« Rocketman » : et Elton John écrivit sa légende

Le biopic produit par la star relate la métamorphose du petit Reggie en Elton Hercules John, demi-dieu de l'industrie du disque. Époustouflant.

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        Truc en plumes. Adoubé par Elton John pour jouer son rôle, Taron Egerton chante également à la perfection.
Adoubé par Elton John pour jouer son rôle dans « Rocketman », Taron Egerton chante également à la perfection.

Temps de lecture : 7 min

Elton John perd ses plumes dans le couloir qui le mène à un mystérieux rendez-vous. Le chanteur n'a pas pris la peine d'enlever son costume de scène, une tenue de diable aux ailes duveteuses, illuminée d'un strass qu'il semble semer dans son sillage. Ce Petit Poucet ne demande qu'à être sauvé. Son ogre, c'est lui, cornes orange vif greffées sur la tête, lunettes en forme de cœur, comme pour cacher ses larmes. C'est aux alcooliques anonymes que se rend ce Lucifer pop. Et bientôt il lance, assis au milieu d'une assemblée bouche bée : « Je suis un alcoolique, un cocaïnomane, un boulimique, un accro au sexe et au shopping. » Elton John en thérapie de groupe ? Il n'y a que dans Rocketman que vous le verrez. Le biopic, qui raconte l'enfance et les quinze premières années de gloire de la star, a été présenté hors compétition au Festival de Cannes en présence de la « reine mère de la pop » (dixit Elton John de lui-même).

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Coproduit par le chanteur, le film de Dexter Fletcher, l'homme qui a « sauvé » Bohemian Rhapsody, met les platform shoes dans le plat, dès cette première scène audacieuse : la star, 30 ans et des poussières au début des années 1980, vient de passer une décennie à s'autodétruire après avoir connu une notoriété fulgurante et sans limites. Le réalisateur filme les succès, les excès : on ressort de la projection de Rocketman des paillettes plein les yeux, ébloui par les costumes rutilants et les concerts flamboyants du chanteur, ému de découvrir son enfance volée par manque d'amour, étourdi par la montagne de poudre blanche et les rivières d'alcool, les oreilles électrisées par la vingtaine de tubes repris avec talent par Taron Egerton, l'acteur adoubé par Elton John pour jouer son rôle, parfait de bout en bout.


« C'est une star qui touche une part essentielle de notre humanité. C'est un survivant, la personnification de l'espoir », explique Dexter Fletcher. C'est vrai, Elton John est revenu de toutes ses déconvenues : de ses amours toxiques avec son manager John Reid (Richard Madden, ex-pilier de la série Game of Thrones), de son mariage hétéro voué à l'échec, de ses trop nombreuses addictions. « Il y avait tellement de manières de montrer son autodestruction, aux toilettes en train de vomir, au restaurant commandant tous les desserts à la carte, chez lui à sniffer le nez en sang… On comprend vite qu'il est fichu »énumère le réalisateur, qui veille à ne jamais manquer de respect à son héros. Dans Rocketman, Elton John est au-delà du bon et du mauvais goût, au-delà du bien et du mal. Le chanteur a aussi surmonté ses « petites humeurs », des colères noires teintées de paranoïa et de mégalomanie qui le poussaient à se cloîtrer des heures, des jours et même des semaines dans sa chambre, seul, à ruminer son mal-être, rêvant de ne plus être « obligé de [s]'enfermer comme Zaza de la Cage aux folles », confessait d'ailleurs Elton John dans un entretien à l'époque. « J'étais devenu une machine… Leshow-business me dégoûtait », disait-il, lucide sur son cas. On ne pouvait pas me contrarier. J'ai créé ce monstre qu'est devenu Elton John. » Ses misères d'adulte s'expliquent aussi par ses malheurs d'enfance.

Elton John (Taron Egerton ), John Reid (Richard Madden) et Sheila, la mère du chanteur (Bryce Dallas Howard) dans Rocketman.

Reginald Kenneth Dwight (son nom d'état civil), enfant rondelet et pianiste prodige, capable de jouer de mémoire n'importe quel classique sans avoir lu la partition, n'a jamais reçu la moindre attention de ses parents. La froideur de son père l'effraie, sonindifférence et son mépris le heurtent. Le paternel finira d'ailleurs par abandonner sa famille, ce qui causera une peine infinie au fragile Reggie. Quant à sa mère, égoïste jusqu'au bout des ongles, elle le rudoie sans cesse, persuadée que son fils ne sera jamais aimé « vraiment » à cause de son homosexualité. Brimée, bridée, mal-aimée, au sortir de l'adolescence, la future star n'est pas suffisamment armée pour affronter la célébrité et les doutes sur son identité. « Mais Elton John a quelque chose de rassurant pour nous tous. Il est la preuve qu'on peut s'en sortir », théorise Dexter Fletcher.

