« Dune » : la genèse du mythe créé par Frank Herbert

Quelles sont les sources d’inspiration du roman de l’Américain Frank Herbert qui a servi de scénario aux films de Denis Villeneuve ? Éléments de réponse.

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Devenu un « classique », le livre « Dune » de Frank Hebert fait l'objet d'une adaptation au cinéma avec Zendaya et Timothée Chalamet, et d'une exégèse savante dans plusieurs universités à travers le monde.
Devenu un « classique », le livre « Dune » de Frank Hebert fait l'objet d'une adaptation au cinéma avec Zendaya et Timothée Chalamet, et d'une exégèse savante dans plusieurs universités à travers le monde. © Warner Bros.

Temps de lecture : 7 min

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Une planète victime du réchauffement climatique dont l'hémisphère sud est devenu si désertique que l'on y extrait le liquide corporel des défunts avant de les inhumer, afin de constituer des réserves d'eau. Un peuple éléctrisé par un prédicateur fanatique qui annonce l'arrivée d'un homme providentiel qui conduira une « guerre sainte » contre une puissance « colonisatrice ». Un leader politique qui voit une nuée d'envahisseurs se presser aux frontières de son pays et qui envisage sérieusement de recourir à l'arme atomique pour se défendre, quitte à provoquer l'apocalypse nucléaire…

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Pris un à un, les ingrédients qui composent le scénario du nouveau film de Denis Villeneuve, Dune : deuxième partie, sonnent étrangement à l'oreille. Certaines références sont d'une telle actualité que l'on peine à comprendre qu'elles figurent dans un livre paru en 1965 ! Le roman d'anticipation Dune, qui sert de trame au scénario, fêtera pourtant bien son 60e anniversaire en 2025. Où son auteur, Frank Herbert, est-il allé chercher toutes ces idées ?

Plusieurs universitaires dessinent des pistes de réflexion intéressantes. Stéphane Sitayeb, professeur de littérature anglaise à l'université d'Évry-Paris-Saclay, suggère ainsi que Herbert a pioché dans des études prospectives sur l'évolution du climat terrestre. Il relève, en effet, dans un article publié sur le site The Conversation que « Dune prédit avec justesse un avenir dystopique, décrivant les multiples périls potentiels auxquels les humains pourraient être confrontés plus tard ». En ce sens, ce roman s'inscrit dans la même veine que La Guerre des mondes, de Herbert George Wells, publié en 1898, Nous, d'Evgueni Zamiatine (1920), Le Meilleur des mondes, d'Aldous Huxley (1932), ou encore Ravage, de René Barjavel (1943).

« Dune », une dystopie nourrie d'influences diverses

D'autres influences sont notables. La genèse de Dune est connue. Frank Herbert a 39 ans quand il en commence l'écriture. Journaliste indépendant, il habite dans l'Oregon, dans l'ouest des États-Unis, et travaille pour plusieurs titres parmi lesquels The Seattle Star, Oregon Statesman et San Francisco Examiner's California Living Magazine. Fasciné par les dunes du comté de Lane qui surplombent l'océan Pacifique, Herbert consacre une série d'articles à ces collines de sable que sculptent les vents du large. En 1963, ce décor lui inspire une histoire qui se passe dans un futur lointain (en l'an 10191), sur une planète d'une autre galaxie (Arrakis).

À LIRE AUSSI « Dune : deuxième partie » : la raison contre le fanatismeCe monde est ravagé par les Harkonnen, des êtres repoussants, gras et chauves, en quête d'« épices ». Cette matière première ne sert ici pas tant à cuisiner qu'à faire fonctionner les vaisseaux spatiaux et à permettre des « sauts de conscience ». La surexploitation de cette ressource naturelle provoque un désastre écologique sur Arrakis. Le fléau fait étrangement écho aux mises en garde du Français Élisée Reclus (1830-1905) qui, le premier, a dénoncé les méfaits de l'action de l'homme sur son environnement. Ce géographe aux idées anarchistes n'a-t-il pas prophétisé que l'industrie risquait de perturber « l'harmonie des climats » dès 1864 ?

Frank Herbert a lu Reclus quand il était étudiant à l'université de Washington, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. A-t-il gardé en tête cet avertissement de l'écrivain français ? « C'est une perte irréparable peut-être, et l'humanité trop impatiente de jouir, trop indifférente au sort des générations futures, n'a pas encore assez le sentiment de sa durée pour qu'elle songe à conserver précieusement la beauté de la Terre », lit-on sous la plume d'Élisée Reclus.

Clins d'œil à l'histoire gréco-romaine

Dans un ouvrage collectif, dirigé par Isabelle Lacroix, professeure à l'Université de Sherbrooke (Canada), intitulé Les Enseignements de Dune : enjeux actuels dans l'œuvre phare de Frank Herbert (Presses universitaires du Québec, 2020), les physiciens canadiens Jonathan Genest et Jacques Beauvais notent en tout cas la défiance de Frank Herbert pour les technologies qui ont vu le jour peu de temps avant (notamment le laser, le nucléaire et l'informatique). L'écrivain les juge éminemment dangereuses et décrit les réactions que peuvent susciter chez les Fremen, population qui vit dans les grottes d'Arrakis, ces avancées scientifiques jugées menaçantes : la montée en puissance de croyances archaïques et le retour de la superstition !

