son importance dans Le Messie de Dune, second tome que le réalisateur canadien rêve d'adapter.
En se lançant le défi de porter à l'écran le roman de science-fiction le plus lu au monde, Denis Villeneuve avait présenté Dune comme un « Star Wars pour adultes ». Fidèle à la volonté de Frank Herbert, son film dénonce avec vigueur les liaisons dangereuses de la politique avec l'héroïsme et la religion. Au fanatisme du chef fremen Stilgar s'oppose le regard critique de Chani, dont Paul Atréides va tomber éperdument amoureux. Encore plus indépendante que dans le roman, la jeune femme incarne la lumière de la raison dans une société tentée de céder aux sirènes du messianisme. La réécriture de ce personnage féminin et féministe, incarné par l'une des actrices les plus populaires au monde (Zendaya), est un acte fort : en héritier assumé d'Herbert, Villeneuve nous invite à ne jamais abandonner notre faculté de jugement, quels que soient les leaders et les circonstances.
Tout en étant une œuvre complexe, Dune : deuxième partie parvient à s'adresser à tout le monde. Les libertés prises avec le matériau d'origine sont souvent nécessaires : elles visent notamment à ne pas rebuter les néophytes de cet univers de fiction. Véritable adulte dans le corps d'un enfant, le personnage d'Alia, petite sœur de Paul, est présenté dans le roman comme une abomination. Denis Villeneuve réussit astucieusement à l'intégrer à son intrigue sans susciter pour autant le même sentiment d'inquiétante étrangeté que dans le film de Lynch.
Le réalisateur canadien veille également à ce que le dénouement soit moins ambigu que chez Herbert. Doux-amer, le dernier acte de sa tragédie des sables ne célèbre que partiellement le triomphe de la nature et de la liberté sur l'artificialité et l'oppression. En un effet miroir avec une scène du début du film, on assiste à l'incinération des adversaires vaincus. L'identité des victimes change, mais l'acte accompli est exactement le même. Une manière de montrer que le cycle de la violence n'est pas près de s'achever. On est ici bien loin des dernières minutes du Retour du Jedi (1983), troisième film d'une trilogie librement inspirée de Dune. Chez Villeneuve, la victoire par les armes ne constitue pas un apogée, mais seulement une étape, laquelle n'engendre aucune liesse ni accalmie.
Pour marquer ses différences avec la saga créée par George Lucas, Dune : deuxième partie évite soigneusement toute forme de manichéisme. À l'image de Paul Atréides, personnage principal que Timothée Chalamet incarne avec beaucoup de justesse, c'est ici le clair-obscur qui domine. Une idée magistralement mise en scène sur Giedi Prime, planète des Harkonnen. Éclairée par un soleil de faible intensité, elle plonge les personnages qui s'y trouvent dans un constant mariage de noir et de blanc. Une métaphore parfaite de Dune, un univers dans lequel les notions de bien et de mal tendent à se confondre à mesure que l'on avance dans l'intrigue.
Probable triomphe, nouvelle ère ?
À l'opposé de plusieurs blockbusters des années 2010-2020, Dune : deuxième partie n'est pas seulement une nouvelle démonstration du fantastique pouvoir des effets visuels. Si ces derniers sont une incontestable réussite, ils n'écrasent pas pour autant le film de leur présence. Au contraire, Denis Villeneuve les met au service d'une histoire dont la puissance réside avant tout dans la richesse de ses thématiques et la complexité de ses personnages, tous remarquablement interprétés.
Le réalisateur canadien ne rend pas seulement hommage au chef-d'œuvre de Frank Herbert. Il œuvre plus globalement en faveur de la science-fiction. Longtemps considéré comme futile, ce genre connut un tournant majeur en 1965 avec la publication de Dune. Frank Herbert entendait proposer à ses lecteurs une évasion et une aventure sans commune mesure. Mais, plus encore, il souhaitait établir des liens forts entre la science-fiction et des domaines aussi différents que la poésie, la philosophie, la politique, la psychologie et l'écologie. Roman d'une richesse étourdissante, Dune est un chef-d'œuvre de la littérature.
Tout en prenant des libertés nécessaires avec le matériau d'origine, le long-métrage de Villeneuve en conserve l'esprit et la complexité. À la différence des mauvaises adaptations d'œuvres littéraires, il n'incite pas à retourner à la source originale pour regretter que celle-ci ait été sacrifiée au nom d'une nécessaire simplification cinématographique. Non, Dune : deuxième partie est un voyage dans une galaxie lointaine mais surtout une réflexion sur notre monde et son avenir. Ce film ne s'oppose pas au roman dont il s'inspire : il le complète et en magnifie le caractère visionnaire. Il est surtout une formidable invitation à sa lecture ou à sa relecture.
Dune : deuxième partie est un sommet du septième art et peut-être – c'est le vœu que je formule – un tournant dans l'industrie hollywoodienne. Souhaitons que le cinéma exigeant de Denis Villeneuve fasse des émules. À l'époque du reboot roi et des histoires sans fin qui démythifient même les plus solides des sagas, le probable triomphe de Dune pourrait bien marquer le début d'une nouvelle ère. Tous sur Arrakis ? Oui ! Et même au-delà !
* Nicolas Allard est professeur agrégé de lettres modernes en classe préparatoire et essayiste dans les domaines de la science-fiction et de la pop culture. Spécialiste de l'œuvre de Frank Herbert, il est l'auteur de « Dune, un chef-d'œuvre de la science-fiction » (Pocket Imaginaire, édition corrigée et augmentée par l'auteur en collaboration avec son éditrice Charlotte Volper, 2023).
Un grand merci à Denis Villeneuve pour cette adaptation. Même si quelques libertés ont été prises, la mise en image est plutôt fidèle et l'on a pas le temps de s'ennuyer. S'il fallait coller au plus juste du roman, il faudrait passer la journée au cinéma, tant l'œuvre est riche. In fine, encore merci M. Herbert