Oui, Rocketman est une excellente thérapie, une fusée qui vous met en orbite chaque fois que résonne un tube d'Elton John. Le film est en effet rythmé par des numéros de comédie musicale imaginés autour des plus grandes chansons de la pop star : « I Want Love », chantée par l'enfant esseulé, « Saturday Night's Alright for Fighting », pour les soirées d'été au pub et à la fête foraine lorsqu'il était adolescent, « Crocodile Rock », moment de communion planant au Troubadour, club de Los Angeles révélateur de talents et catalyseur de succès où il joua pour la première fois du piano debout et qui lança sa carrière aux Etats-Unis, « Tiny Dancer », qui célèbre sa rencontre avec John Reid chez « Mama » Cass, membre des Mamas and The Papas, « Rocketman », où il touche le fond et, enfin, « I'm Still Standing », réservé au grand final, lorsque qu'il trouve le chemin de la rédemption. Parmi les plus beaux morceaux, « Your Song » (1970) marque la naissance magique de sa collaboration avec son parolier historique Bernie Taupin, qui lui écrit ses tubes depuis plus de cinquante ans en suivant une méthode singulière : ne jamais travailler dans la même pièce, alors qu'ils ont longtemps vécu dans la même ville et parfois sous le même toit… « Your Song » est la déclaration d'amour fraternel de Taupin à John, dont le destin fut scellé par le plus beau des hasards. Le parolier, incarné par le charismatique Jamie Bell, révélé dans Billy Elliot, était l'une des rares personnes non toxiques de l'entourage d'Elton John à l'époque. Et l'une des seules à l'aimer sincèrement.

Sex-symbole alternatif

Strass et satin. Elton John en 1977.
Chaque titre contribue ainsi à décrire la métamorphose de Reginald Kenneth Dwight en Elton Hercules John, le demi-dieu de l'industrie du disque : ses 300 millions d'albums vendus lui avaient valu le surnom de « Mister 2 % », parce qu'il représentait 2 % du chiffre d'affaires mondial du secteur dans les années 1970. Entre 1972 et 1975, il enchaîne huit albums bourrés de tubes, démesurément interprétés en concerts, notamment devant 400 000 personnes à Central Park en 1980, juste avant sa cure de désintoxication. Il est alors affublé d'un costume de Donald Duck. Quelques concerts plus tôt, il avait étrenné sa perruque et sa couronne de Queen Elton Ier… « Il joue, il chante, il fait des grimaces, il s'excite, il sue, il s'épuise. Il devient un mythe, une extravagance, un spectacle complet », commentait le percussionniste, coéquipier et ami de la star, Ray Cooper en 1979. Plus il va s'enfoncer dans sa détresse émotionnelle, plus ses tenues de scène deviennent des carcans qui reflètent son mal de vivre, dont il devra se débarrasser pour aller mieux. En dix ans à peine, il est devenu ce qu'il appelle un « sex-symbole alternatif ». Personne ne lui sautait dessus, comme sur Mick Jagger ou les Beatles, mais il touchait l'instinct maternel de ses groupies, qui ne demandaient qu'à le protéger. Sentiment partagé quand on a vu la pop-star de 72 ans en larmes une fois la projection de Rocketman terminée, les lumières de la salle du Festival rallumées, le visage caché derrière ses éternelles lunettes-cœurs bigarrées, toujours entre exubérance et vulnérabilité.

Rocketman, de Dexter Fletcher, en salles le 29 mai.

Une étoile est née

Le formidable Taron Egerton (révélé dans « Kingsman ») est sans conteste le moteur de ce biopic. C'est simple, on ne fait plus la différence entre lui et Elton John. Le jeune acteur de 29 ans est de tous les plans, tour à tour bête de scène surexcitée, pop-star folle de rage et petite chose fragile. Interprétant lui-même les tubes de la star britannique, il chante à merveille, donne de toute sa voix et de toute sa personne pour nous offrir un film à la démesure d'Elton John.

David Appleby/2018 PARAMOUNT PICTURES (x 2) – Terry O’Neill/Getty Images – Michael Ochs Archives/Getty Images

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