Si le livre de Frank Herbert a une indéniable portée philosophique, c'est qu'il revisite l'histoire de l'humanité sous ce prisme technophobe. Ce qui le conduit à multiplier les clins d'œil à l'histoire gréco-romaine. Dans l'empire que dirige le tyrannique baron Vladimir Harkonnen (interprété par l'effrayant Stellan Skarsgård), les foules sont ainsi diverties par des combats de gladiateurs organisés dans une sorte de grand Colisée. La révérende-mère, Gaius Helen Mohiam (jouée par Charlotte Rampling), est à la tête d'un ordre secret dont le nom, Bene Gesserit, signifie en latin « celle qui se sera bien comportée ». Et le héros, Paul (campé par Timothée Chalamet), fait partie de la dynastie des Atréides qui sonne étrangement comme celle des Atrides, une famille dont la mythologie nous décrit le destin heurté.

Frank Herbert multiplie aussi les références à l'histoire musulmane. Comme l'évoque le politologue canadien d'origine libanaise Sami Aoun, son roman est truffé de termes arabes. Paul Atréides est ainsi surnommé le Mahdi, allusion au 12e imam caché, descendant de Mahomet qui annonce la fin des temps. Il est aussi surnommé Muad'dib, qui désigne « le professeur » ou « Lisan al Gaib », c'est-à-dire « la voix invisible » qui évoque, dans la mystique soufie, la parole divine.

Quant aux combattants Fremen, Herbert les baptise fedaykins, un vocable qui rappelle curieusement les fedayins palestiniens, dont le nom signifie « ceux qui sont prêts à se sacrifier ». Le recours à ce vocabulaire arabe (hautement symbolique) serait une influence de Tolkien, si l'on en croit Alan Wilson Watts, ami de Frank Herbert qui insiste sur l'intérêt que le romancier pouvait avoir pour le travail du philologue d'Oxford.

Une fable amérindienne

Pour Daniel Immerwahr, la source d'inspiration directe de Dune est plutôt à chercher dans une rencontre que Frank Herbert a faite à la fin des années 1940 au cours d'une partie de pêche dans le parc national qui jouxte sa ville natale de Tacoma, dans l'État de Washington. L'universitaire américain, professeur d'histoire à la Northwestern University, détaille cette analyse dans un article paru en 2022 dans le Journal of American Studies.

À LIRE AUSSI « Dune 2 » : le triomphe de la SF visionnaireDaniel Immerwahr y raconte que le fils du romancier, Brian Herbert, rapporte que son père fit là-bas la connaissance d'un Amérindien, Henry Martin, également connu sous le nom de Han-daa-sho. Cet homme, de la tribu Ho, qui vivait dans la réserve du peuple Quileute à La Push, un village sur la côte Pacifique, Frank Herbert le désignera dans certains de ses écrits comme « l'Indien Henry ». Il lui aurait enseigné pendant deux ans des contes et légendes qui auraient modelé son imaginaire. Parmi ces histoires figure un récit sur un changement climatique à venir qui remodèlera intégralement le visage de notre planète.

Contacté par Le Point, l'historien reconnaît ne pas avoir plus de détail sur cette histoire. Mais il insiste sur le fait qu'un roman ultérieur de Frank Herbert (Soul Catcher, ou Le Preneur d'âmes en français), paru en 1972, décrit de manière fictionnelle cette rencontre. « Dans cet autre livre teinté d'autobiographie, Herbert narre comment cet homme lui a transmis des connaissances utiles pour survivre dans le monde sauvage. Une relation qui ressemble étrangement à celle que Paul Atréides peut avoir avec Stilgar dans Dune  », relève l'universitaire.

Dans Soul Catcher, le héros, un adolescent blanc, ressemble étrangement à Paul en ce qu'il culpabilise lorsqu'il découvre que ses semblables ont volé les terres indiennes et exploité leurs forêts sacrées, comme les Harkonnen le font avec les Fremen. « On sait que l'éducation de Frank Herbert s'est poursuivie grâce à son amitié étroite avec l'écologiste Howard Hansen, dont l'origine est incertaine mais qui se présentait lui aussi comme amérindien, et avec un autre homme, Lester Payne, du peuple Quileute. Ces deux hommes ont partagé avec lui les traditions de leur ethnie, notamment ce rite de passage qui consiste à harponner des baleines comme les Fremen le font avec des vers de sable », poursuit Daniel Immerwahr.

Howard Hansen a laissé derrière lui ses mémoires, Twilight on the Thunderbird (ouvrage non traduit en français). Y sont décrits les crimes commis par les Occidentaux contre les populations autochtones. À ses yeux, « le pire d'entre eux a été commis contre la nature en transformant la forêt dense et humide de l'Oregon en “boue” et en “terre cuite”. Un jour, cette Terre ne sera plus rien d'autre qu'une grande dune », met en garde Howard Hansen. Un propos qui correspond à la tonalité sombre du cycle romanesque de Frank Herbert, tout entier placé sous le signe de la dévastation environnementale.

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Commentaires (3)

  • Yuropp

    J'ai lu tous les tomes de Dune, et j'ai l'impression que le journaliste a lu une autre histoire… Remarquez, c'est fréquent dans ce job.

    N'empêche, F. Herbert nous a fait un sacré pied de nez en mourant juste après avoir ouvert une porte gigantesque vers un univers qui promettait d'être plus vaste que celui de tous les tomes précédents réunis…

    F. Herbert est aussi le seul auteur, à ma connaissance, à avoir décrit des extra-terrestres (les "co-sentients") qui soient davantage que des humains avec des oreilles pointues et des comportement d'humains.

  • Dinarobyn

    L'autre face de F. Herbert est qu'il était aussi anti-gouvernement, et ne pouvait encadrer les'liberals'.

  • MarcN

    Je suis allé voir ce film cet après-midi et j’ai passé un très bon moment.
    J’appéhendais la longueur mais le scénario est tellement captivant qu’on ne voit guère le temps passer.